Musée

Alain Mousseigne

Directeur des abattoirs à Toulouse

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 juin 2008 - 1533 mots

TOULOUSE

Le directeur des Abattoirs de Toulouse s’est battu pendant quinze ans pour voir naître son musée d’art moderne et contemporain. Portrait d’un opiniâtre.

Affable, Alain Mousseigne n’en reste pas moins difficile à saisir. On le dit « monopolistique », il paraît nonchalant. Bien que prolixe, le directeur des Abattoirs, le Musée d’art moderne et contemporain de Toulouse (lire notre dossier p. 13 à 26), joue parfois à l’anguille ou à l’écrevisse. « C’est un trait du Sud-Ouest, s’amuse un de ses proches. On ne sait jamais totalement où l’on en est avec lui. » Accouchant au forceps des Abattoirs, au terme de quinze ans de bagarre, ce professionnel n’a pourtant pas un passé d’indolent. « Il est tenace plus que bagarreur. Il a gardé son cap pendant des années avec la ferme intention de l’atteindre », observe Daniel Cazes, son ancien collègue au Musée des Augustins et actuel directeur du Musée Saint-Raymond, à Toulouse toujours. Mousseigne est toutefois souvent critiqué aujourd’hui pour sa faible prise de risques. L’ancien iconoclaste, qui prétend ruer encore dans les brancards, semble avoir perdu quelques-uns de ses ressorts. « Trente-cinq ans de vie en province lisse toutes les aspérités, remarque un familier. Dès qu’on est décalé, on devient une cible. Moralité, Alain a creusé une tranchée pendant des années, il s’est mis dedans, et n’en est plus ressorti, même quand le feu nourri s’est arrêté. »

Savant menuet
Né à Carcassonne (Aude) dans une famille de petits fonctionnaires, Alain Mousseigne connaît « une enfance moyenne, avec des manques évidents et des satisfactions étranges ». Une éducation à la dure qui lui donne d’emblée un grand degré de résistance et une certaine impertinence. À 17 ans, il se rend à Cadaqués, en Espagne, pour y rencontrer Salvador Dalí, et pose pendant un mois pour le maestro. Butinant entre philosophie, histoire et archéologie, il fait une maîtrise d’histoire de l’art sur la situation de la photographie dans les revues d’avant-garde artistique en France entre 1918 et 1939. De fil en aiguille, il décroche en 1973 un stage de conservateur au Musée des Augustins. « Il était enthousiaste, se remémore Daniel Cazes. Sa parole fusait. Il aimait le débat, voire la controverse. » La municipalité ne permettant pas la création d’un poste, il se rabat sur la direction du Musée de l’Annonciade à Saint-Tropez (Var). « On m’a dit “ou c’est en enterrement de première classe, ou c’est un tremplin”. J’en ai fait un tremplin », déclare l’intéressé. Il réussit à invalider les clauses testamentaires du mécène Georges Grammont, lequel interdisait prêts et expositions. Profitant de l’attraction estivale de Saint-Tropez, Mousseigne s’en donnera à cœur joie dans des événements comme « Henri Manguin » ou « Le drapeau : salut aux couleurs », jugé scandaleux par quelques grincheux locaux. Mais au bout de quatre ans, le fougueux tourne en rond.
En 1979, il retourne au Musée des Augustins où un poste de conservateur en charge des peintures est finalement créé. Chargé de la réfection des salles, il obtient la possibilité de développer l’art moderne et contemporain et organise une exposition sur Antoni Clavé. Mais le torchon brûle avec son directeur, Denis Milhau. « Il a pris ombrage de mes compétences, estime Alain Mousseigne. Après avoir fait quelque chose de célébré par la presse, on a été placardisé. Milhau était outré que je prenne le terrain du contemporain, sur lequel il voulait aussi intervenir. J’ai appris que lorsqu’on se met en conflit, même si on a de bonnes raisons, l’on perd beaucoup. » Les tensions s’exacerbent lorsque Mousseigne propose à Dominique Baudis, alors maire de Toulouse, de lancer la préfiguration d’un musée d’art contemporain. S’il déchaîne des foudres locales, le trublion s’attire aussi les banderilles de la délégation aux Arts plastiques (DAP). En voulant faire un musée à sa main, regroupant le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Midi-Pyrénées – dont il était membre de la commission d’achat –, et le centre régional d’art contemporain de Labège, dont il avait pris la direction en pompier, il passe pour un prédateur. « Je me suis dit qu’il fallait mettre fin aux conflits entre “fraqueux”, “draqueux” et conservateurs, et jouer la complémentarité, explique-t-il. Quand le FRAC achetait un Tàpies de 1992, j’en achetais un de 1956. Cela devenait malin. » L’idée d’une synthèse de trois institutions hérisse encore beaucoup de poils. « Il a ouvert la boîte de Pandore, en frelatant et affaiblissant quelque chose qui marchait bien, remarque l’un de ses opposants. Dès lors, on a utilisé les FRAC comme des bouées de sauvetage pour des structures en mal d’avenir. » Bénéficiant de la bienveillance de la direction des Musées de France, il joue avec la municipalité un savant menuet, entre révérence et insolence. Il convainc la ville d’implanter le musée dans les Abattoirs désaffectés et bataille jusqu’en 1995 pour être officiellement nommé directeur du projet. « Alain Mousseigne a bien accompli la mission que je lui avais confiée », observe avec raideur Dominique Baudis, ajoutant : « J’ai vécu le tollé dans une très grande indifférence. Quand on est maire, ce n’est pas pour la DAP, mais pour les habitants de Toulouse qui étaient contents que l’activité des Abattoirs cesse. »

