L'actualité vue par

Adrien Maeght, président de la Fondation Marguerite et Aimé Maeght, à Saint-Paul

« La Fondation Maeght a été un aiguillon »

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 1263 mots

Né en 1930, Adrien Maeght a travaillé avec ses parents, Marguerite et Aimé Maeght, de 1947 à 1956, avant d’ouvrir sa galerie-librairie au 42, rue du Bac, à Paris (7e arr.), et de fonder en 1964 l’imprimerie Arte. Depuis 1982, il est le président de la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence (Alpes-Maritimes), laquelle fête cet été ces 40 ans avec l’exposition « De l’écriture à la peinture » (visible jusqu’au 14 novembre). Adrien Maeght commente l’actualité.

La Fondation Maeght fête cette année ses 40 ans. Cet anniversaire est d’autant plus important que ce type d’initiative privée reste rare en France. Pouvez-vous revenir sur la genèse de la Fondation ?
Quand la Fondation a été inaugurée, c’était la première fois qu’une telle expérience était tentée en Europe. Au départ, il y a eu la galerie de Marguerite et Aimé Maeght, créée à Cannes puis à Paris en 1945. À la fin des années 1950, celle-ci était la plus importante au monde. Nous représentions Braque, Bonnard, Matisse, Calder, Giacometti, Bazaine, Ubac, Kelly, Tàpies… Mais après la mort de mon frère Bernard, l’état d’esprit de mes parents a été bouleversé. Ils n’avaient plus les mêmes envies. Fernand Léger leur a donné l’idée de partir aux États-Unis, de voir autre chose. Lors de leur voyage pendant l’hiver 1954, ils ont découvert les fondations américaines. Celles-ci étaient alors inconnues en France. Bien sûr, [Albert C.] Barnes était célèbre, mais tout cela restait très abstrait. À leur retour, mes parents ont pensé construire quelque chose de proche. Leur fondation devait être un lieu où serait réuni ce qui était conservé de leur expérience de marchand. À l’origine, l’essentiel de leur collection y fut regroupé, à destination non seulement du grand public, mais aussi des étudiants, chercheurs et artistes. L’idée n’était pas d’accrocher définitivement des œuvres sur un mur, comme le faisaient alors les musées, mais de créer un dynamisme. Miró a présenté à mes parents José Luis Sert, le futur architecte du bâtiment ; Braque était enthousiaste… L’idée a germé en 1955 et la première pierre, posée cinq ans plus tard. La Fondation a tout de suite été dotée par la famille Maeght. Aimé et Marguerite savaient qu’une fondation avait besoin d’un patrimoine important pour être crédible.

Pourquoi ce modèle est-il resté si peu développé ici ?
Les Français étaient un peu satisfaits d’eux-mêmes. Le marché de l’art était français, la capitale du monde de l’art était Paris et les gens n’ont pas vu le vent tourner. Je suis parti aux États-Unis en 1949, j’ai travaillé trois moi chez Curt Valentin [à New York] et mon idée était d’y repartir. J’avais 19 ans et j’ai compris que c’était là que cela se passait. La France considérait encore New York comme la banlieue de Paris, elle n’avait pas vu que l’art, ce n’était pas simplement des peintres et des marchands. C’était aussi tout un monde, celui des fondations et des musées privés. En France, il n’y avait alors pratiquement pas d’art contemporain en province. Cela dit, l’idée de Marguerite et d’Aimé n’a pas été sans suite. La Fondation a donné envie à beaucoup de gens. Elle a été un aiguillon, même au niveau de l’État.

