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Les galeries brésiliennes cherchent le salut à l’export

Pénalisées par une crise économique majeure, les galeries brésiliennes enregistrent des baisses d’activité de 30 à 40 %, qui les poussent à se tourner vers l’international.

BRESIL - La crise économique qui secoue le Brésil pèse sur son marché de l’art. En 2015, selon la banque mondiale, le produit intérieur brut brésilien a chuté de 3,7 %. Après une croissance nulle (0,1 %) en 2014, il ne s’agit pas d’un ralentissement comme celui de la Chine, mais d’une crise économique profonde comme le pays n’en a pas connu depuis trente ans. Dilma Rousseff, la présidente difficilement réélue en octobre 2014, le sait : la décennie dorée brésilienne s’est définitivement achevée avec son premier mandat. En un an et demi, le real a dévissé de près de 40 % et le taux de chômage (supérieur à 7 %) est monté de trois points. Si la croissance brésilienne a toujours été irrégulière (petite récession en 2009, mais une augmentation de 7,5 % en 2010), les indicateurs sont cette fois durablement pessimistes.

Dans ce contexte, la galerie Millan (qui représente notamment Henrique Oliveira ou Tunga) avoue une baisse des ventes de 40 % entre 2014 et 2015. Autre poids lourd, la galerie Fortes-Vilaça (Adriana Varejão, Ernesto Neto) confie être en chute de 30 %. Tandis que Luisa Strina, pilier du marché de l’art brésilien (Cildo Meireles, Olafur Eliasson, Robert Rauschenberg), explique au journal O Estado de São Paulo se concentrer sur ses exportations, puisque ses ventes brésiliennes ont chuté de 50 % ! Une chute d’activité également constatée par la galerie Vermelho, une des enseignes les plus solides du pays, qui a indiqué au Journal des Arts un chiffre d’affaires local en baisse de 20 %. D’autres n’y ont pas survécu : en décembre à Rio de Janeiro, la galerie Laura Marsiaj, ouverte en 2000, a fermé ses portes la même semaine que la Casa Daros (lire  JdA n° 437, juin 2015). Un dernier indicateur éloquent : une seule galerie s’est ouverte en 2015 quand dans les années 2000, le Brésil en voyait éclore entre cinq et dix par an.

Le nombre de millionnaires a baissé de 25 %
Pourquoi la scène brésilienne, hier encore symbole du dynamisme et de l’émergence, se révèle-t-elle aussi fragile et soumise à la conjoncture ? Le premier facteur est le mal brésilien décrit par tous les économistes : le sous-investissement chronique. Le système social et les infrastructures ne profitant pas de la croissance, le Brésil reste un des pays les plus inégalitaires du monde avec l’Inde. En bas de l’échelle sociale, la faiblesse de l’épargne et de l’État redistributeur est telle que toute montée du chômage entraîne une explosion soudaine de la pauvreté. En haut, comme le note le rapport Art Economics pour Tefaf 2016, le nombre de millionnaires a baissé de 25 % en un an. Pour Claire Mc Andrews, directrice d’Art Economics : « À l’inverse d’un pays comme la Corée, qui présentait il y a 50 ans une croissance, un développement et des revenus équivalents, le Brésil n’a pas consolidé de classe moyenne [qui constitue à peine 8 % de sa population, NDLR]. En Corée, la croissance de la classe moyenne (45 % aujourd’hui) a permis de passer d’une économie structurellement dépendante de l’export à une économie soutenue par la demande intérieure. » Ajoutons que l’évasion fiscale est importante chez les riches brésiliens. La fiscalité ne favorisant pas l’achat d’œuvres brésiliennes (lire  JdA n° 414, mai 2014), les collectionneurs préfèrent acheter à l’étranger et laisser leurs œuvres en dehors des frontières.

Le sous-investissement se vérifie enfin dans les institutions, incapables de soutenir la scène artistique en période de crise : « Les institutions brésiliennes ont toujours compté sur les collectionneurs privés pour enrichir leurs collections », explique Ana Leticia Fialho, sociologue et chercheur spécialiste du marché de l’art brésilien. « Avec des budgets d’acquisition liés à la loi Rouanet, elles ne peuvent mathématiquement pas compenser le défaut des privés. » En effet, le financement des institutions culturelles dépend très largement de ce mécanisme fiscal, qui consiste en une quote-part prélevée sur les profits des entreprises pour financer la culture. Leur budget est donc arithmétiquement réduit en cas de récession, d’où la crise que connaissent plusieurs institutions majeures de São Paulo.

L’export comme bouée de sauvetage
Pour compenser la faiblesse du marché national, les galeries s’internationalisent. Selon le rapport Tefaf, le volume d’exportation d’œuvres d’art brésiliennes a crû de 40 %, passant de 66 à 82 millions de dollars. Pour l’art contemporain, les premières estimations du projet Latitude, qui compile les données fournies par l’association des cinquante plus grandes galeries brésiliennes (Abact), sont explicites : les exportations auraient grimpé de 100 % en 2015, pour atteindre 67 millions de dollars en 2015. Ces chiffres confirment que les galeries cherchent à compenser le marché intérieur par la demande internationale. C’est dans cette logique que la galerie Nara Roesler (Vik Muniz, Julio Le Parc, Xavier Veilhan, depuis peu) a ouvert ce mois-ci une antenne new-yorkaise. La jeune galerie Mendes-Wood devrait bientôt l’imiter.

Néanmoins, la croissance des exportations doit être doublement nuancée. D’abord, la moyenne des galeries brésiliennes ne tire de l’étranger que 15 % de son chiffre d’affaires. Les plus internationales, comme Vermelho, montaient à 35 % en 2015. Ensuite, l’exportation d’œuvres d’art coûte cher, car elle passe par les foires. Comme l’explique Eliana Finkelstein, directrice de Vermelho et présidente de l’Abact, « le real bas facilite l’export en théorie, mais l’exportation se fait dans les foires, et les foires sont très bonnes, mais moins profitables ». C’est la génération actuelle qui en paie le prix : les artistes les plus jeunes ne sont pas « rentables » à l’étranger pour les galeristes, qui préfèrent logiquement emmener dans leurs bagages des artistes confirmés à même de rembourser l’investissement consenti. Les foires de Rio et São Paulo, quant à elles, ne parviennent pas à suffisament attirer les plus grands collectionneurs, les coûts administratifs et fiscaux brésiliens restant trop élevés, notamment pour faire sortir des œuvres du pays.

Le cercle vicieux se poursuit donc et les galeries brésiliennes iront investir et faire leur marge en dehors du Brésil pour tenter de sortir la tête de l’eau. En juin, Art-Basel comptera cinq galeries brésiliennes dans ses rangs. Un record.

Légende photo

Le nouvel espace new-yorkais de la galerie brésilienne Narta Roesler. © Photo : Adam Reich, courtesy Galeria Nara Roesler.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : Les galeries brésiliennes cherchent le salut à l’export

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