La surenchère des "nouveaux Russes"

Le poids de ces collectionneurs fortunés est de plus en plus important sur le marché de l’art

Le Journal des Arts

Le 29 août 2003 - 801 mots

Les nouveaux Russes sont de plus en plus présents lors des ventes aux enchères. Au mois de juin à Londres, des clients privés russes ont acquis des tableaux du XIXe siècle et du début du XXe siècle chez Sotheby’s, établissant quatre nouveaux records. Le même scénario s’est récemment déroulé à New York, où du mobilier et de l’art russe ont été cédés à des prix élevés.

LONDRES - Ces nouveaux collectionneurs russes (lire le JdA n° 168, 4 avril 2003) sont généralement fortunés, possèdent de gigantesques datchas fraîchement bâties et le goût pour des tableaux très colorés destinés à les décorer. Lors des trois dernières années, ils ont envahi les salles de ventes, damant le pion à des acheteurs traditionnels d’art russe – des émigrés ou des collectionneurs établis.
À l’issue de la vente russe chez Sotheby’s le 21 mai, des collectionneurs privés russes sont repartis avec neuf des dix plus beaux lots. La vente a rapporté près de 7,2 millions d’euros, le plus beau succès dans cette catégorie pour la société, avec en tête de file un luxurieux nu réalisé par l’artiste préféré de Josef Staline, Boris Kustodiev, qui s’est imposé à 845 600 livres sterling (1 231 176 euros, est. 250 000 à 350 000 livres). Le même jour à New York, Christie’s a obtenu 657 100 dollars (579 366 euros, est. 600 000 à 900 000 dollars) avec une paire de commodes russes ornées de chrysocale, le deuxième prix jamais atteint pour du mobilier russe, tandis qu’aux William Doyle Galleries, toujours le même jour, le Navire en haute mer d’Ivan Aivazovsky a atteint 152 500 dollars (134 000 euros, est. 15 000 à 25 000 dollars).
Ces prix témoignent de l’élan actuel pour l’art russe. Il y a vingt ans, une œuvre importante de Boris Kustodiev n’aurait pas dépassé les 45 000 euros. En 1989, un nouveau record avait été établi pour l’artiste à 73 000 livres pour La Femme du marchand. En 1995, une Fête au village (1920) avait rapporté 41 000 livres (60 000 euros). Cinq ans plus tard, en 2000, une autre Fête au village s’est vendue 325 000 livres (473 000 euros). Aussi Sotheby’s et Christie’s commencent-elles sérieusement à s’intéresser à ce marché en pleine expansion. À Londres, Sotheby’s organise des ventes spécialisées depuis deux ans et Christie’s, qui avait relégué le département d’art russe dans ses locaux moins prestigieux de South Kensington, a décidé de ramener la spécialité au sein de la maison mère de King Street. Une vente spécialisée, qui inclut œuvres d’art, argenterie, émaux, œufs Fabergé et tableaux, est prévue pour le mois de novembre.

Les “oligarches”
Ces “nouveaux Russes” le sont également pour les maisons de ventes. Ils semblent être apparus en très peu de temps : en 2000, le magazine américain Forbes ne citait pas un seul Russe dans sa liste de personnes les plus riches au monde. Aujourd’hui, classée derrière les États-Unis, l’Allemagne et le Japon, la Russie compte 17 milliardaires. Ils sont jeunes – âgés de trente à cinquante ans – et immensément riches. Mikhail Khodorkovsky est par exemple le 26e homme le plus riche du monde et sa fortune est estimée à 8 milliards de dollars. Surnommés les “oligarches”, ces gens ont bâti leurs fortunes grâce au rachat des exploitations de ressources naturelles bradées par l’État russe au début des années 1990. Ils n’ont cependant pas encore la culture du collectionneur. “Il est difficile de parler d’un passé de collectionneurs, sachant qu’il était presque impossible de l’être pendant l’ère communiste”, explique Joanna Vickery, experte chez Sotheby’s, ajoutant que sa liste de clients diffère totalement de celles des autres départements.
“C’est un phénomène social intéressant, observe le géologue et collectionneur russe Nikita Lobanov-Rostovsky. Ces personnes ne connaissent rien à l’art, elles ont fait fortune si facilement qu’elles peuvent la dépenser à tort et à travers. Imaginez-vous, il existe une boîte de nuit à Moscou dont le seul coût d’entrée s’élève à 500 dollars ! Dans la salle de ventes, les nouveaux Russes lèvent la main jusqu’à ce qu’ils obtiennent ce qu’ils désirent. Ils sont jeunes et encore très occupés à gagner de l’argent : ils n’ont pas le temps d’étudier ou de faire des recherches.”
Malheureusement pour le patrimoine culturel russe, tout ce qui a été vendu à Londres ne retournera pas nécessairement en Russie. “Le système fiscal russe n’a qu’un terme pour définir les biens importés, et il s’agit de ‘marchandise’, explique Lobanov-Rostovsky. Les taxes sur l’importation sont de 30 %, dont 10 % correspondent à la TVA et 20 % aux taxes douanières. Ainsi, le deuxième lot le plus cher de la vente Sotheby’s, Vision du petit garçon Bartholomé, de Nesterov, qui a doublé son estimation à 509 600 livres (740 400 euros), génèrerait 152 000 livres en taxes additionnelles. C’est dommage pour la Russie.”

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°175 du 29 août 2003, avec le titre suivant : La surenchère des "nouveaux Russes"

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