Le monde rêvé de Ferdinand

La collection Médicis revient à Rome

Le Journal des Arts

Le 7 janvier 2000 - 866 mots

Au moment même où la façade sur la ville est dévoilée, après sa restauration, la Villa Médicis, siège de l’Académie de France à Rome, opère un retour à ses origines. « Le Rêve d’un cardinal » ressuscite la personnalité de Ferdinand de Médicis (1549-1609), à qui la villa doit son aspect actuel, à travers l’évocation de ses fabuleuses collections déménagées à Florence après son accession au trône grand-ducal. Un passionnant chapitre de l’histoire du goût.

Quatrième fils du grand-duc de Toscane Cosme Ier de Médicis, Ferdinand ne doit qu’au sort funeste de sa fratrie le droit de monter sur le trône de son frère François Ier, en 1587. Sa destinée, qui lui avait été prédite dès sa naissance par l’astrologue de la cour Giuliano Ristori, avait pourtant emprunté d’autres chemins, soigneusement balisés par son puissant géniteur. Nommé cardinal par le pape Pie IV en 1563, le jeune Ferdinand allait séjourner de plus en plus fréquemment à Rome, et bientôt, délaissant le Palazzo Firenze, entreprendre la transformation d’une villa sur la colline du Pincio pour en faire sa résidence et y abriter sa fabuleuse collection.

Avant la couronne du grand-duché, Ferdinand avait hérité de sa famille un goût atavique de la collection. Pour la première fois depuis leur départ pour Florence, certaines des œuvres les plus célèbres qu’il y avait rassemblées sont revenues sur le Pincio, une évocation pour laquelle l’inventaire topographique dressé en 1588 s’est révélé précieux. “Et à la Renaissance, à Rome, une collection, c’est d’abord une collection d’antiques”, explique Michel Hochmann, commissaire de l’exposition. Pratique emblématique de cette “antiquomanie”, l’insertion de reliefs antiques dans la façade sur le jardin, à l’exemple d’autres palais romains (della Valle…), en fait un musée à ciel ouvert qui se prolonge dans le jardin. Toutes les allées y étaient flanquées de portraits antiques, tandis qu’un bosquet accueillait le prestigieux groupe des Niobides. Trois des quatorze sculptures qui composaient cet ensemble pittoresque sont ici réunies. Un peu à l’étroit, il est vrai, elles rappellent la course de vitesse à laquelle se livraient les collectionneurs de l’époque pour s’approprier les découvertes des archéologues, alors baptisés “antiquaires”.

Dans le parcours, ces œuvres de marbre font écho aux trois statues de bronze créées par des artistes contemporains du cardinal : le fameux Mercure de Giambologna, flanqué du Mars de Bartolomeo Ammannati et du Silène avec Bacchus enfant de Jacopo del Duca, dont la puissance contraste avec la pose aérienne du Mercure. Le rapprochement de la Nymphe endormie avec un satyre, un petit bronze de Giambologna, avec la grande Ariane endormie, dite aussi Cléopâtre, prolonge cette rime de l’antique et du moderne. En s’inspirant de la pose alanguie d’Ariane, le sculpteur payait son tribut à l’un des antiques les plus célèbres de la Renaissance. Celle-ci, parée d’une tête aux traits épais ajoutée au XIXe siècle, dormait pourtant dans les réserves florentines. L’exposition aura au moins permis de la sortir de ce purgatoire injustifié et de la restaurer.

Zucchi et l’école florentine
Plus que par les antiques, c’est par sa collection de peintures que Ferdinand se distingue dans le contexte romain : florentin il est, florentin il reste en défendant l’école de peinture toscane, même s’il montre un goût pour les Vénitiens, à commencer par les Bassano. En Jacopo Zucchi, disciple de Vasari, il trouve un défenseur zélé de la bella maniera. Outre les décors complexes de la chambre des Éléments et de celle des Muses (pendant la durée de l’exposition, ils seront exceptionnellement accessibles au public), qui s’apparentent à un manifeste, le peintre florentin reçoit de nombreuses commandes, d’une Messe de saint Grégoire pour l’autel aux sophistications du Bain de Bethsabée, du portrait de Clelia Farnèse, maîtresse du cardinal, à l’atmosphère fantastique de La Mort d’Adonis. Ferdinand lui demande même un projet pour l’aménagement d’une galerie destinée à accueillir une partie de la collection d’antiques. Deux tableaux de Zucchi, La Pêche au corail et l’Allégorie de la Création, proviennent pour leur part de son studiolo. Les peintures aux implications allégoriques et parfois alchimiques constituent, avec les objets précieux et les curiosités qui y sont rassemblés, un système représentatif d’une cosmologie universelle. Animé de semblables préoccupations, François Ier de Médicis avait confié l’aménagement de son cabinet, au Palazzo Vecchio, à Giorgio Vasari, qui en fit son chef-d’œuvre. Le studiolo de Ferdinand comprenait une série exceptionnelle de petits bronzes par Pietro Simoni da Barga (Hercule Farnèse, Laocoon…), des curiosités comme la mitre en plumes de colibri acquise en pleine vogue des manteaux aztèques, ou encore des objets précieux. À travers les multiples composantes de la collection médicéenne, “Le Rêve d’un cardinal” évoque celui d’une époque, dont L’Antre du Sommeil, un dessin de Zucchi peuplé de créatures fantastiques, résume le goût de l’étrange.

- LA VILLA MÉDICIS, LE RÊVE D’UN CARDINAL, jusqu’au 5 mars, Villa Médicis, 1 viale Trinita dei Monti, Rome, tél. 39 06 676 111, tlj sauf mardi 10h30-19h, vendredi et samedi 10h30-22h. Catalogue sous la direction de Michel Hochmann, Edizioni De Luca, 320 p., 90 ill. couleur. ISBN 88-8016-337-X.

Francesco Borromini (1599-1667)

L’évocation des premières années de Borromini à Lugano l’été dernier (lire le JdA n° 87, 27 août) avait constitué un avant-goût ambitieux à la grande rétrospective romaine qui ne l’est pas moins. Embrassant cette fois toute la carrière de l’architecte tessinois, "Francesco Borromini et l’univers baroque" présente plus de 600 œuvres et objets, dont 250 feuilles provenant de l’Albertina à Vienne, évoquant les principales créations borrominiennes de Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines à Saint-Yves-de-la-Sapience, du Collège de la Propagation de la Foi à Sainte-Agnès d’Agone. "La façon de travailler de Borromini était très intéressante, parce que, sur une même épreuve, il dessinait tous les plans de l’édifice à construire, aussi bien le nombre d’étages que la profondeur de l’ensemble. C’était comme des radiographies", a expliqué Richard Bosel, l’un des commissaires, lors de la présentation. Grâce à la précision des dessins, des maquettes de projets non aboutis ont pu être réalisées. En cette année de Jubilé, Rome devait bien cet hommage à l’un de ses plus grands architectes, dont la rénovation de la nef dans la basilique Saint-Jean-de-Latran fut justement entreprise pour le Jubilé de 1650.
- FRANCESCO BORROMINI ET L’UNIVERS BAROQUE, jusqu’au 28 février, Palais des Expositions, 194 via Nazionale, Rome, tél. 39 06 47 45 903, tlj sauf mardi 10h-21h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°96 du 7 janvier 2000, avec le titre suivant : Le monde rêvé de Ferdinand

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