Droit

DROIT D’AUTEUR

Les embûches de la dévolution du droit moral aux différents types d’héritiers

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2025 - 991 mots

La transmission des droits patrimoniaux par testament n’inclut pas la dévolution du droit moral de l’auteur aux héritiers non légaux.

Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Plus qu’une autre, la succession d’un artiste est délicate : il disparaît et son œuvre lui survit. Cette continuité de l’œuvre de l’esprit à travers les ayants droit de l’artiste soulève un certain nombre de difficultés en cas de succession complexe comprenant des héritiers réservataires ou légaux (ayant un lien de parentalité directe avec le défunt) et des héritiers non réservataires ou non légaux. Tel est le rappel d’un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (18 septembre 2024) selon lequel la transmission testamentaire des droits patrimoniaux du droit d’auteur n’inclut pas la dévolution du droit moral aux héritiers non légaux : seuls les héritiers légaux peuvent être titulaires post mortem du droit moral en l’absence de volonté contraire exprimée par l’artiste de son vivant.

Le droit d’auteur est un droit spécifique tenant à sa nature composite qui mêle des prérogatives pécuniaires (droits patrimoniaux) et extrapatrimoniales (droits moraux). Alors que les droits patrimoniaux sont – en principe – dévolus selon les règles du droit commun des successions, les droits moraux suivent des règles spécifiques (articles L. 121-1 et L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle). Sommairement, cette dévolution s’organise selon le droit commun des successions pour le droit au respect et à l’intégrité et le droit à la paternité de l’œuvre – le droit de retrait ou de repentir disparaissant au décès de l’artiste – tandis que le droit de divulgation est transmis selon un ordre particulier. Cela se justifie par le fait que la divulgation est le don de l’œuvre au public et c’est parce que l’œuvre est divulguée qu’elle va pouvoir être exploitée.

Droit de divulgation

Dès lors, et afin de respecter la fidélité posthume à l’auteur, la dévolution successorale du droit de divulgation suit une organisation minutieuse : la loi se tourne en priorité vers l’exécuteur testamentaire, à défaut vers les descendants – en cas de pluralité, chacun peut exercer seul ce droit – et, en l’absence de ceux-ci, vers le conjoint survivant contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n’a pas contracté un nouveau mariage.

Pour autant, dans le cadre d’un testament comprenant tant des héritiers légaux que non légaux, le droit moral doit-il suivre le reste de l’actif successoral en l’absence de mention spécifique sur les droits d’auteur en général ? Cette interrogation est d’importance car parmi les droits moraux seul le droit de divulgation est générateur de redevances, les autres assurant seulement la protection morale de l’auteur et de son œuvre.

Des droits d’auteur aux seuls héritiers réservataires

À l’origine de cette question, un musicien a, par testament, légué à parts égales les sommes et les biens en sa possession lors de son décès à ses enfants issus de ses trois premières noces – héritiers réservataires – ainsi qu’à ceux de sa quatrième épouse qui étaient nés d’une précédente union – héritiers non réservataires. Les premiers se sont alors opposés aux seconds quant à l’attribution des sommes générées par l’exercice du droit de divulgation avant son décès. Par jugement du 19 février 2020, le tribunal judiciaire de Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence) a estimé que les droits d’auteur ne pouvaient être attribués qu’aux héritiers légaux. Une vision confortée par les juges d’appel aixois car « contrairement à ce que prétendent les [héritiers non réservataires], le testament ne concerne pas le droit moral de l’artiste-auteur qui doit être transmis à ses seuls héritiers légaux ».

La vision aixoise est parfaitement logique en ce qu’elle estime que la dévolution du droit de divulgation sur les œuvres posthumes ne peut concerner que les seuls héritiers réservataires en application de l’article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle. C’est ainsi que la Cour de cassation a pu juger le 20 février 2019 que seuls les descendants du dessinateur Jean Giraud (dit Moebius) pouvaient agir pour une atteinte au droit de divulgation des planches qu’il avait conçues pour l’adaptation cinématographique du roman Dune de Frank Herbert par le réalisateur Alejandro Jodorowsky [voir illustration], écartant ainsi les prétentions de sa veuve.

En revanche, un doute subsiste sur l’attribution des sommes perçues par le musicien sur ses œuvres anthumes aux héritiers réservataires au nom de leur titularité du droit de divulgation. En effet, l’application de la théorie de l’épuisement du droit de divulgation – bien que discutée en doctrine et en jurisprudence – pourrait induire l’idée que les héritiers « non légaux », qui ne pouvaient invoquer la titularité du droit de divulgation sur les œuvres anthumes, auraient pu percevoir les sommes en litige en l’absence en qualité de titulaires des droits patrimoniaux. En réalisant une interprétation extensive de l’article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle pour les redevances perçues du vivant de l’auteur, la position des juges aixois n’est pas sans interroger la plasticité intellectuelle du texte retenue par les juges. La Cour de cassation gagnerait donc à clarifier cette position.

À dire vrai, cet arrêt démontre, s’il en était encore besoin, que la titularité des droits patrimoniaux et moraux doit idéalement être dévolue à une seule et même personne pour éviter un fractionnement contraire à l’unité et la cohérence du droit d’auteur, mais la complexification et la recomposition des familles d’aujourd’hui n’est pas sans soulever des difficultés. Aussi, la solution d’un exécuteur testamentaire est une voie à privilégier, mais encore faut-il que la transmission du droit de divulgation à celui-ci soit conforme aux règles d’établissement des testaments. Le 28 mai 2015, la Cour de cassation a pu confirmer la nullité du testament de Bernard Buffet car le texte n’avait pas été écrit de la main du peintre (article 970 du code civil).

Pour l’heure, cet arrêt constitue une pierre supplémentaire à l’édifice successoral des artistes et convoque la nécessité de prévoir des dispositions testamentaires spécifiques sur le droit d’auteur, et plus encore sur le droit moral et le droit de divulgation.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : Les embûches de la dévolution du droit moral aux différents types d’héritiers

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