Trois questions à

Bill G. B. Pallot, expert en mobilier XVIIIe attaché à la galerie Didier Aaron (Paris)

« Le marché du mobilier XVIIIe a changé »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 23 septembre 2005 - 735 mots

Quel est votre point de vue sur l’état du marché du mobilier XVIIIe ?
On a tendance à dire que le marché du mobilier XVIIIe est moribond, qu’il n’existe plus ou qu’il est mort. Je ne le pense pas. Mais je peux dire que, depuis environ deux ans, il a changé. Il faut l’appréhender d’une autre manière et ceux qui ne l’ont pas compris souffrent le plus, les petits marchands comme les plus grands. Aujourd’hui, cela n’a plus de sens de faire de la reconstitution XVIIIe, des period rooms. On ne peut plus envisager de vendre tout un ensemble en XVIIIe, mais [il faut] viser de nouveaux acheteurs avec quelques objets. Voyez les Kugel : le mobilier XVIIIe n’est pas leur spécialité première, pourtant ils n’en ont jamais eu autant qu’à l’inauguration de leurs nouveaux locaux en 2004, alors que ces antiquaires ont bâti leur réputation autour des objets de curiosité et de l’argenterie. De surcroît, ils le vendent (je le sais car nous avons des clients communs). À la galerie Didier Aaron, on s’en sort bien. Nous avons compris qu’il n’était plus question de vendre un style XVIIIe mais des objets XVIIIe. Notre clientèle depuis deux ans n’est d’ailleurs pas collectionneuse de mobilier XVIIIe. Nous avons notamment affaire à des collectionneurs de mobilier Art déco qui possèdent quelques objets XVIIIe. Pour cela, le rôle des décorateurs est très important. Jacques Grange est un des premiers à nous avoir amené des clients (plutôt meublés en Ruhlmann ou même en Royère) qui n’aimaient pas spécialement le XVIIIe. Ensuite, Peter Marino et Thierry Despont nous ont amené d’autres clients dans le même esprit. Ces acheteurs choisissent des objets XVIIIe qui se marient bien avec leur intérieur, pas forcément des pièces très chères, mais toujours belles ou originales devant lesquelles ils ressentent quelque chose. À la galerie, on a un large choix d’objets XVIIIe français originaux (pas du XVIIIe classique), de pièces étrangères (italiennes, allemandes…), de mobilier en laque du Japon ou encore de vraies créations du XIXe siècle. Fini le temps des Rothschild et du baron de Redé. Bonjour une nouvelle clientèle (américaine), qu’elle soit collectionneuse d’art primitif, de pop art ou autre peinture américaine !
Enfin, un mot sur ce que l’on appelle le mobilier bourgeois, c’est-à-dire le mobilier XVIIIe moyen (les cabriolets Louis XV, commodes « tombeau », paires d’appliques Louis XVI…) que personne ne veut plus depuis dix ans, voire quinze. Je constate qu’aujourd’hui il se vend bien quand il s’agit de marchandises saines proposées à des prix très raisonnables, comme on a pu le voir dans les ventes de certains commissaires-priseurs de Drouot (dont la SVV Beaussant-Lefèvre) et aussi dans les ventes « Intérieurs » de Christie’s à Paris.

Quels sont les objets qui vous ont marqué dernièrement ?
Une paire de petites tables en laque du Japon de la collection Champalimaud dispersée les 6-7 juillet 2005 à Londres chez Christie’s. Elle était estampillée Carlin. J’ai poussé l’enchère jusqu’à 800 000 livres sterling (1,18 million d’euros) pour la galerie Aaron (ce qui est déjà une somme énorme), mais elle est partie pour 1,688 million de livres (2,48 millions d’euros) chez un particulier américain. C’est une pièce fabuleuse, intemporelle, et je suis persuadé que ce n’est pas un collectionneur de XVIIIe qui l’a achetée. D’autre part, à la galerie Aveline à Paris, j’ai vu une rarissime paire de fauteuils en Savonnerie couleur jaune d’époque Régence, laquelle avait été exécutée pour le château de La Roche-Guyon. C’est également un objet que l’on peut mettre n’importe où, dans un intérieur XIXe ou XXe.

Quelle est votre actualité ?
Je suis en train de terminer, en collaboration avec le conservateur Nicolas Sainte Fare Garnot, le catalogue des meubles du Musée Jaquemart-André à Paris (1). Ce musée est surtout réputé pour ses tableaux de grands maîtres tels Rembrandt ou Largillierre et ses peintures primitives à fond d’or, mais sa collection de meubles réalisée à la fin du XIXe siècle reste mal connue. Il y a trois ans, un comité (dont je fais partie et qui a pour présidente Mme Maryvonne Pinault) a été créé afin de trouver des mécènes (qui sont des particuliers américains, des antiquaires et privés français) pour restaurer ces pièces de mobilier. Enfin, à la galerie Didier Aaron, je prépare une grande exposition sur le siège français au XVIIIe siècle prévue pour la fin de l’année 2006.

(1) à paraître en février 2006 aux Éditions Faton.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°221 du 23 septembre 2005, avec le titre suivant : Bill G. B. Pallot, expert en mobilier XVIIIe attaché à la galerie Didier Aaron (Paris)

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