La Rome de Raphaël

Mantoue évoque l’apogée du classicisme romain

Le Journal des Arts

Le 5 mars 1999 - 828 mots

Près de 300 dessins, gravures et tableaux rassemblés à Mantoue évoquent l’apogée du classicisme romain entre 1515 et 1527, ainsi que le rôle central de Raphaël et de son atelier. Tout en montrant la portée de son influence, l’exposition propose de lui réattribuer nombre de feuilles données à ses collaborateurs.

MANTOUE. Le 6 mai 1527, une armée de 14 000 lansquenets au service de Charles Quint prend d’assaut la ville de Rome. S’ensuit le fameux “sac de Rome” dont la nouvelle bouleverse toute l’Italie et provoque un traumatisme profond dans les consciences. La cité Éternelle, qui n’avait pas connu pareil outrage depuis les invasions barbares, était redevenue avec Jules II, Léon X – fils de Laurent le Magnifique –, puis Clément VII, une capitale de l’art et de la culture. Outre les dommages irréparables causés aux monuments et aux œuvres, le “sac” provoque un exil massif de tous les artistes de la cour papale : après avoir servi le souverain pontife, ils allaient proposer leurs talents aux grands de France et d’Italie. Rosso Fiorentino s’en ira par exemple chercher la gloire à Fontainebleau auprès de François Ier, tandis que le Parmesan trouve refuge à Bologne. Cet épisode marque la fin du classicisme à Rome et ouvre la voie à un art plus inquiet, plus tourmenté, plus éloigné de la manière de Raphaël.

Ce n’est donc pas un hasard si 1515 et 1527 sont les dates de référence de “Rome et le style classique de Raphaël”. Conçue par Konrad Oberhuber, directeur de l’Albertina de Vienne, et Achim Gnann, l’exposition est d’abord basée sur les œuvres sur papier (plus de 300 dessins et gravures), en grande partie prêtées par l’Albertina. Quelques fresques et tableaux de la main de Raphaël et de ses plus proches collaborateurs y sont également présentés.

Une poignée de fidèles
Décédé brusquement à l’âge de 37 ans, en pleine gloire, Raphaël laisse derrière lui une poignée de fidèles comme Giulio Romano, l’architecte du Palazzo Te, Giovanni Francesco Penni, Perino del Vaga ou Giovanni da Udine, mais aussi un atelier plein de dessins et d’œuvres inachevées. S’y trouvait notamment la Madone Spinola du Musée Getty, dont les recherches ont permis de mettre en évidence l’intervention de Giulio Romano ou de Penni sur le dessin de Raphaël. La critique du XIXe siècle avait fini par attribuer à ses anciens assistants une grande partie des œuvres qui ne correspondaient pas parfaitement aux canons de l’art de Raphaël. Des travaux trop “gracieux” ou trop “élastiques” furent alors donnés tantôt à Penni, tantôt à Giulio Romano ou à d’autres, car on ne reconnaissait au Raphaël romain que le style monumental, “impérial”, caractéristique de ses œuvres autour de 1515.

En proposant avec cette exposition de restituer à Raphaël ce qui, à son avis, lui revient, Oberhuber ne manquera pas de susciter un ardent débat parmi les spécialistes. Il a en effet retiré des œuvres attribuées aux élèves pour les rendre au maître, et il est retourné sur les traces de Vasari. Celui-ci conservait une bonne mémoire de l’œuvre de Raphaël, mais il avait ensuite été désavoué par la critique. Konrad Oberhuber se fonde à la fois sur des bases stylistiques et sur le fait que certains motifs ont été copiés par d’autres artistes avant la mort de Raphaël.

“Internet avant l’heure”
Pourquoi le peintre accordait-il autant d’intérêt aux œuvres sur papier, non seulement aux dessins mais aussi aux gravures ? Raphaël, qui admirait Dürer, était parfaitement conscient de l’importance de la gravure pour la connaissance d’œuvres ne pouvant pas voyager ou conservées dans les palais de ses commanditaires. C’était l’unique moyen à l’époque – “une sorte d’Internet avant l’heure”, dit Oberhuber – pour diffuser rapidement ses inventions dans toute l’Europe. Dans son atelier, outre le célèbre Marcantonio Raimondi qui travaillait avec lui depuis 1509, Raphaël employait trois autres graveurs : Agostino Veneziano, Marco Dente de Ravenne et Ugo de Carpi. Ces assistants transcrivaient en gravure les dessins exécutés uniquement dans ce but, et ceux réalisés au contraire pour préparer un tableau.

Si la première partie de l’exposition met en évidence l’évolution du style de Raphaël entre 1515 et 1520 et opère des restitutions de dessins et d’autres œuvres de sa main, la seconde, conçue par Achim Gnann, souligne les grandes lignes de la culture picturale née à Rome dans la troisième décennie du XVIe siècle. Travaillaient alors dans la cité papale les collaborateurs de Raphaël, et de grands artistes comme Michel-Ange et Sebastiano del Piombo – ils tentèrent de prendre sa suite pour la Salle de Constantin dont la décoration, à la mort de Raphaël, n’était pas même commencée –, Rosso Fiorentino, Baldassare Peruzzi et le Parmesan qui, arrivé à Rome en 1524, était regardé comme une sorte de réincarnation de Raphaël.

ROME ET LE STYLE CLASSIQUE DE RAPHAËL (1515-1527)

21 mars-30 mai, Museo civico di Palazzo Te, viale del Te, Mantoue, tél. 39 376 36 91 98, tlj sauf lundi 9h-18h, samedi, dimanche et jours fériés 10h-19h. Puis, 9 juillet-19 septembre, Albertina de Vienne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : La Rome de Raphaël

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