Antiquaire - Ventes aux enchères

XVIIIE SIÈCLE

Le marché du mobilier XVIIIe siècle reprend (un peu) des couleurs

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 14 février 2022 - 1172 mots

Fer de lance du marché français il y a vingt ans, le mobilier du XVIIIe siècle est passé de mode. Pour autant, le marché n’est pas inerte et connaît même depuis quelque temps un frémissement.

Bernard III Van Risen Burgh (BVRB), Commode Louis XV, vers 1765, laque, ébène, cédée par Christie's New York lors de la vente Rothschild en juillet 2019. © Christie’s Images Limited 2022
Bernard III Van Risen Burgh, Commode Louis XV, vers 1765, laque, ébène, cédée par Christie's New York lors de la vente Rothschild en juillet 2019.
© Christie’s Images Limited 2022

Dans les années 1980 et 1990, le marché du mobilier du XVIIIe siècle atteignait des sommets. Tout se vendait, le bas, le moyen et le haut de gamme. « En 1999, la vente de la collection Riha à New York enregistrait encore des records. Puis il y a eu le 11 septembre 2001, une date fatidique qui a marqué la fin de cet âge d’or », estime l’antiquaire Philippe Perrin. « Mais depuis une dizaine d’années, ce marché est dans une relative stabilité », ajoute l’expert indépendant Pierre-François Dayot.

Certes, les prix ont baissé. « Quand je consulte des inventaires d’il y a vingt ans, en valeur réactualisée, très souvent, je mets la moitié », confie l’expert. Au plus haut du marché, une paire de fauteuils à la Reine, époque Louis XV, valait entre 30 000 et 50 000 euros contre 5 000 à 10 000 aujourd’hui. « Les adjudications de la vente Rothschild en juillet 2019 chez Christie’s Londres (28,5 M€) étaient 30 à 40 % moins hautes qu’à la belle époque », se souvient Philippe Perrin. Quoi qu’il en soit, les collectionneurs ont désormais bien intégré cette baisse de prix. « Ce n’est pas parce que c’est moins cher que c’est moins bien ; donc si c’est moins cher, il faut en profiter », recommande l’expert indépendant Simon-Pierre Étienne (Cabinet Étienne-Molinier).

Depuis la pandémie et l’arrivée des nouveaux outils numériques, les acteurs du marché ont remarqué un frémissement. « Si, après avoir beaucoup baissé, le mobilier du XVIIIe siècle a atteint un plancher il y a trois ou quatre ans, il y a aujourd’hui un regain d’intérêt, notamment grâce au télétravail, à la désertion des villes et à une plus grande attention portée à sa résidence secondaire », observe Simon de Monicault, chef du département Mobilier et objets d’art chez Christie’s. Les taux de vente atteignent d’ailleurs 80 % dans la spécialité chez Christie’s et Sotheby’s, « ce qui est tout à fait satisfaisant », souligne Brice Foisil, à la tête du département chez Sotheby’s. « Il m’arrive même de faire des ventes avec 100 % de lots adjugés », renchérit Simon-Pierre Étienne. « Je viens juste de vendre la commode en laque du Japon de Bernard Van Risen Burgh (BVRB), Louis XV [voir ill.], acquise à la vente Rothschild en juillet 2019 (2,2 M€). Cela montre que les gens achètent et cherchent à collectionner les meubles anciens », estime à son tour Benjamin Steinitz, marchand d’arts du XVIIIe siècle, qui a également remarqué un intérêt plus marqué des musées depuis deux ou trois ans.

Le numérique stimule les ventes à l’international

Ce regain d’intérêt s’explique pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’internationalisation, qui s’est accentuée depuis cinq ans. « Dans la vente “Le Goût français”, en avril dernier, il y avait trente-cinq nationalités différentes. Avant, il n’y avait que les États-Unis et l’Europe, mais aujourd’hui, il y a des pays inattendus, comme la Thaïlande. On exporte, hors de l’Europe, 30 voire 40 %. Les étrangers adorent de plus en plus acheter et faire restaurer à Paris », constate Simon de Monicault. L’évolution de la technologie numérique – les photos et vidéos qui ont gagné en qualité – a stimulé les ventes à distance. « En 2021, notre chiffre d’affaires de ventes sur photos se situe entre 500 000 et 700 000 euros. Avant la pandémie, c’était zéro », témoigne l’antiquaire Guillaume Léage. Enfin, comme dans les autres domaines, le secteur a bénéficié de l’arrivée de nouveaux acheteurs, grâce au succès des ventes en ligne et l’accroissement des réseaux sociaux.

