Brésil : le troublant départ de la collection Daros

Fin décembre, le centre d’art ouvert en 2013 à Rio n’exposera plus la collection
du milliardaire suisse. Une décision qui suscite l’incompréhension générale.

RIO DE JANEIRO - La scène se passe en mars 2013, à Rio de Janeiro : la salle de presse flambant neuve est comble, dans ce palais néoclassique de Botafogo fraîchement rénové. On inaugure la « Casa Daros » (lire le JdA n°389, 12 avril 2013), qui devrait abriter la plus importante collection d’art contemporain consacrée aux artistes latino-américains. Rio, qui vient d’ouvrir le Musée d’art de Rio, semble portée par un élan sans précédent en arts visuels. Aujourd’hui, la Casa Daros ferme ses portes, à peine deux ans après son ouverture.

Retour sur l’histoire de la collection.
Daros Latinamerica se présente comme le pendant sud-américain de la collection Daros, installée à Zürich et constituée sous l’impulsion d’Alexander Schmidheiny, fils d’une grande famille d’industriels suisses. « Daros » est un patronyme inventé par ce proche de l’avant-garde pop américaine, qui décède en 1992 en laissant un important ensemble d’œuvres de Mark Rothko, Jackson Pollock ou encore Cy Twombly. Son frère Stephan, qui en hérite, vient de quitter la présidence de la société Eternit, géant mondial de l’amiante. Il entame dans les années 1990 une reconversion dans le développement durable, qui ne l’empêchera pas d’être le principal prévenu du procès de l’amiante à Turin en 2009. Il avait été condamné à dix-huit ans de prison avant que la Cour de cassation de Rome n’annule le jugement. Parallèlement à ses nouvelles activités, essentiellement en Amérique du Sud, il constitue, sur le modèle de Daros, un fonds tourné vers les artistes latino. Il achète en vingt ans plus de 1 200 œuvres d’artistes parmi les plus cotés du continent. La gestion du fonds est déléguée à son épouse Ruth, et à un « conseil », lesquels cherchent au début des années 2000 un lieu où montrer la collection sur le continent américain, le siège et le fonds demeurant à Zürich. C’est Rio qui est choisi en 2006. Daros Latinamerica s’installe dans un immense bâtiment du XIXe siècle acheté et restauré à grands frais (un coût de 25 millions d’euros sur six ans). Un restaurant et une bibliothèque complètent les 11 000 mètres carrés réhabilités sans le moindre argent public. Dès 2013, la Casa Daros s’impose comme l’institution la plus contemporaine du paysage artistique de Rio.

Des explications peu satisfaisantes
Pourquoi fermer après une vingtaine d’expositions ayant attiré 200 000 visiteurs ? La surprise est totale, y compris pour la cinquantaine d’employés permanents. Selon les mots de Christian Verling, président du conseil de la collection, Daros Latinamerica va « ouvrir d’autres chemins sur le front international, pour montrer davantage ses œuvres aux amateurs d’art du monde entier ». Il a énuméré quelques raisons à ce départ soudain : l’éloignement du siège zurichois, la bureaucratie brésilienne pour les transports et les prêts, les coûts de gestion du lieu… Enfin, la mobilisation systématique d’une centaine d’œuvres de la collection pour la Casa Daros serait trop contraignante, les dirigeants voulant « augmenter le nombre d’expositions et de prêts dans les plus grands musées du monde ».

Ce « réalignement de stratégie » suscite plusieurs réflexions. D’abord, on peut relever l’inconstance qui consiste pour un collectionneur à investir dans la réhabilitation d’un lieu d’exposition, avant de juger que sa collection y est trop mobilisée. On peut aussi s’étonner qu’un mécène qui dépense près de 30 millions d’euros en huit ans s’agace du coût d’un lieu… qu’il décrit pourtant comme rentable ! On peut enfin sourire à l’idée qu’un financier comme Verling, qui siège dans des sociétés implantées aux Bahamas ou au Liechtenstein, semble découvrir les contraintes fiscales et administratives du Brésil.

Le quotidien Folha de São Paulo relève la concomitance de cette décision et du nouveau procès intenté en Italie à Stephan Schmidheiny, toujours dans l’affaire de l’amiante, cette fois pour homicide volontaire et aggravé. Christian Verling a précisé que Stephan et Ruth Schmidheiny étaient divorcés depuis dix ans, et que la collection était présidée par Ruth. Ne sont connus ni le rôle que Stephan y conserve ni les termes du divorce concernant la collection.

L’ancienne directrice et la nouvelle équipe, jointes par Le Journal des Arts, n’ont pas souhaité commenter la décision, regrettant simplement la fermeture du lieu et s’en tenant aux communiqués officiels. Seul Hans-Michael Herzog, le directeur, a déploré « un manque de respect » pour le travail accompli. De fait, les partenariats avec les écoles ou les centres d’art des favelas sont rompus. La Casa Daros cherche officiellement un acheteur. Le maire de Rio a envoyé une proposition de gestion déléguée, que Verling a poliment indiqué « étudier », sans remettre en cause le caractère définitif de son annonce.

Légende photo

La façade de la Casa Daros, à Rio de Janeiro © Casa Daros

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Brésil : le troublant départ de la collection Daros

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