Émirats arabes unis - Foire & Salon

FOIRE D’ART CONTEMPORAIN

Art Dubaï étend son emprise

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie · Le Journal des Arts

Le 15 mars 2024 - 1213 mots

Pour sa 17e édition, la foire du golfe Arabo-Persique a consolidé son assise régionale dans un contexte géopolitique tendu, tout en intégrant les pays du Sud.

Dubaï (Émirats arabes unis). Art Dubaï se revendique comme le centre de gravité du marché de l’art du « Global South », selon le terme employé par Pablo del Val, directeur artistique de la foire. Ce dernier a été directeur de deux foires mexicaines, Expoarte Guadalajara et Zona Maco, avant de rejoindre l’équipe d’Art Dubaï en 2015. Depuis, la foire dubaïote s’efforce de cultiver sa différence en marge de ses concurrentes des pays du Nord, comme Art Basel et Frieze. Cette différenciation se ressent dans le profil de la centaine de galeries présentes, non occidentales pour plus des deux tiers d’entre elles. Pas de Gagosian, ni de Hauser & Wirth donc, ni même de Perrotin, qui participait à la foire jusqu’en 2023. Sa séparation avec ses deux ex-associés Tom-David Bastok et Dylan Lessel s’est traduite par son retrait d’Art Dubaï.

La foire, organisée au cœur du complexe hôtelier de Madinat Jumeirah du 28 février au 3 mars, comptait toutefois quelques méga-galeries, à commencer par Continua, habituée d’Art Dubaï et des Émirats où elle dispose de son propre espace depuis 2021. Habituée d’autres foires extra-occidentales comme Abu Dhabi Art, India Art Fair (New Delhi), Jing Art (Pékin) et Zona Maco, la galerie italienne exposait notamment des œuvres de l’Égyptien Moataz Nasr (né en 1961), de l’Indien Nikhil Chopra (né en 1973) et du Camerounais Pascale Marthine Tayou (né en 1967). Cette ouverture aux pays émergents se retrouve chez Almine Rech. De retour à la foire après dix ans d’absence, la galerie a souhaité s’investir à nouveau dans le Golfe sous l’impulsion de Thibault Geffrin, ancien collaborateur de The Third Line, galerie de Dubaï qu’il a quittée en 2019 pour prendre la direction d’Almine Rech Londres. Il rapporte la vente dès le vernissage d’une œuvre de l’Américain Umar Rashid (né en 1976), alias Frohawk Two Feathers, et de la Franco-Vietnamienne Thu-Van Tran (née en 1979), pour un prix avoisinant 20 000 euros pour le premier et supérieur à 30 000 euros pour Tran.

Ces affinités orientales se retrouvent chez Krinzinger (Vienne) et Sabrina Amrani (Madrid). Cette dernière souligne le dynamisme du marché local grâce à des collectionneurs aux profils de plus en plus variés, stimulés par l’arrivée d’une jeune génération d’acheteurs. La galeriste franco-algérienne mentionne des ventes d’œuvres de l’Espagnol Carlos Aires (né en 1974) et de la Pakistanaise Wardha Shabbir (née en 1987). À noter que ces ventes sont facilitées par une TVA limitée à 5 % et des droits de douane d’environ 5 %, conformément à la législation en vigueur dans les Émirats. Par ailleurs, les résidents émiriens ne paient pas d’impôts sur le revenu, comme dans la plupart des pays du Golfe.

L’Inde, l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient, l’Asie centrale

Avec 14 galeries indiennes et deux sri-lankaises, l’Asie du Sud renforce sa présence. Chemould Prescott Road (Mumbay) confirme le mouvement dans la foulée de sa participation à la foire en 2023. La galerie indique avoir vendu à des institutions et à des collections privées de la région des œuvres d’Anju Dodiya (née en 1964) et de Mithu Sen (née en 1971), toutes deux indiennes, et de Dana Awartani (née en 1987), artiste saoudienne d’origine palestinienne, dans une gamme de prix comprise entre 23 000 et 46 000 euros. Ces trois artistes ont fait partie de la 15e Biennale de Sharjah en 2023. À cet égard, les échanges artistiques et collaborations institutionnelles se renforcent grâce aux liens diasporiques avec les Émirats, où près de 60 % des résidents sont originaires de la péninsule indienne. Cette influence est perceptible à Alserkal, un ancien quartier industriel comptant le plus grand nombre de galeries et d’institutions à Dubaï. On y trouve la Fondation d’art Ishara, inaugurée en 2019 et consacrée aux artistes d’Asie du Sud, ainsi que Volte Art Projects, galerie fondée par l’entrepreneur indien Tushar Jiwarajka, témoignant de la montée en puissance de la frange la plus aisée de la diaspora sud-asiatique dans une société émirienne de plus en plus cosmopolite. Volte a collaboré à la présentation de l’installation multimédia de Nalini Malani (née en 1946) intitulée Can You Hear Me ? au centre d’art Concrete dans le cadre de l’Alserkal Art Week.

