ENTRETIEN

Asher Edelman, galeriste et collectionneur

« Le business ralentit »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2008 - 741 mots

L’ancien raider (1) Asher Edelman pratique depuis longtemps le second marché. Après une association rapidement avortée avec Heidi Neuhoff, il a ouvert en mai 2008 la galerie Edelman Arts à New York.

Aviez-vous prévu que la vente Damien Hirst serait un succès ?
Non, j’avais au contraire prédit que ce serait un échec. Son travail conceptuel repose aujourd’hui sur le fait de duper les gens. J’avais cru qu’avec cette vente, les collectionneurs allaient enfin s’en rendre compte, mais apparemment ils veulent être dupés ! Les gens cherchent la même œuvre que celle que possèdent leurs amis ou les musées, et pensent ainsi protéger leur position sociale. C’est une façon très ennuyeuse de collectionner. Je me demande bien qui sont les acheteurs. En tout cas les grands collectionneurs américains n’étaient pas de la partie.

Environ 60 % des acheteurs venaient des pays émergents, du Moyen-Orient et de la Russie. Croyez-vous que la frilosité des Américains sera compensée à l’avenir par ces nouveaux intervenants ?
Le monde entier entre en récession, d’après moi pour environ cinq ans, et cette crise ne sera pas juste cantonnée à l’Amérique. L’économie russe s’est effondrée. Le pays essaye de reconstruire la grande Union soviétique, ce qui va inquiéter les Américains et avoir un effet perturbateur sur le plan économique. On néglige les problèmes des produits chinois dans une période de croissance, mais on y regardera de plus près. Or, la Chine a besoin des États-Unis pour écouler ses produits. Quant au Moyen-Orient, pensez-vous vraiment que les Islamistes vont laisser se développer dans les Émirats une plate-forme à la gloire du monde occidental ?

Nous acheminons-nous vers une crise du marché de l’art, dans la foulée de la faillite des gros titans de Wall Street comme Lehman Brothers ?
Nous sommes au début d’une chute du marché de l’art, qui suit toujours l’économie. Soudain, certaines choses vont s’arrêter de se vendre. Évidemment, si vous proposez un superbe Malevitch, vous aurez toujours un acheteur. Si vous présentez des choses à 10 ou 20 % de moins que les derniers résultats en ventes publiques, vous trouvez aussi des clients.

Quels artistes souffriront de la crise ?
Tous ceux qui auront été achetés pour des raisons sociales et non artistiques, certains d’entre eux peuvent même être de bons artistes. Ceux qui se répètent trop ne résisteront pas non plus, et c’est là la différence entre Jeff Koons et Damien Hirst. Ces gens mettront du temps à revenir sur le devant de la scène. Regardez, dans les années 1980, il y avait de très bons artistes qui ont succombé au marasme et ce n’est que maintenant qu’ils ressortent.

Quel est le climat parmi les marchands américains ?
Depuis les trois derniers mois, le business s’est ralenti. Les clients sont plus conscients des prix. Si quelqu’un me dit, j’ai un Rothko, je veux le vendre pour 75 millions de dollars, je lui répondrais que cette enchère était anormale, qu’un autre Rothko ne ferait pas ce prix, que le public est chaque fois différent, et qu’il devrait réviser ses ambitions à la baisse.

Pensez-vous que les ventes publiques fassent du tort aux marchands ?
Non, les maisons de ventes sont utiles, elles créent un marché qui profite aussi aux marchands. En novembre, je vends chez Sotheby’s et Christie’s une trentaine de pièces dans une gamme de prix allant de 100 000 à 7 millions de dollars. Je confie des œuvres aux maisons de ventes quand j’estime que pour certaines choses, très colorées, signées de grands noms – peut-être pas toujours les meilleurs tableaux de ces grands noms –, elles peuvent obtenir un meilleur résultat. Par exemple, un tableau de Basquiat de 1982 obtiendrait un meilleur prix en vente publique parce qu’un groupe de gens qui possèdent beaucoup de tableaux de cette année ont créé l’illusion qu’il s’agissait de la meilleure période de l’artiste. Ils feront tout pour que cela fasse un gros prix.

Pourquoi avez-vous ouvert une galerie d’art contemporain à côté de votre activité de second marché ?
Je suis collectionneur d’art contemporain depuis 1957. Mais je sens aussi qu’une période difficile s’annonce pour le second marché et je pense que l’art contemporain sera moins affecté par la récession, car il y aura toujours des gens prêts à acheter des œuvres pas trop exorbitantes, à moins de 100 000 dollars. Et il y a de nouveaux acheteurs qui ne dépensent pas plusieurs millions de dollars pour des requins dans du formol. Cela peut être une source de revenus stables. 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Asher Edelman, galeriste et collectionneur

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