Art contemporain

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Les tapis d’artistes

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 16 décembre 2013 - 896 mots

À Paris, l’exposition « Decorum » dépoussière les tapis d’artistes en retraçant leur histoire aux XXe et XXIe siècles. Un médium qui suscite à nouveau un regain d’intérêt.

« Le tapis, c’est l’âme de l’appartement. C’est du tapis que doivent être déduites non seulement les couleurs, mais aussi les formes de tous les objets qui reposent dessus », remarque Edgar Allan Poe en 1840. « On pourrait surenchérir et se demander si ce n’est pas même tout l’art du XXe siècle qui dérive du tapis », écrit Anne Dressen dans le catalogue de l’exposition parisienne « Decorum » consacrée aux tapis d’artistes modernes et contemporains. Au début du XXe siècle, le mouvement Arts and Crafts, mené par William Morris, fasciné par le Moyen Âge où l’art du tapis était considéré comme supérieur à la peinture, entend faire entrer l’art moderne dans les maisons, notamment à travers les textiles. Dans les années 1920, en France, Marie Cuttoli révolutionne le genre via sa galerie Myrbor. Elle installe des ateliers de tapisserie à Sétif, en Algérie, puis à Aubusson, en France, et commande des cartons aux plus grands artistes modernes. Enfin, dans les années 1960, les artistes – souvent des femmes, comme la Polonaise Magdalena Abakanowicz avec ses Abakans évoquant le sexe féminin – font entrer ce médium dans l’art contemporain. Leur vitrine : la Biennale de Lausanne, fondée par Jean Lurçat. De 1962 à 1995, celle-ci devient le laboratoire de la nouvelle tapisserie et ouvre la voie aux installations d’artistes.

« En France, au début des années 1980, après la fermeture de la galerie spécialisée La Demeure, le tapis est cependant tombé dans un certain déclin », observe Pierre-Emmanuel Martin-Vivier, directeur associé du département d’art impressionniste moderne chez Christie’s et spécialiste des arts décoratifs. Ce médium semble néanmoins susciter depuis quelques années un regain d’intérêt. Les manufactures des Gobelins et d’Aubusson, par exemple, collaborent de nouveau avec des artistes, tels Louise Bourgeois ou Jean-Michel Othoniel. À Aubusson, en 2010, un Fonds régional pour la création de tapisseries contemporaines a été lancé pour organiser, chaque année, un appel à projets pour la création de maquettes de tapisseries, dont les œuvres lauréates intègrent la collection du musée. « Je vois à présent des œuvres textiles dans toutes les plus grandes foires du monde et dans plus en plus de galeries », observe Anne Dressen. Et à Paris, en 2008, la maison Chevalier s’est lancée dans l’édition de tapis d’artistes. Début d’un nouvel âge d’or ?

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Marcher sur un Buren ? C’est possible. La maison Chevalier a lancé en 2008 une collection de tapis d’artistes en édition limitée (de 1 à 8 exemplaires numérotés) avec des pièces uniques signées Daniel Buren – cinq coloris différents et deux tailles. « Nos clients sont à la fois des collectionneurs d’art contemporain et des musées », rapporte Camille Chevalier, directrice de la collection. Ces tapis sont les premiers conçus par Daniel Buren, séduit par « le rapport à la matière ». À suivre.

Daniel Buren, Sipat, 408,9 x 408,9 cm, collection 2009, pièce unique, 100 % laine, 2 couleurs, série composée de 5 pièces uniques. Prix : 85 000 euros, Chevalier Éditions, Paris.

Echakhch, en négatif Trois tapis, dont il ne reste que les bords. Ces pièces « en négatif » de Latifa Echakhch, lauréate du prix Marcel Duchamp en 2013, peuvent apparaître comme l’aboutissement de cette « nouvelle tapisserie » qui, dans les années 1960, estompe les frontières avec les arts plastiques, notamment au sein de la Biennale de Lausanne. En jouant sur les codes de ce médium traditionnellement associé à l’univers féminin, Latifa Echakhch pulvérise les frontières domestiques au sein desquelles sont confinées les femmes en terre d’Islam.

Latifa Echakhch, Frames (rouge, bleu, vert), 2009, installation au sol de 3 contours de tapis, dimensions variables, 123 x 71 cm chaque. © Latifa Echakhch. Photo : Fabrice Seixas. Courtesy the artist and Kamel Mennour. Prix : 20 000 euros, Galerie Kamel Mennour, Paris.

Léger, un classique Variante d’un tapis réalisé pour le grand salon de Robert Mallet-Stevens et conservé au Musée des arts décoratifs de Paris, ce tapis signé Fernand Léger a battu en 2011 un record pour un tapis de l’artiste. Non seulement il a bénéficié de la cote du peintre, mais il a de plus été tissé par les célèbres ateliers de Marie Cuttoli, vers 1930. Enfin, il provient de la prestigieuse collection du château Gourdon, réputée pour ses pièces des plus grands artistes de l’Art déco et de l’Union des artistes modernes (UAM), et dispersée en 2011.

Fernand Léger (1881-1955). Tapis, tissé par Myrbor d’après un carton de Fernand Léger exécuté pour Marie Cuttoli, vers 1930, tapis en laine au point noué à la main, 363,5 x 255 cm. Adjugé 169 000 euros, le 29 mars 2011, Christie’s, Paris.

La révolution Jean Lurçat Voici une pièce de l’artiste qui a révolutionné l’art du tapis au XXe siècle. En s’installant en 1939 à Aubusson, ville de la Manufacture royale depuis 1655, Jean Lurçat se bat pour la reconnaissance de ce médium. L’artiste, qui délaisse la peinture au profit de la tapisserie, milite pour que les tapis ne soient pas de simples transpositions de tableaux : les cartons doivent être selon lui spécifiques à ce médium, avec des aplats de couleur francs et limités. Pourtant, les tapis de Lurçat restent relativement peu cotés. Celui-ci a été tissé à deux exemplaires seulement.

Où voir et où acheter des tapis d’artistes ?

Chevalier Éditions, 20, rue Saint-Claude, Paris-3e - www.chevalier-edition.com « Comics Threads, tapisserie vs Bande Dessinée. Tonje Høydahl Sørli », Galerie Chevalier, 17, Quai Voltaire, Paris-7e, jusqu’au 4 janvier, www.galerie-chevalier.com

« Aubusson XVIe-XVIe », Cité internationale de la tapisserie et de l’art tissé, avenue des Lissiers, Aubusson (23), www.cite-tapisserie.fr

Galerie des Gobelins, 42, avenue des Gobelins, Paris-13e

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°664 du 1 janvier 2014, avec le titre suivant : Les tapis d’artistes

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