Alfred Taubmann est reconnu coupable

Avant même d’avoir été condamné, l’ancien président de Sotheby’s a interjeté appel

Le Journal des Arts

Le 25 janvier 2002 - 927 mots

Alfred Taubman, l’ancien président de Sotheby’s et toujours actionnaire majoritaire de la maison de vente, vient d’être reconnu couplable par la justice américaine d’entente illicite avec Christie’s. Le président de cette dernière à l’époque, Anthony Tennant, devrait échapper à la justice puisque ce type d’entente n’était pas condamné par la législation britannique au moment des faits. Avant même que sa peine soit prononcée, Alfred Traubman a interjeté appel.

New York (de notre correspondante) - Le 5 décembre, les jurés new-yorkais ont reconnu Alfred Taubman, ancien président du conseil d’administration de Sotheby’s Holdings Inc., coupable d’entente illicite dans les années 1990 avec la maison de vente concurrente, Christie’s International PLC, en fixant le montant des commissions des vendeurs lors des ventes aux enchères. Alfred Taubman, en concluant cet accord avec le président de Christie’s, Anthony Tennant, n’avait certainement pas conscience d’être le seul susceptible de tomber sous le coup de la loi antitrust américaine, puisque lui seul réside aux États-Unis.

En effet, jusqu’à aujourd’hui, Anthony Tennant échappe à toute sanction tant qu’il n’entre pas sur le territoire américain. L’accord illicite, qui visait à augmenter les bénéfices des deux sociétés, a été conclu en 1993 alors que les résultats des maisons de vente n’étaient pas brillants. Cette signature aurait été motivée par les intérêts financiers personnels d’Alfred Taubman, actionnaire de poids de Sotheby’s.

Alfred Taubman et Anthony Tennant ont tous deux été cités lors de l’accusation portée par le ministère de la Justice américain. Mais Anthony Tennant ne s’est pas présenté aux États-Unis et, puisque l’entente sur les prix n’est pas un délit au Royaume-Uni, il ne peut être extradé.

À l’époque de la collusion entre Christie’s et Sotheby’s, les lois anti-concurrence n’avaient que peu de portée au Royaume-Uni et, aujourd’hui encore, elles demeurent moins sévères que les lois antitrust américaines. Avant le vote au Royaume-Uni du Competition Act (loi sur la concurrence) en 1998, exécutoire depuis mars 2000, soit après l’affaire d’entente illicite entre les deux maisons de vente, aucune peine n’était prévue au Royaume-Uni pour entente sur les prix, et les autorités britanniques ne disposaient pour tenter de mettre fin à ces agissements que du seul recours de porter les affaires devant les tribunaux. La loi de 1998 a introduit des amendes pour les entreprises d’un montant correspondant à 10 % du chiffre d’affaires sur une durée maximale de trois ans, mais elle ne pénalise pas les personnes physiques et ne prévoit aucune sanction pénale. Le Parlement devrait examiner sous peu l’Enterprise Bill (projet de loi pour les entreprises), dont la promulgation est prévue pour mars, qui prévoit au Royaume-Uni des compétences et des sanctions comparables à celles pratiquées aux États-Unis. Par exemple, la formation d’un cartel serait considérée comme une infraction pénale ou, encore, l’extradition serait envisageable dans le futur si la nouvelle législation sanctionne les personnes physiques. Mais, le projet de loi progresse doucement en raison de ses allers-retours entre les deux chambres du Parlement britannique.

Douze rencontres secrètes
Afin de prouver l’accusation, les États-Unis doivent démontrer que les prix identiques pratiqués par les maisons de vente sont le résultat d’une entente. Les jurés ont particulièrement pris en compte le fait avéré qu’Alfred Taubman et Anthony Tennant s’étaient rencontrés secrètement à douze reprises dans les résidences d’Alfred Taubman. De plus, un document signé témoigne de l’accord entre les parties. Un juge du tribunal fédéral de Manhattan doit prononcer la peine le 2 avril. Selon S. Joseph Warin, avocat antitrust chez Gibson, Dunn & Crutcher à Washington, Alfred Taubman sera très vraisemblablement condamné à une peine de prison.

“En général, dans les affaires antitrust, la durée d’emprisonnement est de six mois environ si la défense plaide coupable”, nous a déclaré S. Joseph Warin. Lors d’une condamnation récente à New York, concernant plusieurs chefs d’inculpation, dont celui d’entente sur les prix, et relevant de la loi antitrust, la peine de prison prononcée a été de plusieurs années.

“Comme dans l’affaire Taubman, un seul chef d’inculpation a été retenu, la durée d’emprisonnement pourrait être inférieure à la peine maximale de trois ans”, nous a déclaré S. Joseph Warin. En général, les violations de la loi antitrust aux États-Unis sont passibles d’une amende de 350 000 dollars maximum pour une personne physique, ou de trois ans de prison maximum, ou encore d’un assortiment des deux peines, mais le montant des amendes peut être revu à la hausse.

Accord sinistre avec le gouvernement
En plaidant coupable d’entente illicite en 1999, Sotheby’s a accepté de payer sa part, soit une amende de 45 millions de dollars.

La défense d’Alfred Taubman a remis en cause la crédibilité de Diana D. Brooks, ancienne directrice générale de Sotheby’s, qui, en octobre 1999, a plaidé coupable. Mais visiblement, les jurés n’ont pas retenu l’argument d’Alfred Taubman selon lequel elle aurait dirigé toute l’affaire. Diana D. Brooks attend elle aussi sa condamnation.

En 1999, à l’occasion du Plea bargain agreement (accord entre le procureur et l’avocat de la défense pour revoir à la baisse les chefs d’inculpation), les États-Unis se sont explicitement abstenus de toute promesse ou recommandation concernant la sentence définitive de Diana D. Brooks. Mais le gouvernement a clairement indiqué qu’en raison de l’entière coopération de Diana D. Brooks lors de l’enquête qui, à l’époque, n’avait pas encore conduit à la mise en examen d’Alfred Taubman, il pourrait demander à la cour de revoir à la baisse sa condamnation pour avoir facilité la poursuite “d’autres personnes physiques”. Conformément à l’accord, Diana D. Brooks doit coopérer pleinement, y compris témoigner lors du procès. Elle doit à présent assumer cet accord sinistre qu’elle a passé avec le gouvernement.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : Alfred Taubmann est reconnu coupable

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