La loi Macron veut dissoudre les commissaires-priseurs judiciaires

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 11 décembre 2014 - 1424 mots

PARIS [11.12.14] - Présenté le 10 décembre 2014, le projet de loi pour la croissance et l’activité prévoit de modifier les conditions d’exercice des commissaires-priseurs judiciaires et de créer dans les dix mois suivant la publication de la loi une profession unique de commissaire de justice regroupant commissaires-priseurs, huissiers et mandataires de justice.

L’article 20 du projet de loi Macron pour la croissance et l’activité signera peut-être l’arrêt de mort des commissaires-priseurs judiciaires, dont le statut juridique s’avère encore gouverné par l’ordonnance du 26 juin 1816 et celle du 2 novembre 1945. Le Gouvernement sera, en effet, autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de dix mois à compter de la publication de la loi, des mesures visant à la création d’une profession de « commissaire de justice » regroupant les professions d’huissier de justice, de mandataire de justice et de commissaire-priseur judiciaire. La manifestation du 10 décembre devant l’hôtel Drouot rassemblant près de 500 commissaires-priseurs n’y aura rien changé. Le retour à la grande profession d’huissier-commissaire-priseur vendeur de meubles, instituée par un édit de juin 1758, est désormais acté. Les 427 commissaires-priseurs fusionneront à terme avec près de 3 500 huissiers de justice.

Les prémices de la réforme
Si cette fusion est décriée, les commissaires-priseurs judiciaires reprochant aux huissiers leur manque de compétence dans les différents domaines d’activités leur étant jusqu’alors réservés, elle n’en demeurait pas moins en germe au regard des réformes opérées par les lois du 10 juillet 2000 et du 20 juillet 2011. A l’instar des notaires, les huissiers sont autorisés à vendre aux enchères publiques volontaires des biens meubles de manière accessoire et à condition d’avoir suivi une formation préalable. Le décret du 1er octobre 2013 prévoit ainsi que les notaires et les huissiers de justice doivent avoir suivi, à leur frais, une formation d'une durée de soixante heures portant sur la réglementation, la pratique et la déontologie des ventes aux enchères. Cette formation est organisée par le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques après avis du Conseil supérieur du notariat et de la Chambre nationale des huissiers de justice. L’extension aux ventes aux enchères judiciaires, et corrélativement aux prisées, suit cette logique. Dans l’avenir se dessinera alors en matière judiciaire une nouvelle répartition entre, d’une part, les ventes immobilières réservées aux notaires et, d’autre part, les ventes mobilières réservées aux nouveaux « commissaires de justice ».

Les métiers resteront identifiés
Mais la fusion n’aboutira cependant pas à une totale disparition des différentes professions. Le projet de loi prévoit, dans le cadre des mesures à venir, de « clarifier les règles régissant l’activité des ventes judiciaires de meubles et (d’)améliorer sa connaissance par la création d’une liste pour l’information du public, dans le respect des dispositions statutaires de chaque profession ». L’intention est louable, mais demeure obscure. Soit le texte poursuit un objectif, bien naïf, de permettre aux différents acteurs regroupés sous une même dénomination de gagner en visibilité, soit le texte prévoit une refonte future des dispositions relatives à la vente aux enchères publiques judiciaires et l’insécurité demeure de mise. En l’état, le projet de loi n’annonce qu’un affaiblissement de la profession par la disparition de son monopole, sans pour autant acter la création d’un commissaire de justice à visage unique.

Cette absence de choix s’exprime également à l’article 21 du projet de loi visant à permettre pour l’exercice de commissaire-priseur judiciaire notamment le recours à « toute forme juridique, à l’exclusion de celles conférant la qualité de commerçant à leurs associés, en soumettant la répartition du capital et des droits de vote à des conditions assurant le respect des règles déontologiques propres à chaque profession ».