Meubler les résidences secondaires

« Tout se vend. Ce qui se vendait fort mal – le mobilier classique, courant – se vend mieux », annonce Simon-Pierre Étienne. « Le haut de gamme toujours, et ce qui n’est pas cher et qui vient meubler les résidences secondaires », ajoute Philippe Perrin. Les sièges, faciles à placer dans une pièce, se vendent bien, avec un large éventail de prix, de 50 euros pour une petite chaise cannée, un peu cassée et mal restaurée, jusqu’à 1 million d’euros pour un très beau siège royal. Les commodes ont toujours les faveurs des acheteurs – avec très régulièrement des adjudications entre 30 000 et 60 000 euros à Drouot –, spécialement les commodes en laque. Les secrétaires à abattant sont moins désirés – il est plus difficile d’y poser un ordinateur –, tandis que les bureaux plats et les consoles ont toujours la cote. Un meuble en bois naturel – en particulier le côté austère de l’acajou – plaît davantage qu’un meuble en marqueterie. Les lignes priment désormais sur le décor, avec un intérêt plus marqué pour le Louis XVI, plus architectural, que le Louis XV. « Il connaît une certaine désaffection. La rocaille, la marqueterie de fleurs séduisent moins aujourd’hui », confirme Brice Foisil.

Les ébénistes iconiques attisent toujours les convoitises. En novembre 2020, chez Sotheby’s New York, un bureau plat Régence, d’André-Charles Boulle, de la collection Zilkha, a atteint 2 millions de dollars [1,8 M€] tandis que l’armoire à folios, de BVRB, de la collection Machault d’Arnouville, a atteint 1,3 million d’euros à Drouot en juillet dernier. « Pas sûr que nous l’aurions mieux vendue avant, au contraire », lance Pierre-François Dayot. D’une manière générale, les meubles encombrants – tables de salle à manger, armoires, grands canapés – se vendent difficilement. Même chose pour les coiffeuses, régulateurs de parquet et encoignures, désormais moins dans les usages.

Des acheteurs plus regardants

Pour autant, quelle que soit la typologie du meuble, la vente est plus que jamais soumise à certains critères. La provenance, d’abord. « Dans les années 1980, le client achetait le beau meuble, sans se soucier de son histoire alors qu’aujourd’hui, elle est systématiquement demandée ou le meuble est rapproché d’un autre similaire », reconnaît Guillaume Léage. Il faut dire que l’affaire des faux meubles qui a éclaté en 2016, même si elle a meurtri le marché – et cassé la confiance –, l’a aussi assaini et fait augmenter le niveau d’exigence. Quant aux provenances très prestigieuses, elles continuent à décupler les prix. Les quatre sièges du comte d’Artois par Jacob se sont ainsi envolés à 1,2 million d’euros en juillet 2020 chez Artcurial.

L’aspect du meuble entre aussi en considération : « L’état de conservation, celui des dorures… Un meuble trop restauré tout comme une restauration trop coûteuse sont rédhibitoires », admet Brice Foisil. Enfin, les estimations doivent être attractives. « C’est d’autant plus vrai si un meuble n’est pas facile à vendre. Avec une estimation raisonnable, on peut attirer du monde, et ça, les vendeurs l’ont bien compris », souligne Simon-Pierre Étienne. « Le bon objet, vendu au bon endroit et estimé au bon prix se vend », résume Simon de Monicault.

Pour l’avenir, les acteurs du marché s’accordent à penser qu’il pourrait y avoir une inversion de tendance. « Comme la demande est plus importante actuellement, les maisons de ventes vont augmenter leur prix et le mobilier va reprendre de la valeur », pense Guillaume Léage. Et, mécaniquement, quand les prix augmentent, les pièces sortent des collections.

 

 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°582 du 4 février 2022, avec le titre suivant : Le marché du mobilier XVIIIe siècle reprend (un peu) des couleurs

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