Les Puces de Saint-Ouen se tournent vers un public de proximité

Le premier site touristique parisien qui réunit une demi-dizaine de marchés entend renforcer son attrait avec l’adoption prochaine d’une charte de qualité

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2002 - 1276 mots

Caravansérail des Temps modernes, les Puces de Saint-Ouen offrent une mosaïque de spécialités et de qualité couvrant les objets d’art et de curiosité. « Ville dans la ville », ce paradis du chineur a dû en découdre avec une municipalité longtemps hostile. Il s’est aussi confronté à ses propres démons en laissant sourdre le commerce du neuf. Pour être marginal, celui-ci jette toutefois un discrédit que les puciers s’efforcent aujourd’hui d’effacer. Face à la crise économique, les commerçants sont en rang de combat pour conquérir un public de proximité et donner un nouveau lustre à ce lieu pittoresque. Les fêtes des 28 et 29 septembre dernier témoignaient, sinon d’une vitalité commerciale, du moins d’une énergie à toute épreuve.

SAINT-OUEN - Les Puces de Saint-Ouen, dont l’histoire se confond avec celle des chiffonniers et des brocanteurs, sont officiellement nées en 1885. Vers 1920, Romain Vernaison, propriétaire d’un vaste espace de 9 000 m2, décide d’y installer des petites baraques. Suivent alors le marché Malik, investi par les fripiers et, en 1925, le marché Biron, bastion des objets restaurés et léchés. L’extension se poursuit en 1938 avec l’ouverture du marché Jules-Vallès. À partir de 1946, le marché Paul-Bert se développe en enserrant le marché Serpette. Ces deux marchés ont quitté l’escarcelle de La Hénin, puis d’un consortium d’actionnaires, pour devenir propriété de la société immobilière IDM Conseil. Si Biron a connu son âge d’or dans les années 1980, Paul-Bert et Serpette comptent aujourd’hui parmi les marchés les plus “tendances”. Les espaces couverts de Malassis et Dauphine, créés respectivement en 1989 et 1991, relèvent de la dernière expansion. Malassis appartient pour 75 % à une société civile immobilière familiale, la Finso, les 25 % restants étant régis en copropriété par les marchands. Dauphine est gérée quant à elle par la société immobilière PF8. Les loyers sont variables d’un marché à l’autre, Vernaison pratiquant des tarifs moins onéreux, entre 305 et 762 euros par mois et par stand. Ceux de Paul-Bert, Serpette et Biron oscillent de 533 à 1 067 euros, les grands stands culminant à 2 286 euros, tandis que les espaces de 12 m2 de Malassis se négocient autour de 884 euros par mois. La valeur du bail est variable selon les marchés. De l’ordre de 15 244 à 22 867 euros à Malassis, il peut grimper jusqu’à 228 600 euros pour les grands espaces de Paul-Bert. La rotation des 2 500 marchands est de 10 % par an, ce chiffre modeste s’expliquant par le nombre réduit de baux précaires.

Site classé
Du touriste américain à l’étudiant désargenté, entre 5 et 11 millions de visiteurs annuels s’encanaillent dans les venelles de ce labyrinthe, ce qui fait des Puces le premier site touristique parisien. Malgré ces états de service, les Puces ont multiplié les démêlés avec la municipalité de Saint-Ouen. Une menace d’aménagement urbain prévoyait voilà une dizaine d’années la disparition du marché Jules-Vallès, situé aux limites de la zone pucière. L’Association de défense et de promotion des Puces de Saint-Ouen, créée en 1994 par le marchand Marc Maison, a réussi à mobiliser les pouvoirs publics pour obtenir l’an dernier le classement du site en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Le sort de la ZAC Curie-Rosiers, communément appelée “Wonder”, reste toutefois en suspens. Bernard Steinitz avait acquis des hangars immenses appartenant à l’usine Wonder. Pour éviter une préemption de la Ville, le marchand avait accepté un protocole d’accord en rétrocédant 50 % du terrain contre un franc symbolique. Fortement pollué, ce site est toujours en friche. “On souhaiterait créer sur ce secteur un parking et une zone artisanale. Il serait intéressant d’avoir des artisans à proximité, voire une école formant aux métiers d’art. C’est un choix politique et social qu’une mairie communiste pourrait soutenir”, estime William Delannoy, ancien président de l’association. Malgré quelques relents encore conflictuels, la municipalité observe les Puces d’un œil plus éclairé. Elle a ainsi ouvert en juin 2001 une antenne de l’Office du tourisme à proximité du marché Paul-Bert. Un rapport sur la fréquentation des Puces, destiné à établir le profil des visiteurs et la mise en place d’une meilleure signalétique sont aussi à l’étude (lire l’entretien ci-dessous).