Des mesures spécifiques aux CPJ
Quatre articles modifient, sous réserve d’éventuels amendements parlementaires, d’ores et déjà les conditions d’activité des commissaires-priseurs judiciaires. Premier coup de boutoir, plusieurs offices pourront être confiés à un seul titulaire aux termes de l’article 16 du projet de loi. La révolution est de taille, puisque l’identité qui prévalait entre le commissaire-priseur et son office s’avère abolie. La seule exception existante résidant jusqu’alors dans la possibilité d’ouvrir un bureau annexe attaché à l’office, bureau qui pourra être transformé en office distinct sous réserve d’un arrêté du garde des Sceaux. Une harmonisation de la profession est également prévue, puisque la spécificité de l’Alsace-Moselle et des territoires d’outre-mer s’avère gommée par le futur article 3 de l’ordonnance de 1816 qui disposera que « les commissaires-priseurs judiciaires exercent leurs fonctions sur l’ensemble du territoire ». L’article 18, en supprimant le second alinéa de l’article 3 de l’ordonnance de 1945, ouvre aujourd’hui la possibilité aux offices d’employer un nombre supérieur de salariés à celui des associés, offrant ainsi l’opportunité de créer des offices plus structurés. Mais la perte du monopole rendra assurément bien délicat le recrutement salarial face à la baisse corrélative du chiffre d’affaires des études.

Augmenter le nombre d’études
L’article 17 du projet prévoit, quant à lui, de confier aux ministres de l’économie et de la justice, sur proposition de l’Autorité de la concurrence, la réalisation d’une cartographie déterminant « les zones où l’implantation d’offices est libre et celles où l’implantation d’offices supplémentaires serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu ». L’objectif étant à terme d’augmenter le « nombre de zones où l’implantation d’offices est libre ». Pour la seconde catégorie de zone, une implantation nouvelle n’est nullement exclue mais seulement soumise à acceptation du garde des Sceaux. L’éventuel refus devant être justifié au regard des caractéristiques du territoire et du niveau d’activité économique des professionnels concernés, critères bien flous et, par conséquent, fort peu opérants. Une troisième zone est cerclée par le présent projet, celle au sein de laquelle le nombre d’offices apparaît insuffisant pour assurer une proximité de service satisfaisante. En ce cas, après avis de l’Autorité de la concurrence, un appel à manifestation d’intérêt en vue d’une titularisation dans un office ou de la création d’un bureau annexe sera organisé par le ministre de la justice. Un futur article L. 426-10 du code de commerce prévoit enfin que l’Autorité de la concurrence définit tous les deux ans les zones géographiques « de manière détaillée sur les bases d’une analyse démographique de l’évolution prévisible du nombre de professionnels installés », ce qui accorde en réalité à cette autorité la mainmise sur l’avenir de la profession des commissaires-priseurs judiciaires.

Indemnisation des commissaires-priseurs judiciaires
Quant à l’indemnisation résultant de l’implantation de nouveaux offices, l’article 17, pris en son paragraphe III, dispose que « lorsque l'installation porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office existant, son titulaire est dédommagé, à sa demande, par le ou les titulaires des nouveaux offices dont la création a causé cette perte. La valeur patrimoniale de l’office s’entend de celle résultant des droits de présentation et d'indemnisation antérieurement à l’installation du nouvel office ». Le Gouvernement a ainsi pris acte de la décision du 21 novembre 2014 du Conseil constitutionnel ayant déclaré conforme à la constitution le droit de présentation des notaires et plus largement de l’ensemble des officiers ministériels et publics visés par l’ordonnance de 1816. En cas de contestation, le désaccord sera porté judiciairement devant le juge de l’expropriation.

Le tarif
Dernier enjeu du projet de loi, et non des moindres, la tarification des actes. L’article 12 envisage de modifier le code de commerce en insérant un article IV bis « De certains tarifs réglementés ». Ces tarifs prendront « en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs », le tarif de chaque prestation étant « arrêté conjointement, sous la forme d’une fourchette comportant un maximum et un minimum, par le ministre de la justice et le ministre chargé de l’économie ». Et « pour chaque prestation, le rapport entre le maximum et le minimum ne dépasse pas un ratio maximal fixé, dans la limite du double ». Enfin, un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de l’Autorité de la Concurrence, en précisera les modalités d’application, notamment les modes d’évaluation des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable, la périodicité selon laquelle sont arrêtés les minima et maxima tarifaires et la valeur du ratio maximal.

Réformée à court terme, afin de permettre l’augmentation du nombre d’études et un maillage plus intensif du territoire national, la profession a tout à craindre du deuxième temps du projet de loi, dont le contenu sibyllin annonce une dilution de l’ancien monopole pour lequel les commissaires-priseurs judiciaires demeurent aujourd’hui pourtant les meilleurs garants quant à l’efficacité des actes.

Légende photo

Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique - © Photo Gouvernement français - 2014 - Licence CC BY-SA 3.0 

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