Tropisme hispanique
Entre-temps, Mousseigne parvient à s’assurer la donation importante d’Anthony Denney et le dépôt de la collection de Daniel Cordier. Une fois n’est pas coutume, malgré les retards, le projet de réaménagement architectural s’effectue dans une certaine sérénité. « Généralement, comme architecte, on se retrouve seul face aux administratifs ou décideurs politiques. Alain Mousseigne était là, impliqué de bout en bout, rappelle l’architecte Antoine Stinco. Il suivait de près, mais sans interventionnisme. Il est rentré dans le projet sans a-priori, sans prendre la pose de l’autorité face à l’architecte. » Ce goût du dialogue est d’ailleurs loué par la plupart des gens amenés à travailler à ses côtés. « Il a été un homme d’écoute et de soutien », souligne le libraire Pierre Durieu, dont le comptoir qu’il avait ouvert aux Abattoirs a dû fermer au bout de trois ans faute de fréquentation. Le commissaire d’exposition Ami Barak évoque quant à lui « une collaboration heureuse, parfaite, dans laquelle Alain a d’emblée joué le jeu ». Pour Pascal Pique, directeur pour l’art contemporain aux Abattoirs, « Alain a montré une vraie confiance dans certaines de [s]es orientations, et même une certaine complicité sur certains projets. Il a du répondant ». Si son tropisme hispanique, entre Antonio Saura et Manolo Millares, est patent dans la collection, il est plus difficile de jauger sa colonne vertébrale en matière d’art contemporain. On ne devine en lui ni partis pris marqués, ni aversions frontales. Intéressé par les années 1960-1970, il ne semble guère enclin à suivre le versant de la radicalité. Il serait plus dans une certaine tradition cézanienne de l’école française. « Il y a aujourd’hui une reconsidération totale de la pratique artistique et de son évaluation, ce qui peut expliquer pourquoi quelqu’un comme Alain est prudent, moins intéressé directement quand il s’agit d’exposer l’actualité de l’art. Il a une espèce de distance dans le bon sens du terme », analyse le critique d’art Ramon Tio Bellido.

« Un conducteur de projet »
La gestation éreintante des Abattoirs semble avoir eu raison de son allant. Même s’il se défend d’être désabusé, l’homme paraît las. « Il a été un conducteur de projet, mais pas un programmateur, note un observateur. La magie du lieu a duré un an, puis l’élan s’est relâché. Il a été un peu piégé par la donation Cordier, qu’il a acceptée par goût. Mais l’accrochage est lourd, ne se renouvelle pas, ce qui peut fatiguer le public toulousain. » Les deux grosses expositions qui ont suivi l’ouverture, « La conquête de l’air » et « Blast to Freeze », n’ont pas toujours convaincu les foules. Face à un centre-ville aspirateur de la vie urbaine, le musée paraît isolé, même s’il est au centre de l’arc culturel de la Garonne dans le dossier de candidature de « Toulouse 2013 ». Le lieu semble pépère, plombé par un manque de crédits, notamment venant de l’État, lesquels n’ont guère évolué depuis 1995. « Aujourd’hui, il faudrait une requalification de cet objet, né dans la suspicion et la défiance. Il y a tout, mais pas le kérosène pour décoller normalement. Il nous faudrait un million d’euros supplémentaire et une extension du bâtiment », indique Mousseigne. Selon Ramon Tio Bellido, « les Abattoirs n’ont pas une presse favorable auprès du milieu artistique français tout simplement parce que les quelques lieux qui ont eu pignon sur rue sont passés dans les oubliettes de l’Histoire. Les Abattoirs ont une audience sur le plan local et régional, au niveau national, mais c’est comme le reste des institutions en France ». Malgré l’énergie de ses débuts, Mousseigne, et par ricochet son musée, auraient-ils succombé à la fatalité française ?

Alain Mousseigne en dates

1946 : Naissance à Carcassonne.
1975 : Conservateur du Musée de l’Annonciade, Saint-Tropez.
1979 : Conservateur au Musée des Augustins à Toulouse.
1985 : Conservateur du musée d’art moderne de Toulouse (préfiguration).
Depuis 1995 : Directeur des Abattoirs.
2000 : Ouverture des Abattoirs.
2008 : Exposition « 2008, une année Saura : erotica », jusqu’au 22 juin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°283 du 6 juin 2008, avec le titre suivant : Alain Mousseigne

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