Galerie

ENTRETIEN

Emmanuel Perrotin, galeriste : « J’ai la chance de représenter seul, ou presque, un grand nombre d’artistes »

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2020 - 933 mots

À l’occasion des 30 ans de la galerie, Emmanuel Perrotin ouvre dans le 8e arrondissement parisien un espace qu’il voit comme une « vitrine ».

C’est en 1990 qu’Emmanuel Perrotin a ouvert sa première galerie dans son appartement parisien, rue de Turbigo. Il fête donc cette année ses trente ans d’activité. Il en profite pour ouvrir un nouvel espace au 2 bis avenue Matignon, dans le 8e arrondissement, son troisième à Paris (avec ceux de la rue de Turenne et de la rue Saint-Claude), et son neuvième dans le monde (dans les villes de Paris, Hongkong, New York, Séoul, Tokyo, Shanghaï).

Pourquoi ouvrir une troisième adresse à Paris, et pourquoi avenue Matignon ?

Pour avoir un espace plus à l’ouest à Paris, parce que dans le Marais nous subissons un réel problème avec les embouteillages. L’art contemporain doit rester un plaisir et on ne peut pas imposer à des collectionneurs de faire une heure de trajet pour venir voir une œuvre dont on leur a juste montré la photo. Ensuite, nous faisons ce rêve que des gens qui ne viennent jamais dans le Marais sortent du Bristol et, sur leur chemin pour se rendre avenue Montaigne, tout d’un coup tombent sur notre vitrine et voient une pièce qui leur plaît. J’ai envie de vivre le fait de vendre à quelqu’un qui n’est pas venu spécialement mais qui a été, par hasard, attiré par une œuvre. Et puis l’adresse est en face de celle de Christie’s, à deux pas de Gagosian, de White Cube, Applicat-Prazan…

Est-ce fréquent qu’un passant s’arrête par hasard devant la vitrine d’une galerie et décide aussitôt d’un achat ?

On m’a souvent dit que cela arrivait, mais il faut l’expérimenter et le vérifier par nous-mêmes. Cela dit, j’avais déjà eu cette envie il y a longtemps et j’avais même envisagé de reprendre l’ancienne galerie de Robert Mikaeloff, située rue Saint-Honoré [Paris-8e], ce que je n’avais pas pu faire pour des raisons financières et architecturales. Cette fois j’ai eu l’opportunité de tomber sur l’ex-galerie Shchukin qui venait de fermer ; c’est un joli espace de 70 m2, avec une petite avancée sur la rue qui permet d’installer des sculptures. Il est évidemment beaucoup plus petit que celui de la rue de Turenne, mais on ne veut pas en faire une seconde galerie au sens habituel, plutôt un salon, une vitrine. On ne s’interdit pas de pouvoir un jour y présenter une exposition, mais l’idée est plutôt d’y montrer des œuvres dans des conditions différentes et complémentaires de ce que nous proposons dans le Marais.

Avec le recul, qu’est-ce qui, à l’occasion de l’anniversaire de vos 30 ans de galerie, vous revient spontanément à l’esprit ?

Ce qui me stupéfait toujours, c’est d’avoir osé ouvrir ma propre galerie. Qu’est-ce qui a pu pousser le jeune garçon de 21 ans que j’étais alors à se lancer dans cette aventure, sans argent, sans aucune relation familiale dans ce milieu, à une époque, 1990, où le marché de l’art venait de « collapser » totalement ? À l’époque, ce métier ne donnait pas beaucoup d’espoir de gagner de l’argent et encore moins d’être reconnu. Cela paraissait plus un acte de totale insouciance qu’autre chose, une folie. Certes j’avais eu la chance de travailler trois ou quatre ans dans la galerie de Charles Cartwright. Il avait un œil extraordinaire et il a fait, à l’époque, des choix d’artistes qui ne se sont pas démentis. J’ai également toujours une profonde reconnaissance pour Marie-Hélène et Philippe Montenay, qui m’ont fait confiance en s’associant avec moi deux ans après l’ouverture ; ils m’ont prêté un espace rue de l’Ancienne-Comédie (6e arr.) et m’ont aidé financièrement pour la production d’œuvres de jeunes artistes.

Quel est l’impact du coronavirus sur votre activité, notamment en Asie du Sud-Est ?

Il est très fort sur un plan psychologique, c’est très frustrant : la majeure partie de nos équipes est en télétravail. On le ressent aussi sur un plan matériel, physique : pour notre chantier à Hongkong, où nous changeons d’espace, les matériaux sont bloqués en Chine continentale, et nous avons dû différer l’inauguration. La foire Art Basel Hong Kong a été annulée, l’exposition de Georges Mathieu au Long Museum de Shanghaï a été reportée. En même temps, à Paris, l’exposition de Daniel Arsham comptabilisait, fin février, 32 192 visiteurs, soit une moyenne de 919 par jour !

Et sur un plan économique ?

Nous avons évidemment des annulations de vente, mais ce n’est pas si grave. Déjà, en novembre, c’est avec le Liban et leur interdiction de sortie d’importantes sommes d’argent chaque semaine que nous avons été très pénalisés. Le problème peut donc venir de plusieurs phénomènes. Mais étonnamment, pour l’instant, nous avons réussi à compenser les annulations par d’autres ventes. La galerie fonctionne même mieux cette année que l’an passé à la même époque. Mais attention, lorsqu’on fait une vente on ne sait pas quand elle sera payée…J’ai la chance d’avoir un grand nombre d’artistes que je suis le seul ou presque à représenter. C’est évidemment mieux que de partager un artiste avec sept ou huit confrères de par le monde et d’essayer de s’en sortir. J’ai toujours promu et soutenu mes artistes. Je travaille par exemple avec Daniel Arsham depuis qu’il a 22 ans, ce qui fait seize ans. Son exposition est sold out [entièrement vendue] depuis les premiers jours. Je pourrais aussi citer Jean-Michel Othoniel, Bernard Frize… Nous avons de nombreux artistes qui sont devenus des valeurs sûres. Le temps est un atout. Je me réjouis de ne pas avoir fait des choix à court terme et d’avoir travaillé en étroite collaboration avec eux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Emmanuel Perrotin, galeriste : « J’ai la chance de représenter seul, ou presque, un grand nombre d’artistes »

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