Restitutions

Spoliation

Des Picasso réclamés

Par Martha Luftkin · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2009 - 594 mots

Le Museum of Modern Art et la Fondation Guggenheim ont conclu un accord avec les héritiers.

NEW YORK - Un tribunal de New York a jugé recevable une action en justice visant à annuler la vente de deux tableaux d’un collectionneur juif allemand dans les années 1930. L’affaire est particulière car les nazis n’ont jamais confisqué ces œuvres ni ordonné leurs ventes. En cause, deux chefs-d’œuvre de Picasso, l’un du Museum of Modern Art (Garçon conduisant un cheval, 1906), et l’autre de la Fondation Solomon R. Guggenheim (Le Moulin de la Galette, 1900), qui étaient réclamés par les héritiers de Paul von Mendelssohn-Bartholdy, décédé à Berlin en mai 1935. C’est la première fois dans le pays que l’on admet que la vente d’une œuvre par son propriétaire juif pourrait être annulée parce que jugée contrainte et forcée dans le contexte de persécution économique de l’époque. Émis par le juge Jed Rakoff, cet avis pourrait déclencher une avalanche de recours similaires. Or, dans ce cas précis, les deux musées new-yorkais et les plaignants sont parvenus à un accord une semaine avant la date du procès, accord qui permet aux institutions de conserver les œuvres en échange d’une compensation financière. La recommandation du juge de dévoiler au public les termes de cet arrangement à l’amiable est restée lettre morte.
Les musées et les plaignants (Julius Schoeps et d’autres héritiers de la famille von Mendelssohn-Bartholdy) avaient chacun requis du tribunal de les reconnaître propriétaires légitimes des tableaux. Les musées avaient même exigé un arbitrage, estimant que la spoliation n’était pas prouvée. Selon Julius Schoeps, son grand-oncle von Mendelssohn-Bartholdy avait vendu les deux tableaux en Allemagne en 1935 au marchand juif Justin Thannhauser uniquement à cause du climat de persécution ambiant, le contexte politique ayant entraîné pour lui d’importantes pertes financières. Mais les musées ont déclaré que la vente n’avait pas été provoquée sous le coup de la pression financière, qu’il « n’y avait aucune preuve d’une spoliation nazie » des tableaux et qu’avant cette vente, von Mendelssohn-Bartholdy avait déjà confié ces tableaux à sa seconde épouse Elsa, de religion chrétienne.

Contrat rescindé
En estimant cette action en justice recevable devant un tribunal, le juge Rakoff a conclu que seule la loi allemande pouvait trancher. Selon la loi en vigueur en Allemagne, un contrat peut être déclaré nul dès sa rédaction, si l’une des parties « est clairement désavantagée dans le cadre des négociations », en étant par exemple dans « l’extrême besoin », ou si le contrat « penche » en faveur de l’une des parties. Un contrat peut également être rescindé si l’un des signataires s’est exécuté sous la contrainte. Si, d’après le juge, la documentation concernant le transfert des tableaux était en effet « mince », un jury aurait malgré tout été en mesure de conclure que cette documentation était suffisante au regard des « circonstances historiques des pressions économiques exercées par les nazis sur les personnes et les biens juifs. ». Les héritiers avaient, selon lui, fourni suffisamment de preuves pour réclamer un procès qui aurait déterminé si la vente avait effectivement été conclue sous la contrainte. En d’autres termes, le juge Rakoff a estimé qu’un jury se référant à la loi allemande pouvait se prononcer en faveur de l’annulation d’une telle vente, permettant ainsi aux héritiers de faire une demande de restitution en bonne et due forme.
Nombre de collectionneurs américains ont mal accueilli la nouvelle. Les deux musées new-yorkais se sont, eux, déclarés ravis d’avoir trouvé un accord assurant la présentation des œuvres au public pour « des générations à venir ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°298 du 6 mars 2009, avec le titre suivant : Des Picasso réclamés

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