Art ancien

Comprendre la valeur d’une estampe

Par Hélène Bonafous-Murat · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2019 - 797 mots

PARIS

Qu’est-ce qui détermine la valeur d’une estampe ? Parmi les multiples critères se dégagent celui du nom, du nombre de tirages, et de l’état de conservation.

1. Qu’est-ce qu’une estampe ?

« Estamper » signifie « laisser une marque, une empreinte ». Le terme générique d’« estampe » recouvre la production séculaire d’images européennes et asiatiques (« estampes japonaises »). À l’origine de l’image imprimée sur papier (ou sur tissu), l’estampe, il y a donc une matrice encrée (bloc de bois, cuivre, pierre lithographique, zinc…) qui passe sous presse. Cette matrice peut être gravée en creux (sur métal) ou en relief (sur bois ou sur linoléum). On appelle « épreuve » la feuille imprimée. La lithographie, qui n’apparaît qu’à la toute fin du XVIIIe siècle, n’est pas à proprement parler une gravure car elle n’a ni creux ni relief : la pierre mémorise l’image par un processus chimique fondé sur la répulsion entre l’eau et les corps gras. Il y en a donc pour tous les goûts et pour toutes les bourses. Le collectionneur se laissera porter, au choix, vers la gravure au burin italienne du XVIe siècle, vers les lithographies romantiques ou vers les multiples contemporains.

2. Le nom

À chaque siècle ses grands noms. Les plus belles gravures de Rembrandt, en épreuves anciennes exceptionnelles et provenant de grandes collections, atteignent souvent plusieurs centaines de milliers d’euros aux enchères. Ainsi Le Saint Jérôme lisant dans un paysage italien (1653), vendu par Christie’s à New York le 29 janvier 2019 pour 410 000 euros (frais inclus). Le chef-d’œuvre de Picasso, La Minotauromachie, gravé en 1935, a quant à lui dépassé les 2 millions d’euros en 2016 (Christie’s, New York). L’artiste y déploie toute sa virtuosité de graveur et y rassemble ses thèmes principaux (minotaure, cheval, femme alanguie, fillette à la bougie…) dans une magistrale composition d’un symbolisme puissant.

3. Signée ou pas ?

Signer et numéroter une œuvre est un concept moderne. Une gravure ancienne n’est jamais signée manuscritement, ni numérotée. Elle était au contraire diffusée en grand nombre. La limitation volontaire du tirage (à 100, à 50 épreuves…) apparaît dans la seconde moitié du XIXe siècle, quand la photographie a pris le pas sur l’estampe pour reproduire le monde. Dès lors les graveurs raréfient volontairement leur production pour la valoriser et en faire un produit désirable à destination des amateurs. On recherchera donc plutôt les épreuves des grands maîtres modernes assorties de leur paraphe. Elles valent généralement quelques milliers d’euros, voire plus. Ainsi Picasso, Miró, Dalí, Chagall, Matisse, Soulages… Mais on se méfiera des fausses signatures, qui prolifèrent sur les feuilles à l’origine non signées.

4. Conservation et tirages

La fragilité du support a induit une raréfaction des épreuves au fil du temps. L’état de conservation de la feuille (absence de défauts, déchirures, taches, restaurations…) participe de la valeur d’une œuvre. Il est toutefois nécessaire d’identifier la nature et l’âge du papier : on trouve communément sur le marché des estampes de Dürer, Callot, Goya ou Rembrandt en tirages postérieurs dont la valeur n’excède pas quelques centaines d’euros. Les matrices ont en effet souvent traversé les siècles et servi à des tirages qui n’ont plus rien à voir avec ceux d’époque. Il faut en outre éliminer ce qui n’est que pure reproduction photomécanique moderne sans valeur. On peut rarement juger d’une œuvre sur simple photo : il faut l’avoir en main, et sous les yeux.

5. Multiples et pourtant uniques

Même si le XVIIIe siècle est aujourd’hui globalement délaissé par les amateurs, certaines raretés surnagent : ainsi la mythique Chimère de Louis-Jean Desprez (1771), vision infernale souvent considérée comme une allégorie annonciatrice de la Révolution, qui a trouvé preneur pour 82 000 euros (frais inclus) en 2017 (Christie’s, Londres). Du même artiste, trois Tombeaux fantastiques, macabres et piranésiens à souhait, réalisés vers 1780, ont obtenu chacun 36 000 euros au marteau chez Bassenge à Berlin en 2018. Tout ce qui ramène à l’unicité augmente la valeur de l’estampe : cela se vérifie pour les épreuves dites d’état (avant des modifications apportées ultérieurement sur le cuivre), donc fort rares. Il en va de même des gravures de Picasso annotées par lui « bon à tirer » (mention par laquelle il donne son approbation au tirage), signées et datées, qui oscillent souvent entre 7 000 et 15 000 euros (soit près du double d’une épreuve du tirage ordinaire). Et dans un marché international, il faut désormais tenir compte des acheteurs étrangers : depuis une décennie, les gravures et lithographies de Zao Wou-ki, tout comme sa peinture, ont vu leurs prix exploser, atteignant des milliers d’euros, en raison de la demande chinoise. Le même phénomène se vérifie pour les estampes de Foujita, dont les prix ne cessent de croître au Japon : un de ses chats, animal révéré au pays du Soleil-Levant, peut atteindre aujourd’hui 10 000 à 15 000 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : Comprendre la valeur d’une estampe

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