Galerie

L'avenir incertain des galeries de Belleville

Par Sibylle Aoudjhane · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2020 - 1116 mots

PARIS

Réputée pour présenter un art de nature expérimentale, la dizaine de galeries rassemblées dans le nord-est de Paris est à la recherche d’un second souffle.

La Galerie Jocelyn Wolff à Belleville. © Photo Louise Desmas.
La Galerie Jocelyn Wolff à Belleville.
© Photo Louise Desmas.

Avec le départ annoncé d’Antoine Levi, c’est une galerie majeure de Belleville qui quitte le 20e arrondissement pour rejoindre le centre de Paris. Une nouvelle épreuve pour le quartier, qui a déjà vu déménager, ou fermer, plusieurs espaces d’exposition. À l’époque, dans cet environnement particulièrement bon marché, les galeries « poussaient comme des champignons », selon le collectionneur Romain Leclere habitué du quartier. Mais après une décennie d’effervescence, Belleville a perdu de son éclat.

Tout commence en 2003, lorsque Jocelyn Wolff s’y installe. « C’était le quartier le plus central avec un loyer raisonnable. C’était aussi une zone de mixité sociale correspondant aux valeurs esthétiques progressistes présentées par nos artistes », explique le galeriste. Et la greffe prend. Certaines galeries comme Sultana vont même jusqu’à quitter le Marais en 2014 pour l’Est parisien. « Le Marais est déséquilibré, tout le monde va chez Perrotin. Et les loyers sont très chers. J’avais besoin d’un quartier où je pouvais créer un lien avec les lieux d’exposition autour de moi », explique Guillaume Sultana, directeur de la galerie.

« Nous avons voulu construire un public dans un territoire », poursuit Jocelyn Wolff. Rapidement, le quartier commence à se gentrifier et apparaissent des lieux d’exposition tel l’espace alternatif Castillo/Corrales. Mais, comme les galeries Bugada & Cargnel ou Samy Abraham, ces lieux ont fermé. Pour Romain Leclere, leur fermeture montre que Belleville s’est désormais assoupi. « À un moment donné, c’est là-bas que les choses se faisaient. Il y avait un effet de groupe, un effet de scène, qui sortait des galeries de la rue de Turenne. Ces galeries ont été les premières à montrer l’art émergent d’artistes internationaux », juge-t-il avec nostalgie.

Un manque de grands espaces

Parmi celles qui ont réussi à se faire une place dans le monde de l’art grâce à Belleville, plusieurs ont dû déménager car le quartier ne permet pas de se développer. High Art, Gaudel de Stampa, et bientôt Antoine Levi, ces galeries ont voulu donner un second souffle à leur activité. Située quai des Grands-Augustins (6e arr.), Gaudel de Stampa est partie en septembre 2013 pour un local au plafond surmonté d’une verrière. « Les loyers de Belleville ont augmenté et il y a très peu d’opportunités en termes d’espace pour s’agrandir, explique Denis Gaudel, son fondateur. À Belleville, nous sommes très limités dans les dimensions des lieux proposés. » Dans sa configuration, le quartier ne laisse pas la possibilité de devenir une grande galerie.

Pour Philippe Joppin, de High Art, qui déménage en 2017 dans le 9e arrondissement, c’était aussi une question d’image. « Notre espace ne correspondait plus à ce que l’on voulait refléter. Nous voulions plus de visibilité, plus de passage et renouveler les expositions de nos artistes », justifie Philippe Joppin. Quant à Antoine Levi, sa galerie déménagera fin mars rue de Turbigo dans le 3e arrondissement. « Belleville est une plateforme à tremplin. Mais nous espérons avoir plus de passage avec un espace qui a pignon sur rue au cœur de la scène parisienne. C’est un geste de maturité », assure le galeriste.

