Émirats

La censure frappe à Dubaï

La foire Art Dubaï a pris cette année une tournure très locale

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2010 - 704 mots

La manifestation a pâti du raidissement du marché et du conservatisme ambiant.

DUBAÏ - Jusqu’à présent, la foire Art Dubaï (Émirats arabes unis) avait mis la charrue avant les bœufs, voulant devenir rapidement internationale alors que le marché local était balbutiant. Cette année, faute de combattants étrangers, le salon (17-20 mars) a pris un tour très local et a collé aux attentes actuelles de la région. Certes les œuvres, majoritairement des peintures, étaient parfois plates. Mais les galeries du cru avaient fait de sérieux efforts de présentation.

La pédagogie fait lentement son chemin. Malheureusement, l’événement était frappé par un conservatisme rampant, symptomatique du raidissement de l’émirat depuis la crise économique.

Après avoir été une Babylone libérale, Dubaï cherche à gommer les signes de laxisme. Ainsi à la foire off « Al Bastakiya », le champagne fut interdit lors du vernissage. Plus grave, l’artiste libanaise Laudi Abilama a dû décrocher deux toiles consacrées, l’une à l’ancien shah d’Iran, l’autre à l’ayatollah Khomeiny. Ces tableaux étaient pourtant plus illustratifs que politiques. Deux artistes iraniens ont été aussi frappés par la censure sur Art Dubaï. Une peinture de Ramin Haerizadeh, qui montre l’artiste barbu affublé ironiquement d’un tchador, a été retirée des cimaises de la galerie Isabelle Van den Eynde (Dubaï) avant le passage du cheikh Mohammad bin Rashid Al-Maktoum.

Un autre tableau de cet artiste a été caviardé sur une publicité en quatrième de couverture du quotidien réalisé sur la foire par le magazine Canvas. Un drapeau de Sara Rahbar a pour sa part été enlevé du mur extérieur de la galerie Carbon 12 (Dubaï). Ironie du sort, cette pièce avait été acquise quelques heures plus tôt par une célébrité de la région, la sheikha Paula Al-Sabah du Koweït… « Quand tout allait bien et que c’était le boom, la voix des conservateurs ne s’entendait pas autant que maintenant », regrette un observateur local.

Ce refroidissement était perceptible dans les affaires, plus lentes au démarrage. Pour éviter les déconvenues, certaines galeries avaient tablé sur des œuvres « abordables ». « On a décidé de ne rien apporter qui dépasse les 15 000 dollars. Ce n’était pas pertinent de venir avec un TV Santosh à 90 000 dollars », expliquait Renuka Sawhney, de la galerie The Guild (Mumbai, New York). Quelques exposants, comme Leila Taghinia-Milani Heller (New York), Isabelle Van den Eynde et Andrée Sfeir-Semler (Hambourg, Beyrouth) ont toutefois un peu vendu.

Le jeune sultan Sooud Al-Qassemi (lire l’encadré) fit le miel de la galerie Caprice Horn (Berlin), en emportant une pièce d’Abdul Nasser Gharem. Il s’est aussi saisi chez Dirimart (Istanbul) d’une broderie de Ghada Amer pour 160 000 dollars. « Cela faisait des années que je cherchais une œuvre d’elle qui ne soit pas trop érotique, autrement je n’aurais pu la montrer ici, nous a-t-il expliqué. J’ai enfin trouvé ! »

La majorité des ventes enregistrées sur la foire plafonnaient autour de 20 000 dollars. Tous les participants n’avaient toutefois pas raisonné sous l’angle économique. Ainsi le très beau stand commun concocté par les Parisiens Kamel Mennour et Chantal Crousel établissait un dialogue subtil entre Mona Hatoum, François Morellet, Latifa Echakhch, Daniel Buren et Gabriel Orozco.

De même, la galerie October (Londres) avait accroché une immense pièce d’El Anatsui. Pourquoi avoir apporté une œuvre au-delà du million de dollars ? Parce que la famille royale d’Abou Dhabi lui avait acheté l’an dernier un autre spécimen, plus petit, de l’artiste africain. Même les fidèles d’Art Dubaï n’ont qu’un espoir : vendre à l’émirat voisin d’Abou Dhabi…

Étonnante collection Barjeel

La valeur n’attend pas le nombre des années. Il suffit de voir l’enthousiasme du sultan Sooud Al-Qassemi pour s’en convaincre. Cet homme âgé de 32 ans a commencé à acheter de l’art contemporain arabe voilà huit ans. « J’aime l’art qui réussit à capturer les changements que connaît le monde arabe, le passage d’un village de pêcheurs de perles à une mégapole financière », déclare-t-il, guère effarouché par l’aspect politique de certaines œuvres.

Une petite partie de sa collection, riche de plus de 200 œuvres et regroupée dans la Fondation Barjeel, est exposée dans le tout nouveau centre d’art de Maraya à Sharjah (Émirats arabes unis). L’accrochage y fait la part belle à Susan Hefuna et Jeffar Khaldi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°322 du 2 avril 2010, avec le titre suivant : La censure frappe à Dubaï

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