États-Unis - Art déco

Le triomphe de l’Art déco

Quand les gratte-ciel soignaient leur ornemantation

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2001 - 999 mots

La fièvre des constructions à New York n’est pas récente, l’Art déco faisant ainsi partie de ces fortes périodes d’activité et d’inventivité. Les États-Unis n’avaient pas participé à la grande exposition d’arts décoratifs et industriels tenue à Paris en 1925, mais l’influence de la manifestation fut considérable sur les architectes américains. Ceux-ci transposèrent les motifs architecturaux européens sur leurs gratte-ciel, emblèmes de l’optimisme des années 1920, du bon fonctionnement du capitalisme. Avec la Californie, New York regroupe les meilleurs exemples de cette architecture qualifiée d’« Art déco ».

“Vers 1923-1925, lorsque ce que l’on peut nommer le ‘boom’ du gratte-ciel éclata réellement, le seul qui convienne à l’embellissement des décrochements et des halls d’entrée était un style décoratif résolument moderne, celui du salon de Paris. Il n’existait tout simplement pas de style moderne en Amérique”, explique Alastair Duncan dans son ouvrage L’Art déco américain. L’Amérique des années 1920 a créé à partir du courant européen une architecture spectaculaire et monumentale : des buildings aux structures d’acier parées de pierres, de briques, de terres cuites, de mosaïques de verre ou de métal de toutes les couleurs, mêlés parfois à des éléments folkloriques, orientaux ou précolombiens. Ce vocabulaire a été adapté à tous les types de bâtiments new-yorkais : cinémas, théâtres, music-halls, cafétérias, grands magasins, monuments publics ou privés, églises. À l’intérieur, l’ornementation art déco s’applique surtout aux parties communes de l’immeuble : grilles et portes d’entrée, vestibules, cages d’ascenseurs.

La New York Telephone Company a été la première à adopter la décoration architecturale moderniste en s’adressant en 1923 à la firme McKenzie, Voorhees and Gmelin, pour le projet de ses bureaux de West Street, au sud de Manhattan. La nouveauté de ce building, aujourd’hui connu sous le nom de Barclay-Vesey, résidait dans l’absence d’influences historiques, dans sa structure comme dans son ornementation. L’exemple suprême d’un Art déco flamboyant, à l’image des businessmen mégalomanes de la ville, reste le Chrysler building, conçu par William Van Alen et construit de 1928 à 1930. Pendant une courte période, il domina tous les autres gratte-ciel, avec ses 77 étages répartis sur 234 mètres de hauteur. Un des aspects les plus intéressants du bâtiment réside dans les sept niveaux du dôme, de forme cintrée, en décrochement les uns par rapport aux autres, avec des lucarnes triangulaires encadrées d’acier chromé brillant. Toute la construction, décorée d’éléments automobiles sculptés – comme les fausses gargouilles stylisées reprenant le motif des garnitures de capot –, est mise au service de l’énorme puissance financière de Chrysler. Le Chanin Building, imaginé par les architectes Sloane et Robertson en 1927, est lui aussi un hymne au succès individuel de son propriétaire et une référence évidente au mythe du “self-made man”.

Loin des sujets historiques
À l’instar de Van Alen, les architectes ont trouvé dans le langage art déco les moyens de réaliser quelque chose de profondément novateur. Le Rockefeller Center, imaginé par Raymond Hood en 1927 et commencé en 1931, est dénué de toute référence historique ; son effet repose sur le jeu de lumière sur sa surface, et sa silhouette qui se détache du ciel. Les façades des bâtiments jumeaux français et anglais qui donnent sur la Cinquième Avenue sont rehaussées de frises sculpturales en bronze. Conforme aux aspirations de la ville à la fin des années 1920, qui se voulait le foyer de la nouvelle culture, il regroupe des bureaux, théâtres, boutiques, restaurants sans oublier le RKO Roxy et le Radio City Music. Raymond Hood a réalisé d’autres commandes pour New York, comme l’American Radiator Building, combinaison de briques noires et or, le Daily News Building, dont la hauteur est soulignée par des rangées de fenêtres verticales en renfoncement et le Mc Graw-Hill Building, pourvu de fenêtres en longueur créant, cette fois-ci, un effet horizontal. L’Empire State building, construit en 1932 par Shreve, Lamb & Harmon, adopte la même échelle monumentale que le Rockefeller : 102 étages pour 381 mètres de hauteur, 449 mètres en comptant l’antenne dont il est surmonté. Le foisonnement ornemental – triangles, losanges, trapèzes, pyramides, zigzags assortis de marbre rose et gris et ses plaquages en cuivre et en acier inoxydable – respecte ici une certaine rigueur géométrique. Autre exemple, le General Electric Building, dessiné par les architectes Cross & Cross en 1931, est, depuis son atrium tout de chrome et de marbre vêtu jusqu’à son sommet, en parfaite harmonie avec l’église St Bartholomew voisine. De nombreux gratte-ciel – le Film Center, le Squibb Building, le Holland-Plaza Building, le Bricken Building – sont réalisés par Ely Jacques Kahn qui s’impose à la fin des années 1920 comme l’une des figures majeures du design et de l’architecture moderniste aux États-Unis. Associé à Buchman, il dessina des buildings commerciaux dans tout New York, et en construisit plus d’une trentaine entre 1925 et 1931.

La crise de 1929 correspond à une seconde phase dans le développement de l’Art déco. Devenu trop coûteux, le style richement décoré fait place à un langage plus didactique. Une des innovations les plus importantes, dans les années 1930, fut le “streamlining”, courant dérivé de l’Art déco et associé à des concepts directement issus de l’industrie et du commerce dont la nature même lui permettait de toucher tous les niveaux de l’économie, depuis les usines jusqu’aux petites pompes à essence, wagons-restaurants ou bars. Il doit l’un de ses monuments les plus importants à Frank Lloyd Wright : le célèbre Musée Guggenheim (conçu en 1944 et construit en 1959) alliant certains principes de l’Art déco à une forme d’expression spécifiquement américaine.

L’architecture contribua pour beaucoup au développement du style Art déco en Amérique. Nombreux furent les créateurs de mobilier et d’objets qui puisèrent leur inspiration parmi les réalisations architecturales, et plus particulièrement dans l’image puissante et complexe des gratte-ciel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Le triomphe de l’Art déco

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