Pourquoi avoir retenu pour cet anniversaire le thème : « De l’écriture à la peinture » ?
Mes parents ont doté la Fondation de deux mille œuvres à peu près, dont cinquante Giacometti et cent Miró. J’ai ensuite donné la bibliothèque de mon père à la Fondation. Elle contient les plus beaux livres du XXe siècle (tous en édition de tête, presque tous avec une gouache, un dessin ou une dédicace) et possède environ 15 000 volumes sur l’histoire de l’art. Le rapport entre le livre et l’art a été la grande passion de mon père, qui a été éditeur avant d’être marchand. Cette passion a aussi été la mienne et j’ai créé en 1964 l’imprimerie Arte. La relation entre les artistes et les écrivains est logique pour nous. Les artistes ont toujours fréquenté les écrivains : Pierre Reverdy et Braque, Max Jacob et Picasso… la liste serait trop longue. Bien souvent, les marchands restaient en dehors de cette amitié ; avec nous cela a fonctionné. L’exposition de cet été parle de tout cela. Elle est un hommage à Aimé Maeght, elle montre les livres illustrés comme de vraies œuvres d’art et témoigne des liens entre un marchand amateur d’art, des peintres et des poètes et l’aspect artisanal du métier d’imprimeur. La bibliophilie connaît aujourd’hui un succès moins important, mais je ne crois pas à la disparition du livre. Peut-être arriverons-nous à susciter des vocations ? Tel est le but de la Fondation et nous avons réussi. S’il fallait recommencer malgré les complications et les soucis, je recommencerais.

Si la Fondation Marguerite et Aimé Maeght a été créée avec les artistes et pour eux, elle est surtout reconnue, aujourd’hui, pour ses expositions d’art moderne…
La Fondation a été créée uniquement avec les artistes de la galerie et n’avait pas vocation à être un musée. Dans les premières années, nous faisions quatre ou cinq expositions par an, parfois avec de jeunes artistes aujourd’hui oubliés. À présent, il y a davantage de lieux pour eux, comme les Fonds régionaux d’art contemporain. Nos 40 ans sont aussi un renouveau. Jusque-là, nous avons fait en sorte que la Fondation ait une image fantastique dans le monde. Désormais, elle peut se permettre de faire des expositions moins « médiatiques » et montrer des œuvres qui en ont besoin : Jean Bazaine, mais aussi Gérard Gasiorowski ou Jacques Monory. De telles expositions seront peut-être moins prestigieuses, mais la Fondation est là pour valoriser les artistes. Quand nous avons fait l’exposition Germaine Richier, celle-ci était un peu oubliée. Aujourd’hui, elle est reconnue dans le monde entier.

Vous parliez du tournant de l’après-guerre. Aujourd’hui, Paris est loin d’être la capitale du marché de l’art. La Foire de Bâle qui vient de s’achever comptait encore un faible nombre de galeries françaises. Comment analysez-vous ce bouleversement ?
Mon père était à la fois galeriste et négociant en objets d’art. Il organisait la promotion de jeunes créateurs et vendait des œuvres d’autres artistes plus connus. Il a fait les premières grandes expositions de Chillida et de Kelly, mais avait, à côté de lui, Bonnard, Matisse ou Chagall. Nous avons vendu Matisse et Bonnard pour financer Giacometti et Miró, puis Miró pour financer Tàpies et Riopelle… Il y a eu une rupture avec la mort de mes parents, en 1977 [Marguerite] et 1981 [Aimé]. Ils étaient complémentaires. Mon père était un rêveur avec un goût extraordinaire, mais il ne fallait pas lui parler de fin de mois ou de bilan. C’était le rôle de ma mère. À leur décès, les artistes se sont dispersés et cela correspondait aussi au transfert du marché de l’art vers les États-Unis. Les choses avaient changé, Paris n’était plus le centre. [Les marchands] Rosenberg, Wildenstein, Kahnweiler sont venus ici car les artistes étaient là depuis la fin du XIXe siècle. Finalement, le marché de l’art est parti aux États-Unis et les artistes ont suivi.

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
L’exposition Miró au Centre Pompidou, magnifique. J’espère qu’elle aura fait comprendre aux gens qu’il s’agit d’un des plus grands artistes de l’entre-deux-guerres. Je reviens de Russie où la Fondation a justement prêté des Miró pour une exposition à Saint-Pétersbourg. Dans les musées russes, j’ai découvert des choses passionnantes. Il y a là de quoi se poser des questions sur l’origine des avant-gardes en Europe. Des artistes qui nous sont totalement inconnus et faisaient des œuvres tout à fait intéressantes dès 1906-1907.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : Adrien Maeght, président de la Fondation Marguerite et Aimé Maeght, à Saint-Paul

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