Textile

Le tissage comme un des beaux-arts

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 12 février 2014 - 724 mots

De qualité inégale, la troisième édition d’« Artapestry » permet néanmoins de belles découvertes de créations textiles contemporaines, surtout en provenance d’Europe de l’Est.

ANGERS - Clairement, la tapisserie ne fait plus tapis. Après la belle exposition qui s’est achevée récemment au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, « Decorum », c’est au tour du lieu incontournable du tissage en tout genre, le Musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine, de présenter son « Artapestry ». Choisies par un jury désigné par le Forum européen de la Tapisserie, les œuvres de vingt-cinq artistes entrent en dialogue avec la très riche collection du musée d’Angers.
À l’entrée figure, en petite introduction didactique, une splendide tapisserie de début du XVIe siècle, Penthésilée ou Les Quatre Coins (1943) de Jean Lurçat. Tandis que le fameux cycle « Le Chant du monde » du « Saint Patron » du lieu se trouve dans le bâtiment avoisinant. Le parcours de l’exposition est articulé en sections aux titres trop « génériques », un peu tirés par les fils (« Paysage », « Spiritualité », « Souvenir », « Rythme »…).

Une remarque s’impose au préalable. Dans l’art contemporain, peintres, sculpteurs, vidéastes, artistes de l’installation sont indifféremment hommes ou femmes. Il reste toutefois, çà et là, des « recoins » réservés à chacun des deux sexes. C’est ainsi, que presque sans exception, ce sont des personnages féminins que l’on associe au tissage, comme si depuis toujours ce procédé et la femme étaient inséparables. Le mythe de Pénélope et d’Arachné plane encore et rares sont les hommes qui se laissent prendre dans les mailles.

Signes et gestes
Faut-il croire que le tissage, sous toutes ses coutures, n’est toujours pas entré dans le cercle prestigieux des beaux-arts malgré la valorisation des arts décoratifs par les avant-gardes ? Rappelons-nous toutefois que, lorsque Matisse regarde du côté de la tapisserie, c’est uniquement pour la structure de l’image et l’importance du motif ornemental, libéré du diktat de la figuration. Le principe bidimensionnel de la peinture va de pair avec sa volonté de dissimuler toute trace des composants qui entrent dans sa production. Mais c’est voir le textile et toutes ses déclinaisons uniquement comme matière et techniques utilitaires. Les ouvrages accrochés ici sont loin d’être de simples objets croisés dans notre environnement quotidien, standardisés et fabriqués selon un modèle régulier. Ces travaux, tissés et tricotés, aux mailles plus ou moins serrées, sont avant tout des signes et des gestes qui se matérialisent sous la forme de réseaux de densité variable.
Pour autant, les œuvres ne sont pas toutes de même qualité. Ainsi, Lutter pour toute l’éternité (2010), de Sarah Perret, est une tapisserie trop chargée, trop « bavarde », à l’instar de son titre imprégné de pathos. De même, le Sens de l’ordre (Brita Been, 2011), soit des rectangles formant un échiquier coloré, semble constituer l’énième version de la fameuse grille, chère à la modernité et à l’abstraction géométrique en particulier.

Kupka l’ancêtre
En revanche, Appel (2010), de l’artiste danoise Anne Henriksen, confectionnée à partir de tissus découpés et assemblés, est une nappe chromatique composée d’innombrables teintes rose, d’une luminosité irradiante. Ailleurs, on pénètre dans la forêt enneigée de l’artiste polonaise Iska van Kempen-Jarnicka (Conte d’hiver, 2011), un univers silencieux et magique. Ailleurs encore, ce sont des formes blanches évaporées que présente la Tchèque Eva Brodská. « C’est une fumée qui s’envole comme un appel à la prière », déclare-t-elle. On songe à l’« ancêtre » célèbre originaire du même pays, Kupka et ses formes organiques qui s’entrelacent.

Les face-à-face avec les œuvres qui appartiennent à la collection apparaissent souvent réussis. Le musée possède ainsi de nombreux travaux de ce formidable artiste judéo-polonais Thomas Gleb. Peintre avant tout, celui-ci découvre la tapisserie à Paris dans les années 1960, un art qu’il va pratiquer avec Pierre Daquin à partir de ses tableaux. Cette production plastique développe un « alphabet » de signes inspirés par les lettres hébraïques et inscrits sur des fonds monochromes. De simplicité apparente, les œuvres dégagent une spiritualité discrète.

Artapestry

Commissaire : Françoise de Loisy, directrice du Musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine

Nombre d’artistes : 25 artistes

Nombre d’œuvres : 50

Scénographe : Véronique Dollfus, Atelier JBL

Artapestry3, Allers/Retours

Jusqu’au 18 mai, Musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine, 4, bd Arago, 49100 Angers, tél. 02 24 18 48, www.musees.angers.fr, tlj sauf lundi 10h-12h et 14-18h.

Légende photo

Ane Henriksen, Recall (2010) - Tapisserie, 245 x 245 cm. © Ane Henriksen

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Le tissage comme un des beaux-arts

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