Massimiliano Gioni : Manifesta 5 s’installe à San Sebastián

Le Journal des Arts

Le 11 juin 2004 - 1093 mots

La biennale européenne d’art contemporain réunit une cinquantaine d’artistes au cœur
du Pays basque. Entretien avec le Milanais Massimiliano Gioni, co-commissaire de la manifestation.

La biennale européenne d’art contemporain Manifesta est née en 1996 à Rotterdam avec pour double objectif d’introduire les artistes venant des pays de l’Est sur le marché de l’art contemporain et de les faire connaître au public occidental. Les éditions suivantes, qui se sont déroulées au Luxembourg et à Ljubljana (Slovénie), ont généralisé cette mission à la « diffus[ion] de l’art et de la culture contemporaine, la génér[ation] de nouvelles propositions artistiques et la promo[tion] des artistes émergents ». Après l’édition peu glorieuse de Francfort en 2002, la cinquième Manifesta s’ouvrira le 11 juin à San Sebastián, au cœur du Pays basque, dans une Espagne encore bouleversée par les attentats de Madrid et rescapée de la catharsis collective des élections législatives du 14 mars 2004. C’est dans ce climat que Marta Kuzma, née à New York en 1964, ancienne directrice du Centre Soros pour l’art contemporain à Kiev en Ukraine, et Massimiliano Gioni, né en 1973, directeur artistique de la Fondation Trussardi à Milan, ont présenté le programme de « leur » Manifesta : 50 artistes (dont 2 Français, Marc Quer et Olivier Zabat), de nombreuses nouvelles œuvres et un projet pour le recyclage de la zone portuaire de Pasajes par le biais d’activités artistiques et culturelles. Massimiliano Gioni répond à nos questions.

Quelles sont les caractéristiques qui distinguent cette édition de Manifesta des autres biennales ?
Manifesta est la seule biennale itinérante. Ainsi chaque édition est-elle différente, ne serait-ce que parce qu’elle doit se confronter à une nouvelle ville et à un nouveau contexte culturel. Pour cette édition, nous avons cherché à nous rapprocher et à nous mesurer à la ville de San Sebastián comme à la région basque, en passant beaucoup plus de temps sur place au lieu de partir à la recherche de jeunes artistes à travers l’Europe. Nous avons également souhaité rompre la dynamique de la représentation géographique, qui a trop souvent été l’unique clé pour l’interprétation de l’art contemporain. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes efforcés de regarder les artistes et les œuvres, sans ressentir la pression d’inclure un artiste originaire des Balkans ou de Suisse.

Selon quels critères avez-vous choisi ces artistes ?
Ces dernières années, il y a eu une véritable indigestion d’expositions consacrées à la mondialisation et à la géographie. À l’inverse, lors de nos recherches, nous avons trouvé beaucoup d’artistes qui vivent et travaillent sur des thèmes et des contextes beaucoup plus personnels et complexes. Ce qui ne signifie pas qu’ils ne soient pas impliqués dans notre actualité et concernés par ses problèmes, mais ils s’engagent plutôt à les traduire dans des formes et des langages personnels, moins frontaux. Par ailleurs, nous avons cherché à inviter non seulement de jeunes artistes mais aussi des auteurs plus anciens ou plus affirmés : l’art n’a pas de date de péremption. Enfin, nous avons essayé de faire émerger le travail d’artistes concentrés sur la création de mondes personnels, parfois énigmatiques voire mystérieux. L’ambiguïté et la complexité deviennent des valeurs fondamentales, surtout à une époque où tout semble trop facilement formaté en termes politiques ou manichéens. Quelqu’un a dit que les meilleures œuvres d’art semblent toujours écrites dans une langue étrangère.

Quel est le thème central de Manifesta 5 ?
Il n’y a pas de thème unique ni d’argument spécifique ; au contraire, lors de nos recherches, nous avons fait attention au fait que l’art européen d’aujourd’hui, comme peut-être l’Europe elle-même, vit de contrastes, de différences mais aussi de tensions. De là vient le choix de laisser ces différences intactes, en tout cas de les affûter.

Comment avez-vous réparti les œuvres et les artistes dans les divers espaces ?
Dans les salles du Koldo Mitxelena Kulturunea, un musée du centre-ville, siège également de la bibliothèque municipale, se trouvent surtout les œuvres qui tournent autour de l’idée du langage, de l’histoire, de la mémoire et de l’amnésie. Il ne s’agit pas d’illustrer des concepts ou de présenter des liens précis, cependant, nous avons tenu compte du fait que beaucoup d’artistes actuels rendent compte de la nostalgie et du passé, avec des souvenirs autant collectifs qu’individuels. Une vidéo de Sven Augustijnen qui explore le traumatisme lié à l’amnésie et à l’aphasie côtoie les théorèmes absurdes et les spéculations linguistiques de Misha Stroj ou les peintures chargées de références au passé de Michaël Borremans. Dans l’espace du Museo San Telmo, un monastère transformé en musée ethnographique, s’articulent avant tout des projections vidéo et des installations qui offrent l’opportunité de s’interroger sur la construction de l’identité personnelle et nationale. Il ne s’agit pas de documentaires au sens strict, mais plutôt d’évocations personnelles, qui frisent l’autobiographie. Pour Manifesta 5, plus que des réflexions géopolitiques, on trouve des espaces personnels, des paysages psychologiques et des mondes intérieurs. Dans les espaces froids du Kubo Kutxa, l’édifice hypermoderne conçu par Rafael Moneo, nous exposons des œuvres qui se mesurent à l’architecture, interprétée comme véhicule de visions personnelles, de mémoires et de réflexions sociales. À côté des constructions précaires du Portugais Carlos Bunga s’étendent les paysages mentaux de Markus Schinwald ou d’Anu Pennanen, sans oublier le journal des tensions et des contraintes de la vie en Israël au cœur du film Route 181.

En quoi consistent les projets pour Pasajes et Ondartxo ?
Pasajes est une zone industrielle située à quelques kilomètres de San Sebastián. Dans les espaces de la vieille usine Casa Ciriza, nous avons disposé des installations, des structures et des sculptures qui se mesurent aux espaces environnants, mais aussi des œuvres et des vidéos issues de recherches menées à partir d’archives, un autre aspect qui semble fasciner les artistes d’aujourd’hui. Des images de discothèques et de raves de Mark Leckey, en passant par les films industriels de Zbynek Baladrán ou d’Iliya Chichkan, jusqu’aux paysages irlandais de Duncan Campbell, l’exposition serpente entre les contrastes et les mondes agressifs. À Ondartxo, Jan De Cock travaille sur une échelle quasi monumentale, collaborant activement à l’opération de restauration d’un vieil édifice originellement consacré à la construction de navires. Il s’agit d’un projet qui incorpore la mémoire de la ville et la nostalgie du matelot, traduisant ces séductions en espaces complètement transformés. Pour finir, parallèlement à ces projets, les espaces publics de la ville bénéficieront de l’installation de plusieurs œuvres.

MANIFESTA 5

11 juin-30 septembre, Museo San Telmo, Kubo Kutxa, Soto del Aquarium, Koto Mitxelena, Arteleku et Casa Ciriza, Ondartxo et San Sebastián, Espagne. Rens. 34 943 44 13 00, bureau d’information : Camino 2, bajo, Donastia-San Sebastián, www.manifesta.es

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°195 du 11 juin 2004, avec le titre suivant : Massimiliano Gioni : Manifesta 5 s’installe à San Sebastián

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