États-Unis - L’aigle blanc

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2013 - 597 mots

Une succession problématique a contraint le fisc américain à mettre exceptionnellement en œuvre le mécanisme de la dation en paiement pour une œuvre de Rauschenberg.

NEW YORK - Au terme d’un contentieux rocambolesque, né de circonstances très particulières, l’administration américaine est parvenue à un accord inédit avec les héritiers de la galeriste Illena Sonnabend dont la teneur évoque le mécanisme de la dation. Ainsi, un aigle à tête blanche empaillé, utilisé comme matériau d’un collage artistique, a posé la délicate question de la valeur d’une œuvre d’art que l’on ne peut vendre et de ses conséquences sur la détermination des droits de succession.
Tout commence en 2007 lorsque Illena Sonnabend décède en laissant à ses héritiers une collection évaluée à près de 900 millions de dollars (environ 670 millions d’euros), incluant notamment des œuvres de Jasper Johns, de Jeff Koons et d’Andy Warhol. Pour payer les droits de succession, atteignant près de 470 millions de dollars, ses héritiers, Nina Sundell et Antonio Homem, sont obligés de céder de nombreuses pièces. Mais, parmi l’héritage, figure un collage bien problématique : Canyon, créé en 1959 par Robert Rauschenberg, qui incorpore tout à la fois une peinture à l’huile, des photographies, un miroir, un coussin, des pièces de bois et, surtout, un aigle à tête blanche naturalisé. Or cet oiseau, emblème national américain, est protégé depuis 1940 au terme d’une loi fédérale incriminant toute possession ou aliénation. Cette caractéristique a obligé par le passé Rauschenberg à produire une attestation notariée certifiant que l’aigle avait été abattu et empaillé, avant l’entrée en vigueur de ladite loi, par l’un des fauconniers de Theodore Roosevelt.

L’œuvre est, pour ces raisons, interdite d’exportation depuis 1981, et Illena Sonnabend n’a pu en conserver la propriété qu’à la condition expresse de la concéder en prêt à long terme à un musée, en l’occurrence le Metropolitan Museum of Art de New York (Met). Pour ces raisons, trois experts mandatés par les héritiers estiment que Canyon n’a pas de valeur marchande, l’exonérant ainsi de tout droit de succession. Or, l’Internal Revenue Service (IRS), ou fisc américain, est d’un avis contraire.
S’appuyant sur les conclusions de l’Art Advisory Panel, groupe constitué d’experts et de marchands, l’IRS, de son côté, évalue l’œuvre à près de 65 millions de dollars [45 millions d’euros] et réclame durant l’été 2011 une taxe de 29 millions de dollars, assortie d’une pénalité de 11,7 millions pour sous-évaluation de la succession. En effet, pour la commission d’experts, toute œuvre à la valeur artistique reconnue a obligatoirement une valeur marchande. Il est pour eux impensable d’évaluer Canyon à un montant nul. Les héritiers font alors appel, et ce n’est qu’à la fin de l’année 2012 que l’IRS accepte de régler à l’amiable ce litige. Il n’exige plus aucune taxe sur l’œuvre en contrepartie d’un don de celle-ci à un musée américain.

Victoire pour les héritiers
Assurément, les héritiers ont remporté là une victoire, mais au-delà, et de manière sous-jacente, le fait majeur est une première reconnaissance aux États-Unis, certes de manière exceptionnelle, de la dation en paiement. Ce mode de règlement, qui permet de s’acquitter d’une dette fiscale par la remise d’un objet à haute valeur artistique ou historique, constitue jusqu’à présent une exception française instituée, sous l’impulsion d’André Malraux, par la loi du 31 décembre 1968. Ainsi en droit américain, la seule donation d’un objet par des héritiers, même si cela est réalisé à des fins de bienfaisance, ne peut normalement modifier le montant de l’impôt. L’utilisation faite par les artistes de matériaux désormais prohibés, telles des cendres humaines, pourrait donc à terme faire évoluer cette règle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : États-Unis - L’aigle blanc

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