Ventes aux enchères

ENTRETIEN

Marc-Arthur Kohn, commissaire-priseur : « J’ai été manipulé »

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 2 mai 2019 - 1360 mots

PARIS

Marc-Arthur Kohn livre sa version des faits concernant l’affaire du faux Zadkine dont la plainte remonte à 2004. Condamné en appel pour contrefaçon à huit mois de prison avec sursis, il a formé un pourvoi en cassation.

Maître Marc-Arthur Kohn © François Tomasi
Maître Marc-Arthur Kohn
© photo François Tomasi

La cour d’appel de Paris vient de condamner le commissaire-priseur Marc-Arthur Kohn pour une affaire de contrefaçon concernant un bronze de Zadkine. Il a formé un pourvoi en cassation et a tenu à s’en expliquer auprès des lecteurs du Journal des Arts.

Pouvez-vous rappeler les faits ?

Quarante-huit heures avant la vente du 13 décembre 2001, Monsieur Bouaziz, client de l’étude me confie pour le vendre un bronze de Zadkine Le Retour du fils prodigue, représentant trois personnages, les bras levés, se protégeant des bombes lancées sur le ghetto de Varsovie, numéroté 5/5 et pesant 80 kg. Je l’inclus donc dans la vente, sans qu’il soit au catalogue, ce qui arrive fréquemment dans notre métier. Je prends soin de vérifier la signature, le numéro et je me reporte au catalogue raisonné d’Ossip Zadkine [L’œuvre sculpté, par Sylvain Lecombre, 1992, p. 490, épuisé]. À partir de ce texte, je rédige ma fiche technique lue lors de la vente. On entend que l’œuvre a été tirée à cinq exemplaires. Quand le bronze est déposé à l’étude, un reçu est remis au vendeur, rédigé par un collaborateur qui omet d’indiquer le numéro de l’exemplaire. Il oublie, comme parfois on oublie de mettre les dimensions. Moi, je ne m’en rends pas compte, car j’ai 200 autres lots dans la vente. Ça va être tout le procès.

Le jour de la vente, je présente l’œuvre en indiquant qu’elle est numérotée 5/5, puis je l’adjuge 750 000 francs (environ 110 000 euros frais compris) à Monsieur Raymond Woronko. L’un des plaignants, Monsieur Payet, présent à toutes mes ventes dont celle-ci, a d’ailleurs confirmé plus tard à la police que j’avais bien annoncé un 5/5. Monsieur Woronko me paye le 9 janvier 2002 et on lui livre le bronze. Deux mois plus tard, sa compagne le trouvant un peu triste, Monsieur Woronko veut que je le revende. Il insiste pour le livrer à mon dépôt porte de Bagnolet, alors que mon étude est à 300 mètres de chez lui. Mon employé lui fait un reçu. À ce moment-là, nous n’avons fait aucune photo. Nous sommes début 2002, c’est le balbutiement des appareils numériques. Le bronze repasse en vente en mai 2002 à Drouot Montaigne dans le cadre d’une vente cataloguée, mais il ne trouve pas preneur. Il retourne à l’étude. Quand je représente le bronze à cette vente, je ne vérifie pas que c’est bien le 5/5, celui que j’avais présenté à la première vente en 2001. En avril 2004, un courtier, Monsieur Pascal Robaglia, dit avoir un client pour le bronze. Ce client – je le saurai plus tard – c’est Monsieur Payet, qui l’achète. Il était venu le voir plusieurs fois à mon étude entre 2002 et 2004, mais n’avait pas les finances. Voulant avoir une confirmation, Monsieur Payet va voir la Fonderie Susse (qui a fondu les cinq exemplaires), qui lui dit : c’est un 6/6, donc c’est un faux. Monsieur Payet retourne voir Pascal Robaglia qui lui rend son chèque (non encaissé). Et en juin 2004, sur les conseils de Monsieur Lacroix (de la Fonderie Susse), Monsieur Payet dépose plainte, ainsi que la Fonderie. Entre-temps, Monsieur Lacroix m’appelle et je viens voir le bronze qu’il a saisi. Je constate sans comprendre que je suis en présence d’un 6/6 et devant l’inexplicable, je m’engage à rembourser Monsieur Woronko en 2005.

L’affaire dort pendant dix ans et en 2014, elle est relancée. Que s’est-il passé ?

Madame Bibal-Sery, juge d’instruction, instruit le dossier pendant dix ans, de 2004 à 2014 et fait faire des expertises, notamment en 3D. Pendant tout ce temps, nous ne sommes pas entendus et on oublie l’histoire. En 2014, elle démissionne et est remplacée par Aude Burési. Avant même d’être assise dans son bureau, elle me met en examen et refuse une confrontation avec Bouaziz et Woronko.