Participant pour la première fois, Gajah (Singapour, Jakarta, Yogyakarta) a vendu Binatang Liar (Wild Animals) [voir ill.], une grande toile de 2022 de l’Indonésien Yunizar (né en 1971), pour 33 000 euros à un collectionneur de Dubaï. La galerie confirme l’intérêt grandissant des collectionneurs de la région pour la scène du Sud-Est asiatique.

Le Maghreb et l’Afrique subsaharienne sont également plébiscités à l’image du « sold-out » de Comptoir des Mines Galerie (Marrakech), qui présentait une sélection d’artistes marocains ou d’origine marocaine, à l’exemple de la Française Sara Ouhaddou (née en 1986). Forte de l’entrée de Fatiha Zemmouri (née en 1966) dans les collections du Guggenheim Abu Dhabi, la galerie a ainsi vendu un triptyque de cette artiste pour un montant d’environ 55 000 euros, selon la galerie. Les artistes de l’Afrique de l’Ouest réalisent une percée sur le marché, à l’instar d’El Anatsui (né en 1944), la star ghanéenne actuellement exposée à la Biennale de Diriyah à Riyad. Efie (Dubaï) a vendu deux grands bas-reliefs en bois peint et aluminium de l’artiste pour 320 000 euros l’un et 550 000 euros l’autre, selon les chiffres de la galerie, également d’origine ghanéenne.

Un engagement envers la cause palestinienne

Parmi les exposants du Moyen-Orient et d’Asie centrale, venus entre autres du Liban, d’Iran, d’Arabie saoudite, d’Azerbaïdjan et du Kazakhstan, on note la présence de deux galeries de Cisjordanie, Gallery One (Ramallah) et Zawyeh (Ramallah, Dubaï), qui présentaient le travail d’artistes palestiniens. L’engagement envers la cause palestinienne était également marqué sur les stands de Nika Project Space (Dubaï) et de Lawrie Shabibi (Dubaï), qui mettaient à l’affiche respectivement le travail de Mirna Bamieh (née en 1986), artiste palestinienne, et de Mandy El-Sayegh. Cette dernière, établie à Londres, est née en 1985 d’une mère sino-malaisienne et d’un père palestinien. Cet engagement à la fois artistique et moral était déjà palpable lors de la foire Abu Dhabi Art fin novembre 2023. Le centre d’art Concrete avait alors consacré une exposition à la Palestine, où l’artiste Hazem Harb, né à Gaza en 1980, avait réalisé une œuvre-performance en hommage aux victimes de la bande de Gaza. Comme en 2022 au profit de l’Ukraine, l’Art Dubaï Group (ADG), propriétaire de la foire, s’est engagé à reverser une partie des recettes de la vente des billets aux victimes de Gaza, via Emirates Red Crescent, une organisation humanitaire émirienne affiliée à la Croix-Rouge.

Malgré l’attentisme du marché en ce domaine, « Art Dubaï Digital » montrait sa confiance dans la résilience des NFT et de l’art numérique, tout en cultivant l’image innovante de Dubaï, où un tiers des 24 exposants de cette section sont installés. Présentée par HOFA (Londres, Mykonos), l’artiste sino-canadienne Sougwen Chung (née en 1985), dont les peintures sont conçues de concert avec deux bras robotiques pilotés par l’intelligence artificielle, dénote d’une certaine originalité [voir ill.]. Des ventes d’œuvres numériques de la Franco-Américaine Sarah Meyohas (née en 1991) et de la Russe Ellen Sheidlin (née en 1994) ont été respectivement rapportées par les galeries MarkersPlace (San Francisco) et TON Diamonds (Lisbonne).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : Art Dubaï étend son emprise

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