Les futuristes restent italiens

Les œuvres phares du mouvement ne peuvent quitter la Péninsule

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 24 janvier 2003 - 1079 mots

Les peintures des grands futuristes, dont les plus beaux exemples s’acquièrent quelques millions d’euros, se font très rares sur le marché international. Conséquence, les œuvres sur papier les plus réussies se négocient pour des sommes considérables. À l’inverse, une kyrielle d’artistes futuristes post-1918, des suiveurs essentiellement appréciés des collectionneurs italiens et peu connus en Europe et aux États-Unis, se vendent localement à partir de quelques milliers d’euros.

PARIS - Le futurisme italien reste, avec le cubisme, l’un des mouvements artistiques les plus importants du premier quart du XXe siècle. Et pourtant, s’il est extrêmement rare de trouver sur le marché une toile cubiste des années 1910, espérer découvrir un tableau futuriste italien de la bonne époque, c’est-à-dire historiquement entre 1912 et 1915, relève de la gageure. “Les tableaux historiques sont soit dans les institutions internationales, soit dans les collections privées italiennes”, explique Olivier Camus, directeur du département impressionniste et moderne de Christie’s à Londres. Une loi italienne de 1939, toujours en vigueur, interdit toute exportation d’œuvres d’art de plus de cinquante ans hors du territoire, à moins d’en demander l’autorisation à un État très protecteur de son patrimoine. “Une belle œuvre futuriste ne sortira jamais d’Italie, alors que cela sera possible pour un tableau cubiste de Severini [l’artiste a rejoint les cubistes en 1916]”, assure Olivier Camus. Peu de toiles futuristes ayant quitté l’Italie avant la mise en place de cette mesure législative, l’apparition sur les marchés de Londres ou de New York d’une belle peinture signée Balla, Boccioni, Carrà, Russolo ou Severini reste un fait rarissime. Il y a presque treize années que cela n’est pas arrivé. Les dernières toiles futuristes majeures proposées en vente aux enchères sur le marché international appartenaient à la collection d’art impressionniste et moderne de Lydia Winston Malbin – l’un des plus importants ensembles américains d’art du XXe siècle –, qui a été dispersée les 16 et 17 mai 1990 à New York par Sotheby’s. La Scala degli addi (Salutando), une œuvre pré-futuriste de Balla, fut adjugée 4,4 millions de dollars (4,2 millions d’euros). Mare=Danzatrice, une huile sur toile de 1913-1914 de Severini dédicacée à “Monsieur et Madame Harry Winston, avec toute ma sympathie”, a atteint 3,6 millions de dollars. Dans les années 1950, les Winston avaient acquis des peintures, pour enrichir leur collection, directement auprès des artistes ou de leur famille. La sœur de Boccioni fut si impressionnée par leur passion pour le mouvement futuriste qu’elle leur céda un ensemble de deux cents dessins de l’artiste. Il n’y aurait, selon les spécialistes, pas d’autre collection d’œuvres futuristes de cette envergure en main privée hors d’Italie.
Depuis la vente Winston Malbin, peu d’œuvres historiques sont passées sous le feu des enchères. Citons Simultanéité de groupes centrifuges et centripètes-Donna alla finestra (1914), de Severini, et Velocità astratta, Auto in Corsa (1913), de Balla, adjugés à Londres en 1996 par Christie’s pour respectivement 2,9 millions et 1,2 million d’euros. Sous l’impulsion de la maison Sotheby’s, des ventes annuelles intitulées “Art italien du XXe siècle” ont démarré à Londres au mois d’octobre 1999. Christie’s lui a emboîté le pas en 2000. Mais aucun chef-d’œuvre futuriste n’a été proposé depuis quatre ans lors de ce rendez-vous d’octobre.

Quelques dessins et gouaches à saisir
L’Arlequin tournant de Gino Severini, daté de 1957 et adjugé 149 500 euros chez Christie’s le 22 octobre 2002, à Londres, est de la deuxième période futuriste du peintre. Le 23 octobre 2001, Dinamismo andamentale, une huile sur toile de Balla, vendue 163 400 euros, datait de 1923, époque correspondant à une nouvelle phase de recherches pour l’artiste, qui abandonne son exploration de la vitesse produite par l’outil moderne pour se concentrer sur le dynamisme du monde naturel. Chez Sotheby’s, le 22 octobre 2001, Linee forza di mare, un tableau de Balla qui s’inspire des mouvements de la mer, a trouvé preneur à 250 000 euros, en dessous de son estimation basse de 317 000 euros. Les collectionneurs ont plus de chance du côté des œuvres sur papier, dont les prix s’échelonnent en moyenne de 10 000 à 100 000 euros. Selon leur qualité, elles sont vendues à Londres ou à Milan. Studio per dinamismo d’automobile, une œuvre de 1913 au crayon sur carton de Balla, a été adjugée 74 000 euros chez Sotheby’s le 25 octobre 2000. La pénurie de tableaux futuristes sur le marché incite les amateurs à sélectionner les plus belles feuilles, à l’exemple d’Il ciclista, un dessin à la gouache et aquarelle du premier futurisme signé Carrà, qui est parti à 186 000 euros, au-delà de son estimation haute, le 11 mai 1994 à New York chez Christie’s. Une belle aquarelle de Severini illustrant l’Expansion centrifuge de la lumière (1912) est montée à plus de 250 000 euros le 6 décembre 2000 chez Christie’s à Londres, tandis que Dinamismo d’automobile, un dessin de Balla exécuté en 1913, a atteint 378 000 euros le 21 octobre 2002 chez Sotheby’s à Londres. Ce prix incroyable est justifié. “Le papier et la gouache étant particulièrement épais, ce dessin est l’équivalent d’un tableau”, commente Claudia Dwek, qui dirige le département Art moderne et contemporain de Sotheby’s à Milan. Tout ce qui ne peut sortir d’Italie est vendu sur place, souvent avec succès lorsqu’il s’agit de beaux lots : à Milan pour les maisons Sotheby’s, Christie’s et Finarte, à Prato pour l’auctioneer italien Farsetti. Ce dernier a vendu plus de 230 000 euros un pastel de Severini intitulé Danseuse lumière (1913), le 25 novembre 2000.
Il existe par ailleurs toute une constellation d’artistes italiens, à l’exemple de Crali, Dottori, Dudreville, Fillia, Korompay ou Tato, qui ont travaillé à partir des années 1920 dans la continuité des fondateurs du futurisme et que l’on appelle “seconds futuristes”. “Leurs œuvres sont plus colorées et leurs recherches plus statiques, indique Claudia Dwek. Ce marché des seconds futuristes est très localisé en Italie. Leurs prix varient de 5 000 à 100 000 euros pour un chef-d’œuvre des années 1920. Bien sûr, une toile de 1925 reste plus cotée qu’un tableau des années 1930.” Il est cependant quelques exceptions : il semble que Fortunato Depero et Enrico Prampolini aient fait une petite percée à l’international. Pour ces deux artistes, les enchères sont susceptibles de monter à 200 000 euros. Apparizione cosmica dell’essere aerodinamico (1935), un tableau de Prampolini, a été vendu plus de 120 000 euros par Finarte Milano, le 16 novembre 1993, et une autre toile de l’artiste s’est envolée à 207 000 euros lors de la dispersion Winston Malbin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°163 du 24 janvier 2003, avec le titre suivant : Les futuristes restent italiens

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