Qu’apprenez-vous à ce moment-là ?

J’apprends par mon avocat que Monsieur Woronko a consulté Sotheby’s avant de ramener le bronze à mon dépôt. Il est arrivé avec un bronze – celui qui a été saisi et qui comporte un marquage 6/6 fait à la pointe comme un mauvais élève pourrait le faire, très différent du 5/5 que nous avons examiné. Sotheby’s dit à Monsieur Woronko que ce bronze est faux, car il n’y a que 5 exemplaires autorisés ! Quand Woronko me rapporte la sculpture, je ne me pose pas de question, je pense que c’est la même ! Pourquoi Woronko ne me dit pas à ce moment-là : « Vous m’avez vendu un faux, remboursez-moi. » Il est au courant que c’est un faux, mais il ne me dit rien. D’ailleurs, il m’envoie des courriers – que j’ai conservés – me disant : « Cher Maître, quand allez vous vendre mon très beau Zadkine 5/5 ? ». Finalement, il a été mis en examen et condamné. Aujourd’hui, il est au Gabon. Aude Buresi a refusé une commission rogatoire internationale.

Quelle a été la défense de votre avocat Maître Nitot ?

Il a plaidé que je n’ai pas pu fabriquer ce 6/6 en 48 heures, mais que d’autre part, j’ai commis une faute en ne vérifiant pas – lorsque je le revends aux enchères en juin 2002, puis quand je le confie à Monsieur Robaglia en 2004 – que c’était bien un 5/5 (et non un 6/6) : cette faute, elle est civile, et non pénale, car cela suppose la mauvaise foi. Or, j’ai remboursé le bronze en 2005.

Que vous reproche le tribunal ?

Il retient que dès le départ, j’ai présenté à la vente de décembre 2001 un 6/6, alors que Monsieur Bouaziz a dit au cours de l’enquête qu’il avait bien déposé un 5/5. La facture attestant qu’il a acheté un 5/5 aux Pays-Bas est dans le dossier. Bizarrement, Bouaziz n’a jamais été réentendu lors du procès. Comment aurais-je pu en 48 heures changer le numéro de l’exemplaire, vendre un 6/6 et garder le 5/5 ? J’ai le catalogue raisonné de Zadkine, donc je sais qu’il n’y a que cinq exemplaires. On me reproche aussi de ne pas avoir pris de photo et de ne pas avoir marqué sur le bordereau le numéro 5/5. Pensez-vous que je vérifie tous les bordereaux d’entrée quand ce n’est pas moi-même qui les rédige ? 100 000 euros représentent une adjudication relativement banale pour un commissaire-priseur.

Que dit le jugement rendu par le tribunal correctionnel en 2016 ?

Le tribunal m’accuse d’avoir vendu un 6/6 dès décembre 2001, c’est-à-dire un faux et me rend donc coupable de débit d’œuvre contrefaite. Je suis condamné à huit mois de prison avec sursis et à payer 15 000 euros d’amende et 400 000 euros de dommages et intérêts à la Ville de Paris (1), 1 euro pour la Fonderie Susse et 5 000 euros pour Monsieur Payet. Monsieur Robaglia est condamné à huit mois ferme et Monsieur Woronko à 10 000 euros d’amende, car il ne m’a pas informé que Sotheby’s lui avait dit que c’était un faux.

Vous avez fait appel. Que dit l’arrêt rendu le 12 février dernier ?

La cour d’appel a confirmé en partie le jugement : huit mois de prison avec sursis et a augmenté l’amende de 15 000 à 60 000 euros et 40 000 euros pour la Ville de Paris.

Que pensez-vous de tout cela ?

J’ai été manipulé par Woronko. Le 6/6 qui est au tribunal n’est pas celui que j’ai vendu en 2001, même un gamin verrait que la numérotation sur ce bronze est l’acte d’un profane. Selon moi, Woronko a trouvé le plâtre – une expertise a certifié que le bronze numéroté 6/6 provenait d’un plâtre acheté en 2002 sur un marché aux Puces de Belgrade pour trois fois rien – et, pensant à une substitution pour se faire rembourser, il me rapporte un 6/6. Le 5/5, personne ne sait où il est. Nous avons formé un pourvoi en cassation.

(1) Le Musée Zadkine dépend de la Ville de Paris, au titre du droit d’auteur.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°522 du 26 avril 2019, avec le titre suivant : Marc-Arthur Kohn, commissaire-priseur : « J’ai été manipulé »

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