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RENCONTRE

Françoise Livinec, un pied à Paris, l’autre en Bretagne

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2020 - 1096 mots

PARIS

Galeriste rive droite, cette Bretonne s’est engagée à Huelgoat dans un projet de rencontres culturelles devenu un rendez-vous couru, bien au-delà du Finistère.

Françoise Livinec. © Franck Betermin, 2011
Françoise Livinec.
© Franck Betermin, 2011

Paris / Huelgoat. Silhouette juvénile en marinière, jean et baskets, Françoise Livinec semble avoir gardé l’énergie intacte d’une adolescence « énervée ». Trop rousse, vaguement mystique, elle qui pensait « mourir à 20 ans » fut sauvée par la découverte de la filmographie d’Ingmar Bergman, ainsi que par une maternité précoce. S’ensuit un parcours singulier : une licence de droit à Rennes, puis un diplôme de l’École du Louvre, un début de carrière comme commissaire-priseur, et le retour sur les bancs de la fac pour décrocher un diplôme de psychologie clinicienne et finalement débuter en tant que marchande à Saint-Ouen… avant d’exercer cinq ans dans un hôpital psychiatrique de l’Aisne. Activité menée à mi-temps, afin de garder son stand de brocanteuse l’autre moitié de la semaine.

Au marché Paul Bert Serpette, Françoise Livinec vend des tableaux de peintres inconnus ou tombés en désuétude, dont beaucoup de Belges. Dédaignées de ses confrères et des amateurs faute de signatures évidentes, les toiles qu’elle sélectionne sont appréciées des acheteurs américains, nombreux à arpenter les allées des Puces. Le samedi, à l’aube, elle accueille sur son stand quelques habitués. « Des collectionneurs, des marchands, des chineurs passionnés qui passaient prendre le café : ils me racontaient ce qu’ils avaient remarqué, dans les musées, les salles des ventes. Ce sont les heures où j’ai le plus appris. » Un ami de « cette bande », l’artiste Patrick Hourcade, la présente à Patrick Perrin, le fondateur du Pavillon des arts et du design (PAD), qui lui en ouvre l’accès. C’est en se rendant au PAD que Françoise Livinec voit l’annonce d’un local vacant avenue de Matignon : petite surface, mais belle adresse dans Paris intra-muros. Elle s’installe. Et inaugure plus tard un deuxième espace, plus vaste, rue de Penthièvre. Nous sommes au début des années 2000.

Guidée par son intuition, la galeriste choisit aussi de diversifier son marché en prenant part à des foires locales. Elle met le cap sur la Bretagne. Originaire de la région, elle s’est fait une quasi-spécialité des paysages et des peintres d’inspiration celte, comme l’ancien élève de Maurice Denis, Georges H. Sabbagh (1887-1951), qui évolue entre cubisme et réalisme expressionniste. C’est ainsi qu’elle présente au salon de Quimper, « un tableau historique de Maurice Léonard », aussitôt acquis par le musée des beaux-arts de la ville. Ou exhume un ensemble d’œuvres du peintre et graveur belge Paul-Auguste Masui (1888-1981) que le Musée de Pont-Aven décide immédiatement d’exposer.

Rendez-vous dominicaux

Cette enthousiaste a développé un sens de la relation qui engage irrésistiblement ses interlocuteurs. Elle le résume à sa façon, comico-mélodramatique : « Si je demande aux gens d’être là, ils viennent, car ils savent que sinon je vais mourir. » Écrivains, philosophes, scientifiques, personnalités des médias, du linguiste Alain Rey (décédé récemment) à l’historienne Mona Ozouf, en passant par Étienne Klein ou Edwy Plenel, son réseau, tissé au fil des années, trouve un débouché naturel dans un projet audacieux qu’elle lance en 2009. Un héritage familial l’ayant fait revenir l’été dans le Finistère, elle visite à Huelgoat un ancien établissement scolaire désaffecté, une école de filles, « en surplomb d’un chaos granitique ». Cette particularité géologique vaut à la région une forte attractivité touristique : on vient là pour photographier les roches et manger une crêpe. Il faut pas mal de courage et d’imagination pour songer à y lancer un espace d’art, ainsi qu’une manifestation culturelle, baptisée « Été des 13 dimanches ». « J’ai senti que, dans ce territoire en partie déserté, il fallait un endroit pour fédérer les habitants », assure-t-elle aujourd’hui. Ce sera, donc, à l’espace culturel l’École des filles.

