Galerie

Les galeries italiennes prennent la mesure de la crise et des nécessaires adaptations à envisager

Avec le redimensionnement des foires internationales, des mesures de sécurité sanitaires contraignantes et un marché dans un premier temps plus local, les galeries devront améliorer leur offre pour résister à la « sélection naturelle » que provoquera la crise.

Milan. Il y aura un « before coronavirus » et un « after coronavirus », tel est le constat unanime qui ressort, sans bien savoir encore de quoi cet « après » sera fait. L’ABC du marché de l’art changera-t-il réellement ou cette pandémie sera-t-elle, plus qu’une pause, une véritable césure ? Une chose est sûre, « oublions les foires comme nous les avons connues jusqu’à présent ; elles seront plus réduites, locales et moins fréquentées », explique Ilaria Bonacossa, directrice d’Artissima, l’une des principales foires d’art contemporain au monde qui se tient chaque année à l’automne à Turin. Lors de la dernière édition, Artissima, qui réunissait plus de 208 galeries de 43 pays différents dont 79 italiennes, a accueilli 55 000 visiteurs. Le fait qu’elle soit prévue début novembre la met, pour l’instant, à l’abri d’un report ou d’une annulation. La prochaine édition correspondra néanmoins avec la reprise graduelle d’un marché aujourd’hui figé. Les galeries italiennes avaient ces dernières années développé leur présence dans les grandes foires nationales et internationales où les clients potentiels se bousculaient, bien plus nombreux que dans leurs espaces habituels.

D’après The Global Art Gallery Report 2016 (éd. Phaidon), qui recense près de 20 000 galeries dans 124 pays et plus de 3 500 villes, l’Italie compte près d’un millier d’enseignes actives. C’est plus qu’en Suisse, au Japon ou encore en Chine. La Péninsule se place ainsi au 5e rang mondial, Milan figurant dans le « top 10 » du marché international, précisément en neuvième position, avec près de 200 galeries dans cette ville. Venise, Bologne, Turin et Naples sont les autres grandes villes du marché italien. Ce marché a été le premier à fermer en Europe pour cause de coronavirus, l’Italie étant le premier pays touché par l’épidémie. Il sera très certainement parmi les derniers à rouvrir avec un plan de déconfinement encore flou dans la Péninsule, et la Lombardie comme le Piémont toujours lourdement frappés par la crise sanitaire.

Quel sera l’état d’esprit du collectionneur ?

Les galeries italiennes profitent de cet arrêt imposé pour mettre de l’ordre dans leurs archives ou leur catalogue et développer leur outil numérique au travers des « viewing rooms » [salles d’exposition en ligne]. Les ventes sont suspendues à cause des mesures de confinement, qui ont parfois décuplé les coûts de transport des œuvres, mais aussi par crainte que des rabais consentis à des clients ne fassent s’effondrer les prix.

« Pour les galeries de petites dimensions avec souvent moins de quinze salariés, la situation va se révéler très délicate, poursuit Ilaria Bonacossa. À la différence de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, le gouvernement italien n’a pas mis en place un dispositif précis d’aides. Les galeries demandent un soutien fiscal également l’an prochain. Pour l’instant je ne perçois pas la montée d’une vague de fermetures, même si maintenir une antenne à l’étranger pour celles qui en ont une sera très difficile. Mais en Italie nous n’avons pas le modèle des galeries “factory” comme aux États-Unis, avec des dizaines d’employés. » Les incertitudes, outre celles d’ordre sanitaire avec les mesures de sécurité à mettre en œuvre, sont d’ordre psychologique. Quel sera l’état d’esprit des collectionneurs ? Auront-ils de nouveau envie de voyager ? « Pendant au moins les six premiers mois, le marché sera nécessairement plus local, estime Ilaria Bonacossa. Mais, comme après la crise de 2008, un rebond et une forte reprise du marché de l’art, qui a prouvé ses capacités de résilience, est envisageable. On assistera avant cela à des oscillations. L’envie de collectionner peut se renouveler à la faveur de cette crise, le talent et le travail de recherche des galeries sont toujours récompensés dans ces moments. Les galeries plus expérimentales, en général plus précaires du point de vue financier, sont le maillon faible du système. Il y aura certainement une “sélection naturelle” avec la disparition des offres moins convaincantes ou des galeries déjà en crise avant l’épidémie. »

Un avis partagé par le critique d’art et commissaire d’exposition Luca Beatrice : « Le prosecco bon marché offert lors des vernissages des expositions ennuyeuses ne nous manquera pas. Hors les foires et les inaugurations de leurs expositions, les galeries accueillaient très peu de monde. La crise du Covid-19 sera l’occasion de prendre plus de risques pour renouveler les expositions, les rendre plus intéressantes, penser à d’autres modèles avec des réunions plus restreintes de collectionneurs, pour un dîner par exemple. Cela permettra aussi de considérer que l’aspect jet-set n’est pas le plus important. Prendre plus soin des artistes et du public sera indispensable. »

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°545 du 8 mai 2020, avec le titre suivant : Les galeries italiennes prennent la mesure de la crise et des nécessaires adaptations à envisager

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque