Renaissance

A Ferrare, le bizarre érigé au rang d’art

Le Journal des Arts

Le 5 décembre 2003 - 716 mots

Dans le cadre du festival Europalia, qui met cette année l’Italie à l’honneur, le Palais des beaux-arts de Bruxelles explore le caractère singulier de la Renaissance ferraraise.

BRUXELLES - À l’instar des Médicis à Florence, des Sforza à Milan ou des Gonzague à Mantoue, les Este développèrent à Ferrare une des cours les plus raffinées de la Renaissance. De l’avènement de Niccolò III en 1393 à la cession du duché à la papauté en 1598, la ville fut en effet le creuset d’une vie culturelle féconde, qui s’exprima dans tous les domaines : la peinture, grâce à des artistes tels que Mantegna, le Titien, Cosmè Tura et Dosso Dossi, la littérature, avec des auteurs comme le Tasse et l’Arioste, mais aussi les arts décoratifs, la musique ou le théâtre.

Cet âge d’or fait l’objet d’une exposition-fleuve au Musée des beaux-arts de Bruxelles, qui a réuni un vaste ensemble de tableaux, sculptures, tapisseries, dessins, fresques, miniatures, armes, objets d’art et livres. Au total, quelque 200 œuvres sont proposées au visiteur, à travers un parcours qui tente d’embrasser tous les aspects (historiques, artistiques, architecturaux, intellectuels…) de la Renaissance ferraraise. Il en résulte un accrochage inégal, qui disperse le visiteur par la multiplicité des thèmes abordés – pourquoi évoquer par exemple « Ferrare et le cinéma d’auteur » dans une exposition consacrée à la Renaissance ? – et souffre d’une scénographie déficiente : certains tableaux sont à peine éclairés, les livres sont présentés trop bas…

Un art tourmenté et singulier
L’exposition ménage toutefois des surprises, comme l’évocation de la cour des Este durant le bref mais remarquable règne de Leonello (1441-1450), fils naturel légitimé de Niccolò III. Incarnation du prince idéal de la Renaissance, ce souverain humaniste pétri de culture antique attira à Ferrare des artistes comme Jacopo Bellini, Piero Della Francesca, Alberti ou Pisanello, lequel immortalisa son profil altier en 1441.

Le goût éclairé de Leonello pour les arts est également illustré par l’ornementation de son studiolo au palais de Belfiore, exécutée sous la direction du Siennois Angelo Maccagnino, puis, à la mort de ce dernier, par le Ferrarais Cosmè Tura. De ce décor savant mettant en scène les neuf muses, on conserve aujourd’hui six panneaux, dont trois sont montrés à Bruxelles. Représentant Erato, Uranie et Polymnie, ceux-ci témoignent, par leur sensibilité encore gothique, de la singularité de la Renaissance ferraraise, « fusion harmonieuse de l’apport humaniste florentin et de la tradition chevaleresque persistante », pour reprendre les termes de l’historien de l’art Gianni Venturi dans le catalogue.

Succédant à son frère Leonello, Borso D’Este (1450-1471) est lui aussi à l’origine de commandes fastueuses, telle sa célèbre Bible, dont les six cents pages furent enluminées par Taddeo Crivelli et Franco Dei Russi entre 1455 et 1461, ou encore les fresques du palais Schifanoia (Francesco Del Cossa), évoquées par un diaporama. C’est aussi l’époque où s’épanouit l’art anguleux et mystique de Cosmè Tura, représenté notamment par la Pietà du Musée Correr (Venise), ou la peinture minutieuse et tourmentée d’Ercole de’ Roberti (L’Archange Saint-Michel, Saint Jean-Baptiste…). Typiquement ferrarais, ce caractère inquiet laisse place, au début du XVIe siècle, à un art de cour épique et sensuel. En attestent le décor commandé par le duc Alfonso Ier D’Este à Titien et Bellini pour ses camerini, petites chambres secrètes où il conservait ses objets les plus précieux – ce cycle est évoqué par des copies de Padovanino, Pierre de Cortone ou Vincenzo Camuccini –, ou les nombreuses compositions issues des écrits de l’Arioste (le Roland furieux, vers 1502).

Le poète inspira les programmes décoratifs de nombreux palais – pour preuve, ces fresques de Nicolò Dell’Abate exécutées pour une résidence bolonaise en 1548 – et fascina des artistes comme Dosso Dossi, principal peintre de cour d’Alfonso Ier. Bruxelles expose l’un des chefs-d’œuvre de cet artiste influencé par l’art vénitien (La Magicienne Circé, 1515-1516). Non loin prennent place des tableaux du Ferrarais Garofalo, qui fait la synthèse entre l’art classique de Raphaël et l’atmosphère poétique des œuvres de Giorgione. Le parcours s’achève sur une toile du Guerchin (Suzanne et les vieillards), dernier grand peintre d’origine ferraraise.

UNE RENAISSANCE SINGULIÈRE. LA COUR DES ESTE À FERRARE

Jusqu’au 11 janvier 2004, Palais des beaux-arts, rue Ravenstein, Bruxelles, tél. 32 2 507 85 94, tlj 10h-18h, jeudi 10h-21h, www.eu ropalia.be. Catalogue édité par Snoeck, 359 p., 35 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°182 du 5 décembre 2003, avec le titre suivant : A Ferrare, le bizarre érigé au rang d’art

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