États-Unis - Ventes aux enchères

VENTES PUBLIQUES

Peintures anciennes, des ventes new-yorkaises bien ternes

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 8 février 2023 - 937 mots

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Plus de 150 millions de dollars ont été récoltés par Sotheby’s et Christie’s lors de la semaine consacrée à la peinture ancienne. Un chiffre élevé, en apparence, qui cache de nombreuses déceptions.

Pierre Paul Rubens (1577-1640), Salomé présentant la tête coupée de Saint Jean-Baptiste, vers 1609, huile sur bois, 125 x 137 cm. © Sotheby's
Pierre Paul Rubens (1577-1640), Salomé présentant la tête coupée de Saint Jean-Baptiste, vers 1609, huile sur bois, 125 x 137 cm.
© Sotheby's

New York. Cela faisait plus de sept ans qu’il n’y avait pas eu autant de toiles anciennes à New York pour la session de janvier. Et pour cause. Depuis 2016, Christie’s avait déplacé ses vacations en avril. « Nous avons voulu nous rapprocher des thématiques de ventes de nos concurrents afin de générer une plus grosse saison et ainsi redonner rendez-vous fin janvier aux collectionneurs à New York », a précisé Pierre Étienne, directeur international du département des tableaux anciens. Pour le marché, ce changement de calendrier est une bonne nouvelle. « Cela a plus de force et fait venir plus de monde. Ce qui était d’ailleurs le cas cette année », constate Nicolas Joly, expert en peinture ancienne.

Aussi, une douzaine de ventes avaient été programmées, représentant près de huit cents lots. Difficile pour le marché de tout absorber. Les vacations de prestige ainsi que celles des collections ont remporté 152,6 millions de dollars frais compris [140,2 M€], en dessous de l’estimation basse (qui, elle, ne comprend pas les frais) qui tournait autour de 155 millions de dollars. « C’est un marché fort, certes, mais beaucoup d’œuvres se sont vendues ric-rac, au mieux à l’estimation basse ou en dessous, ce qui n’est pas très profitable aux maisons de ventes », explique Nicolas Joly.

Des estimations souvent trop hautes

Les trois ventes importantes de Sotheby’s (dont deux de collections) ont rapporté 90 millions de dollars [82,6 M€] (contre 95 M$ l’année dernière, dont un Christ de douleur, de Botticelli adjugé 45 M$) – dans la fourchette de son estimation (79 à 115 M$). La collection Fisch Davidson – rassemblée par Mark Fisch, administrateur du Metropolitan Museum of Art et l’ancienne juge Rachel Davidson aujourd’hui en instance de divorce – composée de dix œuvres d’art de l’époque baroque, a presque atteint son estimation basse avec 49,6 millions de dollars frais compris [45,5 M€]. « Toute la vente était garantie. Les tableaux étaient tous connus, les estimations étaient trop hautes et, bien souvent, il n’y avait qu’un seul enchérisseur », précise Nicolas Joly. Cela a pesé sur la pièce maîtresse, Salomé présentant la tête coupée de saint Jean-Baptiste de Pierre Paul Rubens (vers 1609, voir ill.), adjugée 23,5 millions de dollars au marteau [21,5 M€], la plus haute enchère de la semaine. Jeune Homme endormi devant un livre, dans l’entourage de Rembrandt, a été emporté par le Musée national de Stockholm pour 945 000 dollars [868 000 M€].

Belle surprise, en revanche, dans la vente consacrée aux maîtres anciens (divers amateurs), où, même si vingt et un des cinquante-trois lots proposés ne se sont pas vendus, un Portrait de jeune homme, de Bronzino (vers 1527), extrêmement rare sur le marché, a été adjugé 10,6 millions de dollars [9,7 M€]. Volé pendant la Seconde Guerre mondiale, il avait été récemment restitué à la famille. Enfin, un Portrait de Lucy Loftus, de Peter Lely (XVIIe siècle), estimé raisonnablement de 200 000 à 300 000 dollars, a été acquis pour 1,5 million de dollars frais compris [1,4 M€] par le marchand italien Edmondo di Robilant. L’engouement actuel pour les portraits ne se dément pas.

La collection Safra sans prix de réserve

Christie’s s’en est moins bien sortie, avec un total de 62,8 millions de dollars (soit 57,6 M€, sous son estimation basse de 66 M$). L’an passé, sa vente d’avril avait été déplacée en juin, avec notamment la dispersion de la collection Alana qui avait totalisé près de 20 millions de dollars [18,3 M€]. Cette année, c’est la collection de l’investisseur J.E. Safra qui était offerte à la vente et ce, étonnamment, sans prix de réserve. « Cela a été convenu avec le propriétaire, prêt à jouer le jeu des enchères libres pour créer la compétition », expliquait avant la vente François de Poortere, directeur du département des tableaux anciens chez Christie’s New York. Pour autant, et malgré une vente « en gants blancs », les 18,5 millions de dollars [16,9 M€] engrangés n’ont pas dépassé l’estimation basse. Là encore, les estimations étaient élevées et les lots se sont vendus tout juste, mis à part un album d’illustrations des Fables de La Fontaine, du XVIIIe siècle, par Jean-Baptiste Oudry, adjugé 2,7 millions de dollars (soit 2,5 M€) – un record pour l’artiste français.

Francisco de Goya (1746-1828), Dona Maria Vicenta Barruso Valdés et Dona Leonora Antonia Valdés de Barruso, 1805, huile sur toile, 105 x 84 cm (chaque). © Christie's Images Ltd. 2023
Francisco de Goya (1746-1828), Dona Maria Vicenta Barruso Valdés et Dona Leonora Antonia Valdés de Barruso, 1805, huile sur toile, 105 x 84 cm (chaque).
© Christie's Images Ltd. 2023

L’autre vente, de divers collectionneurs, a récolté 44,3 millions de dollars [40,6 M€], elle aussi en dessous de son estimation basse (46 M$). Le prix le plus élevé est allé aux doubles portraits d’une mère et de sa fille Doña Maria Vicenta Barruso Valdés et Doña Leonora Antonia Valdés de Barruso, de Francisco de Goya (1805). Importants (mais peu séduisants), ils ont atteint 14 millions de dollars (soit 12,8 M€, sous l’estimation basse de 15 M$), ce qui n’a pas empêché d’établir un nouveau record pour le maître espagnol.

En résumé, le marché de la peinture ancienne reste soutenu à New York et conserve sa place de numéro un – à Londres, les ventes du soir en décembre dernier avaient récolté en tout 46 millions de livres [52,3 M€], soit presque la moitié. « Quand il y a une vraie belle œuvre, bien estimée, les acheteurs sont prêts à en payer le prix. Mais ils font très attention à ce qu’ils achètent et ne se laissent pas duper par les lots sans prix de réserve, par exemple », analyse Nicolas Joly, avant d’ajouter que « les garanties ne sont pas une bonne idée dans le domaine de la peinture ancienne. Les maisons de ventes prennent de gros risques sans vraiment gagner d’argent ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°604 du 3 février 2023, avec le titre suivant : Peintures anciennes, des ventes new-yorkaises bien ternes

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque