Galerie

Le retour d’Agnès Thurnauer

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 13 janvier 2021 - 495 mots

PARIS

L’artiste franco-suisse revient sur le devant de la scène contemporaine en présentant son travail axé sur le langage pictural.

Agnès Thurnauer et ses matrices chromatiques à l'Orangerie © Sophie Crepy.
Agnès Thurnauer
© Sophie Crepy

Paris. Agnès Thurnauer n’a pas eu de galerie pendant dix ans. Une décennie comme un franchissement du désert pour l’artiste dont le travail avait été mis en lumière en 2003 par une exposition personnelle au Palais de Tokyo (« Les circonstances ne sont pas atténuantes »), rassemblant des tableaux pensés comme des expériences performatives.

Depuis un an, elle est représentée par la galerie Michel Rein. Celle-ci lui consacre un solo show au moment où son actualité est à nouveau très riche : le Musée de l’Orangerie vient d’inaugurer ses Matrices chromatiques, assises sculpturales composées de douze lettres diffractées dans le bâtiment. La ville d’Ivry, où Agnès Thurnauer a son atelier, lui a passé commande de vingt consonnes pour l’espace public. Enfin le LaM, à Villeneuve d’Ascq, doit accueillir en 2021 une grande installation de Matrices en verre coloré.

L’écriture pour matière première

Les œuvres réunies à la galerie, peintures et sculptures, majoritairement récentes, illustrent la permanence d’un travail sur le langage qui cherche à en saisir « la corporéité », explique l’artiste. Travail nourri par la lecture, les notations, le doute : le sens se produit par fragments. Ainsi des Prédelles, dyptiques découpant les syllabes des mots, dont elle a commencé une nouvelle série, et où réapparaissent ces architectures voûtées, alcôves esquissées récurrentes dans ses tableaux. L’écriture, encore, sert de grille aux Peintures d’histoire, dans lesquelles un extrait de texte retranscrit précède sur la toile des portraits de femmes peints comme en pointillés. La référence au livre du philosophe trans Paul B. Preciado (Un Appartement sur Uranus) renvoie à cet autre thème présent dans l’œuvre : celui du genre, de ses représentations et de ses possibles migrations. Mais là où, en 2009, dans le cadre de l’exposition « Elles@Centre Pompidou » de Camille Morineau, le propos d’Agnès Thurnauer semblait avoir une longueur d’avance, une certaine fraîcheur, il paraît aujourd’hui noyé dans l’air du temps. On retrouve d’ailleurs ici deux nouveaux Portraits grandeur nature, ces badges surdimensionnés détournant les noms de maîtres du XXe siècle en les féminisant, jouant avec l’idée d’une relecture de l’histoire de l’art, moins masculine. Ou moins binaire : aux côtés de Roberte Mapplethorpe et d’Eugénie Delacroix, Claude Cahun suggère un autre mode, indéfini.

Les Matrices / Assises, enfin, font sortir l’écriture du tableau pour l’incarner dans des sortes de pochoirs géants, d’énormes socles creusés de laiton doré invitant à une station contemplative. On regarde alors en vis-à-vis un des premiers tableaux de la série « Big-Big et Bang-Bang », commencée en 1995, où se dressent d’étranges formes anthropomorphes que l’on dirait enfantines. Sur celui-ci, la figure se tient seule, et non en duo, comme ce sera presque toujours le cas par la suite. Car la quête passionnée du dialogue est sans doute ce qui anime l’œuvre d’Agnès Thurnauer, qui cite volontiers cette phrase de Maurice Blanchot : « Pour dire une chose, il faut deux voix au moins, parce que celui qui la dit, c’est toujours l’autre. »

La Traverser, Agnès Thurnauer,
jusqu’au 23 janvier 2021, Galerie Michel Rein, 42, rue de Turenne, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°558 du 8 janvier 2021, avec le titre suivant : Le retour d’Agnès Thurnauer

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