Galerie

ART CONTEMPORAIN

Laurent Grasso, l’intemporalité d’une île

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 8 décembre 2023 - 711 mots

PARIS

L’artiste revient à la galerie Perrotin avec une exposition conçue autour de son dernier film tourné en Asie. Une réflexion contemporaine sur le paysage.

Paris. Dans chaque exposition de Laurent Grasso (né en 1972), tout est précis, pesé, pensé jusqu’au moindre détail. L’ensemble est d’ailleurs à aborder et à regarder comme une entité, une œuvre globale. Ce 8e solo show chez Perrotin (et le 4e à Paris) n’échappe pas au protocole endémique et complexe qui conduit l’artiste à conjuguer, autour d’un noyau, les différentes disciplines qu’il pratique : peinture, sculpture, installation, objet et film. C’est ainsi une nouvelle fois autour d’un film, Orchid Island [voir ill.] que toutes les autres œuvres sont ici constellées.

Après le précédent Otto réalisé en Australie, ce nouvel opus d’une durée de 19 min (avec une bande-son parfaite de Nicolas Godin, membre du groupe Air) a été tourné sur une île taïwanaise. Si Grasso va loin, ce n’est pas par désir d’exotisme mais par volonté de filmer une nature et des paysages de fin – ou de début – du monde avec ce que sous-entend toute vision idéalisée, paradisiaque. Dans ce qui est ici son premier film en noir et blanc, on découvre aussi bien des premiers plans avec une végétation luxuriante que, d’autres plus larges, avec paysages et montagnes vus de loin ou du ciel grâce à l’utilisation d’un drone. On retrouve son écriture et son vocabulaire, notamment un travail sur l’image extrêmement soigné, filmé comme au ralenti, avec un instant atemporel, suspendu et hypnotique. En découle, comme à chaque fois, une sensation de mystère, d’étrangeté, voire de menace accentuée ici par l’apparition entre les nuages blancs, d’un rectangle noir, qui tel un monolithe kubrickien, se déplace doucement et vient projeter une ombre énigmatique sur le sol. Entre le sublime et le danger.

La sensation de voile, d’atmosphère éthérée, de distanciation et d’interpellation caractérise également quatre tableaux de la série « Studies into the past », subtiles déclinaisons réalisées à partir des paysages du peintre américain Frederic Edwin Church (1826-1900), qui viennent prolonger la réflexion sur la nature et la présence, et surtout l’absence de l’humain.

D’autres nuages sont évoqués dans la salle voisine. Mais ils sont, eux, au sol, en granit, une face lisse, l’autre rugueuse. Une façon de mettre le monde à l’envers et de s’amuser avec les contraires : le lourd et le léger, le solide et le vaporeux, le noir et le blanc. Un tout petit tableau isolé montrant en relief une petite météorite vient encore leur donner une autre dimension, vertigineuse, cosmique.

D’une œuvre à l’autre et d’une salle à l’autre se dessinent les mêmes thèmes et principes chers à Grasso depuis ses débuts il y a une vingtaine d’années, ceux de la superposition (entre millefeuilles et palimpseste) d’images et de temporalités différentes ; de la constante tension, diffuse mais palpable, née des différents enjeux convoqués ; de son intérêt « à décrypter des dispositifs qui nous entourent », ainsi qu’il le précise.

Un artiste bien identifié par les collectionneurs et les institutions

De 30 000 euros pour les petits formats jusqu’à 200 000 euros pour les œuvres les plus importantes, les prix peuvent paraître élevés pour un artiste français de sa génération. Mais Grasso bénéficie d’une indéniable reconnaissance sur la scène internationale, aussi bien auprès de collectionneurs privés que d’institutions grâce, d’une part, à sa présence dans l’équipe de la galerie Sean Kelly (New York, Los Angeles) et, d’autre part, à sa place au sein de la galerie Perrotin avec ses dix adresses (dont trois à Paris) dans sept villes (et bientôt huit avec l’ouverture prévue d’un espace à Los Angeles au premier trimestre 2024) dont quatre en Asie. À la suite de son exposition au collège des Bernardins à Paris, en octobre 2022, le SEMA – Séoul Museum of Art –, deuxième musée public en Corée, a fait l’acquisition du film Anima. À Hongkong, le Deji Art Museum a, l’an dernier, acheté une sculpture, de même que le Dib Bangkok International Museum of Congtemporary Art un ensemble d’œuvres récentes. En ventes publiques, où peu d’œuvres passent, Studies into the past (circa 2009), une huile sur panneau de 70 x 58 cm a atteint 50 000 euros (pour une estimation entre 20 000 et 30 000 euros) chez Christie’s Paris, en novembre 2022.

Laurent Grasso, Orchid Island,
jusqu’au 23 décembre, galerie Perrotin, 76, rue de Turenne, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : Laurent Grasso, l’intemporalité d’une île

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