Les arts primitifs, îlot de résistance

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 26 août 2009 - 808 mots

Le marché de l’art primitif connaît des réajustements modérés. Le couperet tombe sur les objets moyens tandis que le haut du panier observe des prix soutenus.

Le marché des arts primitifs ne connaît-il pas la crise ? C’est l’impression que donnent les résultats des ventes publiques depuis un an. La prestigieuse collection Rosenthal a fait un carton en novembre dernier chez Sotheby’s New York, totalisant 10,85 millions de dollars. La maison de ventes a enregistré six records mondiaux, notamment celui de 4 millions de dollars pour une paire de statues-pilons Senufo de Côte-d’Ivoire.
« L’art primitif passe la récession de manière remarquable. Il n’y a pas un objet de grande qualité qui reste sur le carreau, observe le marchand bruxellois Didier Claes. Mais bon, il faut aussi dire que l’art primitif n’a jamais atteint les prix de l’art moderne. » En juin 2009, chez Sotheby’s, un masque Kwele, raisonnablement estimé autour de 400 000 euros, a pulvérisé son estimation pour atteindre 971 950 euros.

Un marché en plein rééquilibrage
En revanche, les estimations trop grosses ne font pas perdre la tête aux collectionneurs. Ainsi les résultats de la collection Philippe Guimiot, dispersée par Sotheby’s, se sont révélés irréguliers. Seuls deux des six principaux lots ont été adjugés au cours de la vacation. Les méventes ont toutefois été compensées après coup par des transactions de gré à gré.  Les enchères récentes ne devraient toutefois pas agir en trompe-l’œil. Nous ne sommes plus à l’ère de la collection Pierre et Claude Vérité, laquelle avait totalisé plus de 44 millions d’euros en 2006. À cette occasion, un masque Ngil Fang fut acheté pour 5,9 millions d’euros, vraisemblablement par la patronne de L’Oréal, Liliane Bettencourt. En 1996, lors de la vente Pierre Guerre, un autre spécimen Ngil Fang avait atteint 2 millions de francs.
Pourrait-on atteindre aujourd’hui ces niveaux de prix ? « Les pièces importantes se vendraient exactement pour les mêmes sommes », observe Pierre Caput, consultant chez Sotheby’s. En revanche, le médiocre ne décollerait pas de la même manière. Car après un coup de chauffe, le marché observe un atterrissage en douceur. Les corrections avaient commencé imperceptiblement depuis quelques années. Rappelons qu’un singe mendiant Baoulé, surpayé à 3,7 millions de francs dans la vente Gaffé en 2001, a dû se « contenter » de 270 066 euros en 2004 (1,76 million de francs).

Parcours des Mondes s’organise
Le pedigree, qui avait tendance à apporter une plus-value abusive sur les objets moyens, a fait long feu. La sélectivité est de mise et le critère premier reste celui de la rareté quelle que soit l’ethnie concernée. En juin 2008, une statue Kanak de Nouvelle-Calédonie s’était adjugée pour  696 750 euros sur une estimation de 30 000 euros. « Le top continue de se vendre parce qu’il y a beaucoup de demandes et très peu d’objets. Le moyen de gamme ne se vend que si on est très en dessous du prix du marché, confie le marchand Bernard Dulon. Un Bakota normal vaut entre 50 000 et 70 000 euros. Un Bakota moyen se contente de 20 000 euros. »
Néanmoins, la situation en galerie n’est pas aussi rose que dans les ventes publiques. La plupart des marchands révèlent une fréquentation réduite sinon nulle. Les amateurs ayant perdu pas mal d’argent dans la tourmente, les exposants du Parcours des Mondes privilégient des objets dits « accessibles ». « Ce n’est pas le moment d’essayer de demander les prix d’il y a deux ans pour des œuvres importantes », observe le marchand belge Bernard de Grunne. Son confrère parisien Renaud Vanuxem confie vendre principalement en ce moment des objets entre 1 000 et 8 000 euros. « Au-delà de 15 000 euros, les achats sont plus réfléchis », déclare-t-il. Ainsi au Parcours des Mondes, la galerie Dandrieu-Giovagnoni offre beaucoup de pièces inférieures à 100 000 euros et se concentre sur des objets à l’esthétique classique.
Si les collectionneurs ont longtemps eu la tentation du totem ou du trophée, le spectaculaire est aussi remisé au profit de pièces plus intimes, de petite taille, parti pris de la galerie Arte y Ritual sur le Parcours des Mondes. En art primitif comme ailleurs, la prudence est de mise. nRoxana Azimi

Repères

Collection Hubert Goldet (2001) :
avec un total de 88,24 millions de francs sous le marteau de François de Ricqlès, cette vente marque un jalon en doublant son estimation initiale de 40 millions de francs.

Collection Béla Hein (2005) :
cette collection de trente objets a fait sensation avec un total de 5,6 millions d’euros chez Fraysse et Associés. À cette occasion, une petite tête en ivoire Lega a atteint 2,4 millions d’euros.

Collection Vérité (2006) :
avec un total de 44 millions d’euros, cette vente-fleuve est la plus importante de tous les temps. Parmi les records, un masque Ngil Fang a été adjugé à 5 millions d’euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°616 du 1 septembre 2009, avec le titre suivant : Les arts primitifs, îlot de résistance

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