Émirats arabes unis - Foire & Salon

FOIRE INTERNATIONALE D’ART CONTEMPORAIN

Abu Dhabi Art a mis l’Orient à l’honneur

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2023 - 929 mots

La 15e édition d’Abu Dhabi Art, qui s’est tenue du 22 au 26 novembre, a mis en avant le Moyen-Orient. Elle s’est distinguée par son ampleur et sa volonté de galvaniser la scène artistique émirienne.

Œuvre de l'artiste égyptianno-palestinien Samo Shalaby présentée dans la section des artistes émergents de la foire Abu Dhabi Art 2023. © Abu Dhabi Art.
Œuvre de l'artiste égyptianno-palestinien Samo Shalaby présentée dans la section des artistes émergents de la foire Abu Dhabi Art 2023.
© Abu Dhabi Art

Abou Dhabi (Émirats arabes unis). Dyala Nusseibeh, directrice d’Abu Dhabi Art depuis 2016 et ancienne collaboratrice de la Saatchi Gallery de Londres, soulignait lors de la foire son ouverture aux « pays du Sud » (Global South), tout en renforçant son enracinement en « Asie de l’Ouest » (West Asia), terme préféré sur place pour désigner le Moyen-Orient (Middle East) car dénué d’eurocentrisme. Cet ancrage régional se manifestait à travers la représentation tant des artistes que des exposants. Le Moyen-Orient, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne représentaient plus de la moitié des galeries (au nombre de 92 au total, venues de 31 pays, dont 5 de France). On comptait une vingtaine de galeries émiriennes, principalement situées à Dubaï dans le quartier industriel d’Alserkal et le district financier de DIFC. L’Extrême-Orient était également représenté, à travers onze galeries hongkongaises et six sud-coréennes. Quant aux œuvres, la peinture prédominait, bien qu’une place ait été également accordée à la sculpture, aux œuvres textiles, à la céramique et à la photographie.

Femmes artistes et créateurs palestiniens

Les femmes artistes ont été mises à l’honneur grâce à une section dédiée, sous la direction curatoriale d’Essia Hamdi, spécialiste du Maghreb. Un symposium sur le sujet a également été organisé, avec la participation de Brahim Alaoui, historien de l’art et ancien directeur du musée de l’Institut du monde arabe à Paris, dont la version anglaise de son ouvrage Regard sur les artistes modernes et contemporains arabes (2022, éd. Skira) vient de paraître. Les artistes contemporaines telles que Meriem Bouderbala (galerie GVCC, Casablanca), Maha Malluh (Galerie Krinzinger, Vienne), Nujoom Alghanem (Aisha Alabbar Gallery, Dubaï) et Najia Mehadji (Véronique Rieffel, Paris) ont ainsi pu profiter de cette mise en avant.

Parallèlement, les artistes palestiniens ont retenu l’attention, à l’instar de Samia Halaby et Sliman Mansour (Galerie One), Abdul Rahman Katanani (Agial Art Gallery, Beirouth) et Hazem Harb (Tabari Artspace, Dubaï). Ce dernier a réalisé une performance artistique en marge de la foire dans le cadre de l’exposition « On This Land », consacrée à la Palestine et organisée au centre d’art Concrete d’Alserkal à Dubaï, en collaboration avec la fondation d’art Barjeel et le Musée palestinien (Birzeit). Pour mémoire, les Émirats arabes unis comptent une importante communauté palestinienne, estimée entre 200 000 et 300 000 résidents.

Une foire quasi « institutionnelle »

Créée la même année que sa concurrente Art Dubaï en 2007, la foire est directement administrée par le Département de la culture et du tourisme (DCT) de l’émirat d’Abou Dhabi. Elle émane donc d’une volonté gouvernementale de développer l’écosystème artistique local. Cette articulation institutionnelle s’illustre notamment par l’inauguration conjointe de deux projets artistiques organisés et financés par la même autorité émirienne : Public Art Abu Dhabi, série de commandes publiques installées dans la ville ainsi que sur le site d’Al Aïn, patrimoine mondial de l’Unesco, et Manar Abu Dhabi, festival nocturne d’installations lumineuses. L’œuvre de land art de Jim Denevan ainsi que les créations numériques interactives de Rafael Lozano-Hemmer y sont particulièrement spectaculaires. Ces initiatives se doublent d’expériences gastronomiques pour les visiteurs de la foire, comme « Frozen Forest », fruit de la collaboration entre Ivan Brehm, chef étoilé par le guide Michelin, et Nicolas Bourriaud qui a conçu une exposition thématique pour l’occasion.

DCT est également l’organe de direction des grands musées de l’émirat, dont le Louvre Abu Dhabi, ainsi que les futurs Guggenheim Abu Dhabi et Zayed National Museum. DCT est donc acquéreur potentiel via ses musées et commandes. On comprend dès lors le soin pris par les galeries pour attirer l’attention des conservateurs, en particulier ceux du Guggenheim dont la collection émirienne se concentre sur les artistes de la région.

La foire Abu Dhabi Art se distingue également par sa politique tarifaire très attractive : à partir 7 500 euros hors taxes pour un stand d’environ 20 mètres carrés. C’est moitié moins que les tarifs proposés par Art Basel Hong Kong, ce qui a probablement stimulé l’arrivée des trente-six nouveaux exposants pour cette édition de 2023.

Des ventes qui reflètent l’ancrage oriental

Le pays compte une importante communauté d’expatriés aisés, ainsi qu’un nombre croissant d’institutions privées comme le Jameel Arts Centre (Dubaï) ou les fondations d’art Ishara (Dubaï) et Barjeel (Sharjah). L’absence d’impôt sur le revenu aux Émirats ne doit néanmoins pas faire oublier l’application d’une TVA de 5 % ainsi que des droits de douane de l’ordre de 5 % pour les œuvres vendues sur place.

Les ventes ont reflété l’ancrage oriental de la foire. Tabari Artspace (Dubaï) a vendu à une institution une grande œuvre murale de l’artiste libanais Alfred Basbous (1924-2006) dont le prix demandé était de 192 000 euros. La galerie a également cédé les six œuvres de Hazem Harb (né en 1980) issues de sa série « Dystopia Is Not a Noun » (2023) pour un prix médian d’environ 15 000 euros. De son côté la galerie Lawrie Shabibi (Dubaï) a bénéficié de la représentation des Émirats arabes unis lors de la 59e Biennale de Venise (2022) par l’artiste Mohamed Ahmed Ibrahim (né en 1962) : un large éventail de ses œuvres ont été emportées à des prix compris entre 4 000 euros et 32 000 euros. La galerie In Situ-Fabienne Leclerc (Romainville, Grand Paris), a vendu, elle, la toile Her Majesty (The Nose) (2022-2023), œuvre des Iraniens Ramin Haerizadeh (né en 1975), Rokni Haerizadeh (né en 1978) et Hesam Rahmanian (né en 1980), à un collectionneur européen basé à Abou Dhabi pour un montant avoisinant les 30 000 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°623 du 15 décembre 2023, avec le titre suivant : Abu Dhabi Art met l’Orient à l’honneur

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