Foire & Salon

PARIS PHOTO

Les galeries au diapason des préoccupations actuelles

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2018 - 1072 mots

PARIS

Cette édition de Paris photo met à l’honneur les femmes, tandis que les enseignes mettent l’accent sur l’actualité et la création tout en distillant leurs clichés rares.

Portrait d’Egon Schiele dans son atelier vers 1915
Portrait d’Egon Schiele dans son atelier. Vienne, vers 1915, tirage argentique, 11,3 x 15,8 cm - Galerie Lumière des Roses
Photo Anonyme

Paris. Paris Photo 2017 avait particulièrement fait entendre la voix des femmes photographes, l’édition 2018 continue sur cette lancée. Après le choix, l’an dernier, d’une photographie de la série « Oh Man » de Lise Sarfati pour image officielle de la manifestation, c’est un portrait de femme afro-américaine puissante de l’artiste Mickalene Thomas, représentée par la galerie Nathalie Obadia, qui a été retenu cette année. Pour expliquer leur choix de Calder Series #2 de 2013, Florence Bourgeois et Christoph Wiesner pointent « la véritable prise de position de l’œuvre de l’artiste américaine connue pour son travail pictural et photographique particulièrement engagé ».« Elle vient en résonance avec les thèmes abordés dans cette édition 2018 de Paris Photo », expliquent-ils ; au premier rang desquels figurent les préoccupations et écritures photographiques de femmes photographes depuis les débuts du médium. La collaboration inédite de Paris Photo avec le ministère de la Culture conduit ainsi à la création du parcours Elles X Paris, conçu par la commissaire indépendante Fannie Escoulen au sein du Grand Palais et à l’extérieur. De Dorothea Lange et Ana Mendieta au Jeu de paume à Valérie Jouve au Petit Palais ou Claudine Doury à l’Académie des beaux-arts, la programmation parisienne est foisonnante. On retrouve d’ailleurs ces photographes sur le stand respectif des galeries Howard Greenberg, Lelong, Xippas, excepté pour Claudine Doury, objet d’une exposition en propre à la galerie Particulière dans le Marais.

Une histoire de la photo lue sous le prisme des femmes

Sous la nef, la sélection de Elles X balaie de galerie en galerie, tous secteurs confondus, plus d’un siècle et demi de création. Du portrait angélique de Kate Keown réalisé en 1865 par Julia Margaret Cameron (Hans P. Kraus Jr.) aux dernières créations de Vivian Sassen (Stevenson) ou d’Agnès Geoffray (Maubert), ce panorama de photographes phares – référencées ou méconnues – est large et construit d’autres repères. Doll II de 1930 Anna Barna (Vintage), photo de poupée nue démembrée, n’est pas ainsi sans rappeler celles de Hans Bellmer fabriquées à partir de 1934. De son côté, le portrait du docteur Franz Roh de 1926 (Kicken) par Lucia Moholy renvoie au travail spécifique de la photographe trop souvent reléguée dans l’ombre de son époux László Moholy-Nagy, dont elle se sépara pourtant en 1929.

Dans le secteur principal, les solo shows, plus nombreux que l’an dernier (28), font eux aussi la part belle aux femmes. Le focus sur Silvana Reggiardo (Mélanie Rio Fluency) ou sur Lynn Davis (Karsten Greve) permet d’illustrer ainsi à leurs visions minimalistes, voire symboliques, respectives des paysages urbains ou naturels, tandis que celui sur Barbara Probst (Kuckei + Kuckei) épanche ses questionnements sur la prise de vue. Sur le stand Agnès B, le voyage de la créatrice de mode à Moscou, en juillet 1987, fait l’objet d’un focus inédit de la part de l’enseigne dans une foire. Cette édition par ailleurs s’avère particulièrement riche en voix subversives. Des 24 heures dans la vie d’une femme ordinaire de Michel Journiac (Christophe Gaillard) au tout nouveau secteur Curiosa, organisé cette année par Martha Kirszenbaum, les questions de la représentation du corps, mais aussi du genre, sont à l’origine de quelques travaux marquants. Les approches de la Polonaise Natalia LL (Lokal_30), de l’Autrichienne Renate Bertlmann (Steinek) ou de Jo Ann Callis (Miranda & Rosegallery) tranchent à cet égard avec celles communément vues de Nobuyoshi Araki (Over The Influence), Daido Moriyama & Kenji Ishiguro (Akio Nagasawa), Robert Mapplethorpe (Christophe Lunn) ou Antoine d’Agata (Les Filles du Calvaire).