Les puciers s’accordent sur la dynamique que génère le regroupement. La pratique du métier est incontestablement plus nerveuse sur les Puces que dans les magasins. “Nous avons une obligation de résultat. Il faut bien acheter et vendre vite. Dans une boutique isolée, il y a peu de rotation de la marchandise. Les marchands des Puces ont un stock, mais ils ne peuvent se permettre de compter un mois dessus, explique William Delannoy. Tous les quinze jours ou tous les mois, il nous faut une marchandise différente et une décoration nouvelle. Le regroupement permet à un objet de passer entre plusieurs mains avant d’atterrir dans une boutique. Chacun réussit à en tirer quelque chose.”
Passage quasi obligé pour l’apprentissage du métier, les Puces permettent aux jeunes marchands d’aiguiser leur œil. Elles servent parfois de tremplin comme en témoignent les carrières de Bernard Steinitz et de Jacques Perrin, initiées à Saint-Ouen. Le jeune marchand Patrick Ober, installé depuis deux ans et demi au marché Dauphine, apprécie le climat d’émulation : “On bénéficie de nombreux voisins. On a un passage incomparable par rapport aux différents quartiers parisiens. Je ne me vois absolument pas quitter les Puces. Il est toutefois nécessaire de faire des salons pour découvrir une nouvelle clientèle qui ne viendra jamais ici.”

Accueil amélioré
Depuis cinq ou six ans, les marchands observent une amélioration de la qualité des objets et une meilleure présentation des stands. À côté des irréductibles tenants de la “drouille” et de la présentation style vide-grenier, une jeune génération de marchands s’attache à recréer des ambiances, à l’image de François Daneck chez Colonial concept. Installé depuis un an rue Paul-Bert, ce dernier jouit d’une popularité auprès des décorateurs et d’une clientèle parisienne séduite par ses mises en scènes. “On constate une amélioration dans l’accueil des marchands. Avant, si on n’était pas acheteur, on ne s’occupait pas de vous. Les marchands sont devenus plus avenants, sans doute en raison de la crise”, reconnaît Patrick Ober. Le 11 Septembre a en effet brutalement affecté les puciers qui réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires durant le dernier trimestre.

Selon certains antiquaires, la baisse serait de l’ordre de 30 à 60 %, d’autres évoquant une fourchette plus raisonnable de 15 à 20 %. L’export ne représente plus que 40 % du chiffre d’affaires alors qu’il est habituellement de 80 %, essentiellement aux États-Unis. La fragilité des zones économiques traditionnellement prospères conduit les marchands à reconsidérer la clientèle locale. Afin d’attirer les franciliens, rétifs face aux difficultés de stationnement et aux rumeurs d’insécurité, l’association encourage de nombreuses expositions, celle des sièges de Thonet chez Patrick Ober ou celle sur les corsets et maillots de bains anciens ont rencontré un vrai succès auprès d’un public de proximité.
Initié depuis trois ans par le marché Dauphine avec l’appui du cabinet d’expertise APPAP, le nouveau souci d’authenticité devrait rassurer les particuliers. La création d’une charte de qualité assortie d’un label pour l’ensemble des Puces est prévue pour l’année prochaine. Destinée à endiguer le commerce du neuf, elle risque de susciter les réticences de l’arrière-garde. “Tout le monde ne va pas l’accepter et nous ne comptons forcer personne. Il y aura toujours des réfractaires, mais la majorité des marchands a compris que cette garantie est un ‘plus’ pour conforter les ventes”, affirme le nouveau président de l’association, Claude Bachelier.

Qu’on le veuille ou non, le label deviendra incontournable pour balayer certains démons et asseoir la crédibilité des Puces.

Événements aux Puces

- LES PETITS MAÎTRES DU XVIIe AU XXe SIÈCLE, marché Dauphine, du 26 octobre au 25 novembre 2002. - L’AFRIQUE DES PEINTRES VOYAGEURS, chez Colonial concept, 8 rue Paul-Bert, jusqu’au 14 octobre 2002.

Les marchands des Puces sont tentés par le marteau

Tentation récurrente pour les marchands, les ventes aux enchères ont investi les lieux par échappée. Une vente-test organisée il y a trois ans dans le marché Malassis a connu un échec vite étouffé, la plupart des œuvres provenant des invendus de marchands. Les ventes-fleuves des réserves de Bernard Steinitz, orchestrées in situ du 9 au 12 novembre 1993, ne furent pas plus à la hauteur des espérances de l’antiquaire. Bien que près de 25 000 personnes aient visité les 20 000 m2 d’entrepôts, le produit vendu de 23,5 millions de francs (3,58 millions d’euros) s’avère éloigné des prévisions. Les grands antiquaires, dont l’émulation permet habituellement de pulvériser les estimations, avaient décidé de bouder la vente d’un de leur confrère. Selon les organisateurs, 90 % des lots furent enlevés par des particuliers, alors même que les objets, livrés ‘dans leur jus’, nécessitaient un grand travail de restauration. “Le projet de ventes aux enchères interpelle tout le monde, reconnaît Marie-Dominique Tabard, responsable de la communication des Puces. On peut imaginer une vente annuelle de qualité, mais il ne s’agit pas de se faire les concurrents des maisons de vente qui sont nos partenaires. Les initiatives individualistes comme celle de Malassis ne peuvent pas fonctionner.�?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°156 du 11 octobre 2002, avec le titre suivant : Les Puces de Saint-Ouen se tournent vers un public de proximité

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