ENTRETIEN

Jacques Grange, décorateur : « Le renouveau et la découverte sont mes moteurs »

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2017 - 673 mots

Le décorateur français vend une partie de sa collection chez Sotheby’s.

Comment avez-vous constitué votre collection ?
Il n’y avait pas la volonté d’en constituer une. Petit à petit, j’ai réalisé des achats avec mes moyens. Mon goût est très éclectique. J’ai un peu de mobilier XVIIIe, essentiellement peint, et quelques pièces d’art asiatique que j’ai gardées. Tout m’intéresse, même si j’ai une prédilection pour le XXe siècle, notamment pour l’intemporalité de Jean-Michel Frank et de Pierre Chareau. Quand j’ai fait mien l’appartement de Colette au Palais-Royal, je me suis intéressé davantage aux symbolistes et j’ai créé une atmosphère « littéraire ». Il y a vingt ans, j’ai pu acheter ce lieu et j’y ai fait des travaux. J’ai mis de côté cette atmosphère pour installer des œuvres contemporaines – Damien Hirst, Sugimoto… – qui attendaient dans un garde-meuble.
Quand j’achète une œuvre, je ne pense jamais à ce que je vais en faire, je l’achète pour elle-même. Ensuite, je la place et je la marie avec d’autres pièces. J’aime les contrastes – une lampe de Josef Hoffmann avec un tableau symboliste par exemple. Je voulais aussi avoir les grands noms de l’art mais en restant dans mes moyens. Donc j’ai acheté de petites pièces mais de belle qualité. Avec des provenances, comme André Breton ou Paul Éluard. Ce sont des grands génies qui les ont possédées alors cela ajoute une saveur très particulière à la pièce.

Quel est votre parcours ?
Après l’école Boulle et Camondo, proche de Madame Bolloré, je lui ai demandé de me recommander auprès du décorateur Henri Samuel, qui avait décoré sa maison. J’effectue un stage chez lui puis j’entre chez Didier Aaron et deviens l’assistant d’Alain Demachy [tous deux antiquaires]. Très vite, j’ai eu une très grande cliente, la princesse Ashraf Pahlavi, la sœur de l’ancien Shah d’Iran. Ensuite, je rencontre Yves Saint Laurent. Je deviens d’abord son ami, puis son décorateur, pour toutes ses maisons. Ma passion pour Jean-Michel Frank, je l’ai mise chez lui ! Ma rencontre avec Ronald Lauder [homme d’affaires et collectionneur] m’a aussi ouvert les portes des États-Unis. Aujourd’hui, des clients me suivent sur plusieurs générations, comme les enfants de la princesse Caroline ou encore Carlo Perrone, petit-fils de [la mécène] Marie-Laure de Noailles.

Pourquoi avez-vous souhaité vendre une partie de vos œuvres ?
Je n’ai pas souhaité vendre. Je voulais me séparer de quelques pièces seulement. Puis l’équipe de Sotheby’s a été tellement convaincante que j’ai cédé. Alors au lieu de vendre une vingtaine d’objets, j’en vends presque 200 ! Je voulais me remettre en question. Le renouveau et la découverte sont mes moteurs. Et je n’avais plus de place. Je vends maintenant car je me dis qu’il me reste encore quelques années pour chasser d’autres pièces. Depuis que j’ai libéré de l’espace, j’ai acquis des œuvres italiennes des années 1960, de l’art grec et même une armure japonaise.

Comment avez-vous choisi les pièces dont vous vous séparez ?
Avec Sotheby’s, nous les avons choisies ensemble. Ils voulaient une pièce de Louise Bourgeois, mais j’ai refusé. Je me sépare surtout de pièces accrochées aux murs. J’ai joué le jeu de ne pas imposer des estimations trop fortes, sinon les gens n’ont pas envie d’enchérir.

Pourquoi avoir choisi Sotheby’s et Paris ?
Au départ, j’avais pensé à New York, mais Sotheby’s m’a convaincu de le faire à Paris, puisque je suis parisien. L’équipe m’a donné l’enthousiasme et j’ai senti chez eux le plaisir de partager ce moment.

Quelles sont les pièces emblématiques de la vente ?
Le bar Les Autruches (1967-1970) de François-Xavier Lalanne (est. 700 000 € à 1 M€). J’en rêvais depuis sa création. Vingt-cinq ans plus tard, il est passé en vente et j’ai pu l’acheter. C’était avant la vente « Saint Laurent-Bergé », qui a bouleversé la cote des Lalanne. Il y a aussi Cercle/Cadre (1991), de Daniel Buren, le fauteuil d’Alexandre Noll, daté vers 1947 (est. 400 000 à 600 000 €) – j’en ai gardé un ; un Spin Painting de Damien Hirst (est. 350 000 à 500 000 €), les dessins de David Hockney.

Jacques Grange collectionneur,
le 21 novembre à 19 h, le 22 à 14h30, Sotheby’s, 76, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris ; 177 lots, 8 à 12 M€.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Jacques Grange, décorateur : « Le renouveau et la découverte sont mes moteurs »

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