Calendes grecques

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 5 octobre 2007 - 958 mots

Le projet du Centre Pompidou à Shanghaï est ensablé dans des discussions avec les autorités centrales de Pékin. Une opération qui s’annonce plus compliquée que prévue.

En Chine, il ne fleure pas bon mettre la charrue avant les bœufs. Le Centre Pompidou le mesure à ses dépens après avoir annoncé l’an dernier l’installation d’une antenne à Shanghaï en 2010. Cette bouture devait initialement occuper une ancienne caserne de pompiers construite en 1911 et située dans le parc de Huaihai. Le projet est séduisant, mais mal emmanché, Beaubourg ayant négligé de solliciter l’aval des autorités centrales de Pékin. « Le district de Lu-wan nous avait dit qu’il allait engager lui-même les négociations avec la capitale, mais lorsque je suis arrivé au Centre Pompidou, j’ai constaté que rien n’avait été fait », indique Alain Seban, président de l’établissement public.

Les nouvelles tractations s’annoncent longues puisqu’il n’existe aujourd’hui aucun cadre juridique permettant à une institution étrangère à but non lucratif d’exercer en Chine. Aussi Beaubourg mise-t-il plutôt sur l’idée d’une franchise concédée à un partenaire chinois moyennant finance. Le chantier se révèle aussi bien réglementaire qu’idéologique, puisqu’il est encore difficile de garantir l’intégrité culturelle que réclame le Centre. D’après Huang Du, senior curator au Today Art Museum à Pékin, « il serait difficile pour le gouvernement d’accepter un musée étranger sur lequel il n’aurait pas de contrôle ». De surcroît si celui-ci se trouve à Shanghaï, une vitrine commerciale que Pékin a dans son viseur, au point d’avoir limogé en 2006 Chen Liangyu, le premier secrétaire du parti communiste de la ville. Autre donnée locale à ne pas oublier, la bataille entre les différents districts de Shanghaï. Celui de Lu-wan, dirigé par Sha Hailin, ancien ambassadeur en Irlande, est d’autant plus contrôlé qu’il concentre ses activités sur les services destinés aux compagnies étrangères. « S’il s’était agi d’une coopération commerciale, Shanghaï aurait pu se débrouiller seule, précise un proche du dossier. Mais la France a pris l’angle de la coopération culturelle. Elle laisse de fait la voie libre pour le Guggenheim. » L’institution américaine, qui jouit de la médiation du très influent Lu Jie, directeur du centre d’art The Long March, prospecte actuellement dans le quartier de 798 à Pékin.

Franchises élevées
D’après certains observateurs locaux, les questions financières bloquent aussi le processus. La France serait trop gourmande, tandis que Pékin souhaiterait que l’Hexagone mette la main au portefeuille. Un bras de fer avec le promoteur immobilier Shui On, pressenti originellement pour l’aménagement du site à Lu-wan, a même été évoqué. « Le challenge, c’est de trouver les fonds pour ces “musées trophées” », observe Chuk-kwan Ting, chargée par la société Shui On de réfléchir à l’aménagement du quartier. « Les coûts incluent la construction des bâtiments, les frais de fonctionnement annuels et des franchises élevées. Vous vous doutez bien que le Centre Pompidou voudrait en faire un projet profitable pour eux-mêmes. Le gouvernement de Shanghaï a besoin des entrepreneurs immobiliers pour assurer ce financement. Mais ces compagnies doivent avoir en retour des bénéfices tangibles pour s’engager à long terme. »

Aujourd’hui, les différentes parties souhaitent dédramatiser le retard. « Notre délégation s’est rendue au Centre Pompidou en juin et des représentants [de l’institution parisienne] sont venus en retour nous voir ce même mois. C’est un signe que nous souhaitons que les discussions continuent », assure Wu Xiao-xian, directrice adjointe pour les affaires étrangères du district de Lu-wan. Toutefois, pour certains observateurs, Alain Seban, qui, pour d’obscures raisons, ne s’est pas rendu en Chine en juin, serait moins enclin à porter le projet de son prédécesseur qu’à conquérir l’Inde, pays qui pour l’heure n’a pas fait de propositions de sites. Le Centre Pompidou étudie d’ailleurs les propositions émanant de Singapour et de Hongkong, dont le projet d’aménagement de West Kowloon vient d’être relancé. « Nous n’avons jamais été dans des négociations exclusives avec Shanghaï, précise Alain Seban. La volonté du Centre de s’implanter en Asie est intacte, mais nous sommes ouverts à d’autres possibilités. »

La fièvre muséale en Chine

« Les statistiques sont une arme de propagande pour Pékin », prévient Thierry Wolton dans le Grand Bluff chinois (1). « Plus on fournit de données éblouissantes à un interlocuteur, moins il aura le temps de penser, de vérifier, de décider. Il faut l’enchanter. » L’enchantement vient aujourd’hui de l’annonce de la création de mille musées d’ici à 2015. « Construire un musée, ce n’est pas difficile. C’est une autre histoire de le faire tourner, tempère Yang Ming, directeur associé du Beijing World Art Museum. Les ouvriers manquent de qualification et les équipes ne sont pas expérimentées. » La volonté culturelle n’est pas toujours l’objectif premier des maîtres d’œuvre. Ainsi, l’homme d’affaires de Hongkong Samuel Kung avait repris l’ancienne serre du Jardin du peuple à Shanghaï pour en faire un centre d’exposition de bijoux ; il l’a remanié en musée d’art contemporain (MOCA). Le promoteur Dai Zhikang avait quant à lui prévu de construire une galerie avant de la reformuler en « Zendaï Museum », encastré depuis deux ans à Pudong au sein d’un environnement très « beauf » de centre commercial. Les nouveaux musées chinois ne sont bien souvent qu’un élément de projets urbanistiques plus larges, lesquels gomment la physionomie originelle des villes. Dai Zhikang envisage ainsi la construction d’ici à 2010 à Pudong d’un grand complexe baptisé « Himalaya Center » comprenant deux hôtels, des bureaux, des galeries et un espace muséal de 9 000 m2. De même, le Today Art Museum de Pékin, dont le président, Zhang Baoquan, est un entrepreneur immobilier, est intégré dans un vaste projet de développement comprenant une extension de 3 000 m2 inaugurée en octobre prochain pour présenter de l’art international, des ateliers d’artistes et des galeries. Ces musées sont rarement dotés de vraies collections. Leur programmation cède aussi parfois à l’échange de bons procédés, sport national des Chinois.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Calendes grecques

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