Autre tendance majeure : les conflits historiques ou actuels, les catastrophes écologiques et l’actualité, jusque-là peu présents, résonnent beaucoup plus. Les images d’archives de la seconde guerre sino-japonaise à Shanghaï (Daniel Blau), le conflit en Somalie de Matthias Bruggmann (Polaris), les reportages de James Nachtwey (Contrasto) ou le travail au long cours de Taysir Batniji (Éric Dupont) sur sa famille palestinienne à Gaza et aux États-Unis comptent parmi les sujets marquants. Certains de ces travaux ne sont pas sans faire écho par ailleurs aux quelques expositions passées ou en cours en France ou à l’international. On retrouve ainsi Sabine Weiss aux Douches, Pentti Sammallahti chez Camera Obscura et Jeff Wall actuellement au programme du Mudam (Luxembourg) chez Sophie Scheidecker et chez Gagosian. La galerie Goodman propose pour sa part un solo show David Goldblatt, disparu récemment et objet d’une rétrospective mémorable au Centre Pompidou. Parmi les autres solo shows en lien avec une actualité, on retrouve William Wegman (Huxley-Parlour) et Ralph Gibson (Paci). On ne trouvera pas en revanche JR actuellement la MEP (Maison européenne de la photographie), et présent à la Fiac (Foire internationale d’art contemporain) au travers d’une seule pièce. La galerie Perrotin qui le représente ne participe pas à Paris Photo, et ne l’a jamais fait.

Une création incessante

Le grand sujet de Paris Photo demeure la démonstration de l’étendue de la créativité et des sujets abordés depuis le XIXe siècle, y compris anonymes ! Le portrait d’Egon Schiele dans son atelier à Vienne vers 1915 ou la vue partielle d’une éclipse totale de soleil saisie en 1842 ou 1852 (Lumière des Roses), non signées, sont des raretés. La danse choisie pour thème cette année par Suzanne Tarasieve regroupe de son côté des travaux méconnus d’auteurs aussi différents que Jürgen Klauke, Boris Mikhaïlov, Richard Avedon ou Francette Levieux au travail sur l’Opéra de Paris, remis ici en lumière. Le vintage est en effet une autre constante de la foire. En témoignent l’album primitif sur le Japon d’avant 1865 de Felice Beato (Françoise Paviot) et Bauhaus-La maison des Maîtres de Lucia Moholy-Nagy ou le portrait de Berthe Krull d’Eli Lotar (Gilles Peyroulet & Cie). La diversité des procédés photographiques ou leur réappropriation par une nouvelle génération ouvrent à une constellation de pépites allant de Man Ray (Bruce Silverstein) à Mustapha Azeroual ou Anaïs Boudot (Binome).

La série intrinsèque à la pratique du médium comme à son histoire présente dans le secteur Prismes d’autres raretés, telle la réflexion d’Isabel Muñoz sur les actes de dévotions (Esther Woerdehoff) ou la réinterprétation par Axel Hütte du travail d’Albert Renger-Patzsch sur la nature de la région de Rheingau en Allemagne (Nikolaus Ruzicska). La réplique du Kuro Bar de Daido Moriyama (Hamiltons) en revanche ne sera pas une découverte pour ceux qui l’auront vu déjà déclinée à Photo London dans un volume plus modeste.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°510 du 2 novembre 2018, avec le titre suivant : Les galeries au diapason des préoccupations actuelles

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