Belleville rassemblait jusqu’ici neuf galeries en son épicentre et vingt à l’échelle de l’arrondissement. Depuis l’installation de Jocelyn Wolff, la zone a eu le temps de se structurer. L’association « Le Grand Belleville » rassemble désormais la plupart des galeries du quartier. Il y a une véritable volonté de faire de Belleville un lieu culturel, un passage obligé dans le parcours des collectionneurs. Toutes les galeries offrent au visiteur un plan, financé par l’association, qui permet de visualiser la constellation des lieux d’exposition dans le 20e arrondissement.

L’association veut aussi montrer que le quartier est stable avec une sociologie de galeries majoritairement petites qui ne participent pas aux grandes foires. Seules Marcelle Alix et Jocelyn Wolff étaient présentes à l’édition 2019 de la Fiac (Foire internationale d’art contemporain). Les galeries Crèvecœur, Sultana et Antoine Levi se reconnaissent davantage dans Paris Internationale, une foire dont elles ont été les co-créatrices. Fondée en 2015, Paris Internationale vise à promouvoir le travail d’artistes émergents et veut attirer des exposants participant pour la première fois à une foire parisienne. Une manière d’éviter la concurrence des grandes galeries et d’afficher un programme artistique plus homogène. Ces galeries exposent toutes un art « peu commercial », selon les termes de Jocelyn Wolff.

À la fois agents et victimes de la gentrification

Il règne un réel « esprit de quartier » entre les galeries, qui organisent des événements en commun comme des dîners et vernissages. « Entre galeries, nous partageons souvent les frais de transport pour les foires par exemple, indique Guillaume Sultana. Cette coordination est aussi appréciable pour les visiteurs : les événements sont plus grands, nous mélangeons nos réseaux, cela donne un signal positif. »« Je suis un peu nostalgique de ce moment fédérateur qu’il n’y a plus du tout dans le 6e arrondissement », avoue quant à lui Denis Gaudel. La gentrification frappe désormais Belleville : les loyers sont en hausse, et les galeries qui voudraient s’y installer ne le peuvent plus. Le quartier se stabilise mais ne se renouvelle pas. Ceux qui peuvent l’utilisent comme tremplin avant de rejoindre le centre de Paris.« Nous participons totalement à cette gentrification, reconnaît Isabelle Alfonsi, codirectrice de la galerie Marcelle Alix. Nous sommes les victimes et les agents de ce mouvement, qui fait que nous ne pouvons pas nous agrandir. » Elle ajoute : « Il n’y a plus qu’un certain type de commerce aujourd’hui et il n’y a pas de jeunes galeries. » Outre la question du loyer, le temps de l’effervescence est révolu. « Il faut reconnaître un certain essoufflement de Belleville qui est lié notamment à l’implosion du marché de l’art, analyse Antoine Levi. Il y a un affaissement des visites à Paris, un trop-plein de foires et le public se dilue. »

À nouveau précurseur, Jocelyn Wolff s’est installé en octobre 2019 avec trois autres galeries dans un espace situé à Romainville (Seine-Saint-Denis) qui pourrait être le nouveau lieu de la jeune création. Mais pour de nombreux galeristes, le foisonnement de l’offre à Paris rend caduque la notion de « quartier ». « Il y a une telle dispersion et Paris est si cher qu’il n’y aura plus d’espace fédérateur pour les galeries », estime Denis Gaudel. « Bientôt, avec le Grand Paris, les frontières géographiques de la ville vont évoluer, il n’y aura plus d’idée de quartier », ajoute Philippe Joppin. Les travaux du Grand Paris vont changer les notions de distance, les collectionneurs étrangers se déplaceront de la même façon que dans les grandes métropoles, à l’image de Londres. L’ancrage dans un quartier particulier comme le Marais, ou plus largement à Paris, ne sera plus une priorité. On ne cherchera plus « le prestige d’une adresse », assure Jocelyn Wolff.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Quel avenir pour les galeries de Belleville ?

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