Galeriste établie à Paris, dépourvue cependant de l’aura internationale qui distingue les structures plus importantes, c’est à Huelgoat que Françoise Livinec révèle sa vraie dimension avec ce pari fou devenu un rendez-vous désormais bien installé. « Elle a une vie double », sourit Jean-Jacques Aillagon. L’ancien ministre de la Culture, qui officie cette année comme président de la 7e édition des Victoires de la Bretagne, remettra peut-être en décembre à la galeriste, qui est en lice, le prix récompensant la personnalité culturelle bretonne de l’année. Lui-même a fait partie des invités de l’Été des 13 Dimanches. « Les orateurs arrivent à l’heure du déjeuner, puis s’installent sous le préau de l’école, face au public, qui vient en nombre. C’est une occasion de s’élever l’esprit, dans une atmosphère détendue », raconte-t-il. Quant au Breton de cœur Erik Orsenna, lorsqu’il a eu connaissance de ce projet, il n’a pas tardé à se manifester. L’académicien compte aujourd’hui parmi les fidèles du lieu. « Françoise est incroyable de dynamisme et de générosité. C’est ma petite grande sœur. Son projet rassemble tout : l’identité ancrée et la gourmandise de l’ailleurs, le littoral et les forêts intérieures, l’enseignement et la création, assure-t-il avec des accents lyriques. Huelgoat est un endroit mythique : Victor Segalen, qui y est mort, est un de mes phares. »

Cap vers la Corée

C’est à Segalen que Françoise Livinec doit d’ailleurs sa découverte de la Chine. À un siècle d’intervalle, l’auteur de Stèles fut son guide dans un voyage qui, en 2012, l’a menée sur ses pas. La Bretonne en a gardé un tropisme pour les artistes asiatiques, en particulier originaires de Corée, pays selon elle plus accessible aux marchands occidentaux que l’empire du Milieu. Sa galerie compte ainsi des peintres abstraits coréens tels que Bang Hai Ja (née en 1937).

Sa ligne éditoriale ? « Je crois avant tout aux écritures singulières, aux résonnances esthétiques et poétiques », souffle-t-elle. Outre des modernes cotés tels que Karel Appel, Olivier Debré, Pierre Tal Coat, elle défend ainsi des peintres contemporains : Vicky Colombet (née en 1953) actuellement à l’affiche du Musée Marmottan-Monet, le plus confidentiel Ricardo Cavallo (né en 1954), le très radical Loïc Le Groumellec (né en 1957)… Ou encore Marjane Satrapi (née en 1969), dont elle présente la dernière série de peintures. Les grands tableaux de son exposition « Femme ou Rien » (prolongée jusqu’à fin décembre), s’ils ne sont pas de nature à révolutionner l’histoire de l’art, ont valu à la galerie une fantastique couverture médiatique. Et il faut bien cela, par les temps qui courent, pour continuer à vivre un engagement dans l’art, qui – Françoise Livinec s’en dit convaincue – « nous grandit et démultiplie la vie ».

1963
Naissance en Bretagne 1987 Participation à la création de Drouot Estimation (jusqu’en 1993) 2004 Ouverture de sa première galerie au 29, avenue Matignon (8e)
2009
Inauguration de l’espace culturel l’École des filles à Huelgoat, dans le Finistère
2011
Lancement de la manifestation culturelle l’Été des 13 dimanches
2015
Ouverture de sa seconde adresse parisienne au 24, rue de Penthièvre (8e)

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°556 du 27 novembre 2020, avec le titre suivant : Françoise Livinec, un pied à Paris, l’autre en Bretagne

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