Restauration

Comment restaurer la « Sainte Anne » ?

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2011 - 726 mots

Lors d’une présentation restreinte, le Musée du Louvre a expliqué les méthodes et moyens retenus pour la restauration de la « Sainte Anne » de Léonard de Vinci, une opération que le JdA avait critiquée dans son édition précédente. Si le principe d’un allègement progressif des vernis a permis de préserver la subtilité du chef-d’œuvre, des interrogations demeurent.

PARIS - Les subtilités du visage de sainte Anne sont indemnes ; le paysage qui se déploie en arrière-plan témoigne des interventions de restauration en cours et de l’amincissement très net des vernis. Le 14 octobre, le département des Peintures du Musée du Louvre, accompagné des équipes du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), avait convié quelques journalistes à découvrir le chef-d’œuvre de Vinci en cours de restauration – une intervention dont nous avions signalé la tendance trop interventionniste dans notre précédent numéro (lire le JdA no 354, 7 octobre 2011, p. 4). Le directeur du département des Peintures, Vincent Pomarède, a reconnu que le comité scientifique formé pour l’occasion était divisé quant au degré d’intervention : la majorité d’entre eux souhaitaient un allégement des vernis fort, tandis que d’autres prônaient un amincissement très modéré. « Je n’ai pas cédé aux pressions. Depuis le début, j’ai été le pied sur le frein », a expliqué Vincent Pomarède. Pour l’heure, le visage de la sainte Anne ne devrait pas subir d’autres interventions que la suppression de petites stries relativement peu visibles. La restauratrice Cinzia Pasquali va ensuite s’attaquer à un élément dont le traitement ne fait pas l’unanimité au sein du comité scientifique : le supposé « chanci » (altération du vernis entraînant une opacité), présent sur le corps de l’enfant, à retirer ou à traiter en régénérant le vernis par un solvant. Il faudra aussi décider de la conservation, ou non, des arbres, dont la présence remonterait au moins au début du XIXe siècle. Prudent, Vincent Pomarède penche pour leur conservation, car de nos jours les repeints très anciens font partie de l’histoire de l’œuvre.

Allègement progressif
Le principe retenu pour cette restauration a été celui d’un allégement progressif des vernis. Cinzia Pasquali a souligné qu’en moyenne, l’épaisseur des vernis se situe entre 8 à 12 microns – à titre indicatif, une couche de vernis s’élève en général à 4 microns. Sur certaines zones du ciel, le vernis a été allégé jusqu’à 6 microns, tandis qu’il reste, pour les visages notamment, une épaisseur de 25 microns. Ce qui a inquiété certains experts, c’est le plan de travail choisi qui consiste à amincir jusqu’à 8 microns en différents endroits, en laissant, en réserve, 25 microns sur le visage de la sainte Anne, au lieu d’établir la même base partout puis d’avancer progressivement. Un procédé nouveau, qui utilise des gels qui refrènent la diffusion d’un solvant, ne sert que pour les anciennes « retouches » à supprimer. Quant aux solvants utilisés au-dessus du sfumato, il s’agit de mélanges « classiques » de ligroïne (non polaire) renforcé par des pourcentages d’éthanol (solvant actif) suivant le même principe qu’en 1992 lorsque la restauration de la Sainte Anne avait été interrompue car trop risquée. « Ce qui a changé ce ne sont pas les solvants, mais le protocole de mise en œuvre », a expliqué Pierre Curie, responsable de la filière peinture au C2RMF. Depuis, l’extrême finesse du sfumato a été démontrée par le CNRS, et, en 2002, des études scientifiques ont montré que l’éthanol en mélange était plus pénétrant que supposé, provoquant le gonflement d’une couche à l’huile, en particulier avec des pigments comme ceux qui composent le sfumato (1). « Dans ce domaine de la restauration où les recherches scientifiques, les moyens et les connaissances sont encore en évolution, je pense qu’un débat à ses raisons d’être. Sur la Sainte Anne, à tous égards, la conservation d’un vernis assez important est une sage décision », explique ainsi Michel Favre-Félix, président de l’Association pour le respect de l’intégrité du patrimoine artistique. Il convient donc de rester prudent et de ne pas succomber à la tentation d’aller trop loin. Finalement, le plus dangereux demeure la certitude que l’on peut tout maîtriser.

Note

(1) Michel Alan Phenix, « Building models : Comparative swelling powers of organic solvents on oil paint and the cleaning of paintings », V & A Conservation Journal, 40, et « The swelling of artist’s paints in organic solvents ». Part 1 ; Journal of the American Institute for Conservation, 41, 2002 pour les deux textes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Comment restaurer la « Sainte Anne » ?

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