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Les meubles allemands du XVIIIe siècle rares et prisés

Par Marie Potard · L'ŒIL

Le 29 août 2025 - 848 mots

Au XVIIIe siècle, des ébénistes allemands se sont installés à Paris avec leur savoir-faire d'excellence. Leurs meubles de grande qualité sont aujourd'hui très recherchés, mais restent rares sur le marché.

Au XVIIIe siècle, alors que Paris s’impose comme la capitale européenne du goût et du luxe, de nombreux ébénistes venus d’Allemagne s’y installent – un mouvement migratoire qui atteint son apogée entre 1740 et 1770. Selon les recherches de l’historienne Miriam Schefzyk, 378 ébénistes allemands sont dénombrés sur les 943 ébénistes actifs à Paris au XVIIIe siècle. Parmi eux figurent Martin Carlin mais aussi Jean-François Oeben, Jean-Henri Riesener, Adam Weisweiler ou encore Joseph Baumhauer.

Outre le fait que la clientèle la plus prestigieuse et les circuits de vente les plus dynamiques se trouvent à Paris, plusieurs facteurs expliquent cette migration. D’abord, les États allemands morcelés et souvent moins riches réduisent la taille du marché du meuble. Puis s’ajoutent les pénuries alimentaires, une atmosphère de crise ainsi qu’une réglementation discriminatoire des puissantes corporations. À Paris, la riche bourgeoisie montante est en quête de meubles luxueux pour assouvir son besoin de représentation, tout en aspirant à davantage d’intimité, conduisant à multiplier les petits espaces et donc des meubles plus compacts et facilement transportables. La demande en mobilier explose et les ébénistes allemands y voient une chance de gagner leur vie mieux qu’en Allemagne.

Le faubourg Saint-Antoine devient le premier point de chute de ces artisans nouvellement arrivés. Là, ils peuvent compter sur le soutien et les relations qu’ont développés les ébénistes déjà établis, entre concurrence et coopération.

En migrant en France, ces artisans allemands viennent avec leurs idées, leurs connaissances, leurs pratiques culturelles mais, « davantage que des types stylistiques ou modèles de meubles allemands, ils font connaître un savoir-faire qu’ils mettent en valeur à Paris », souligne Miriam Schefzyk, notamment en matière d’ébénisterie – qui bénéficiait d’une longue tradition dans le Saint Empire. Ils excellent dans la marqueterie de divers motifs (floraux, géométriques, figuratifs et architecturaux) et le placage de bois précieux, ainsi que dans les incrustations de différents matériaux, tels que les panneaux de porcelaine de Sèvres, les panneaux de laques du Japon ou de Chine et les mosaïques en pierres dures.

Ils contribuent ainsi à la diffusion et au perfectionnement des techniques d’ébénisterie, tout en adoptant les styles en vogue à Paris, leur évolution et les formes nouvelles, insufflant un raffinement supplémentaire au meuble français.

Entre 700 000 et 800 000 €

1. Secrétaire  - Ébéniste privilégié du roi – c’est lui qui a reçu la commande du bureau à cylindre du roi à Versailles –, Jean-François Œben (1721-1763) a exercé une grande influence sur l’ensemble de la production de meubles parisiens. Avec leurs habiles marqueteries de fleurs ou de cubes si caractéristiques et leurs inventions mécaniques – ce meuble en est un bel exemple (volets coulissants, compartiment discret) –, ils étaient très prisés, notamment de Madame de Pompadour. Œben a su adopter les caractéristiques du style à la grecque comme en témoigne ce secrétaire à l’aspect architecturé et à la présence de motifs empruntés au répertoire gréco-romain (pilastres, triglyphes, frise d’entrelacs à l’antique).

 

Galerie Léage, Paris

De 800 000 à 1 million d’€

2. Commode  - Né à Gladbeck (Westphalie), Jean-Henri Rieserner (1734-1806) arrive à Paris vers l’âge de 20 ans et effectue son apprentissage auprès de Jean-François Œben (1721-1763). À la mort de ce dernier en 1763, il reprend son atelier à l’Arsenal pour le compte de sa veuve qu’il épouse en 1767 et est reçu maître en 1768. À la retraite de Gilles Joubert, en 1774, il est nommé ébéniste ordinaire du Mobilier de la Couronne. Il fournit autant la Cour que les plus hauts personnages du royaume : les frères du roi, le comte de Provence et d’Artois, les filles de Louis XV, les ducs d’Orléans, de Penthièvre, de La Rochefoucauld…

 

Galerie Léage, Paris

Au-delà d’1 million d’€

3. Coquiller  - Ce coquiller a été exécuté pour le cabinet d’Ange-Laurent Lalive de Jully (1725-1779), Introducteur des Ambassadeurs à la Cour, et produit à la suite d’un grand bureau plat, de son cartonnier et de sa pendule, aujourd’hui conservés au château de Chantilly. Il est ensuite passé dans les collections de Jacques-Philippe de Choiseul-Stainville (1727-1789), pour rejoindre au XXe siècle la collection de Sir Philip Sassoon, puis celle d’Ann et Gordon Getty. Ce mobilier présente une importance majeure dans l’histoire des styles. Sa commande marque la première réalisation du style néoclassique dans le mobilier.

 

Galerie Steinitz, Paris

Adjugé 309 450 €

4. Guéridon  - Si Martin Carlin (1730-1785) a produit un certain nombre d’œuvres de grande taille, ses meubles les plus recherchés sont ses petites pièces élégantes, telles que des guéridons, des pupitres à musique et des cabinets à bijoux. Ses meubles raffinés, à montures de plaques de porcelaine (que lui livrait le marchand-mercier Simon-Philippe Poirier, puis son successeur Dominique Daguerre) ont eu beaucoup de succès.Provenant de la collection du baron Alphonse de Rothschild (1827-1905), en son hôtel Saint-Florentin à Paris, ce guéridon, probablement fourni par Dominique Daguerre, était estimé entre 35 000 et 55 000 euros.

 

Vendu chez Christie’s New York, le 13 octobre 2023

À Lire
Miriam Schefzyk, « Martin Carlin et les ébénistes allemands. Migration et intégration à Paris au XVIIIe siècle »,
édition Mare et Martin, 2024, 472 p., 42 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°788 du 1 septembre 2025, avec le titre suivant : Les meubles allemands du XVIIIe siècle rares et prisés

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