Biennale

Zurich, une Manifesta bien laborieuse

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 6 juillet 2016 - 709 mots

S’installant en Suisse, à Zurich, la 11e édition de la Biennale européenne d’art contemporain se perd dans une exploration littérale et simpliste de la valeur travail.

Dans le cadre feutré de l’hôtel Park Hyatt, soudain des uniformes dénotent. Quelques membres du personnel vaquent à leurs occupations le plus normalement du monde, mais sont vêtus d’un drôle de demi-gilet muni d’une seule manche et à l’orange un peu criard. Dans un commissariat est diffusé un film aux accents surréalistes dont de vrais officiers de police sont les protagonistes. Et une galerie d’art est devenue pour quelques semaines un véritable salon de toilettage canin. Ces interventions décalées, présentées dans le cadre de la 11e édition de « Manifesta », constituent des œuvres d’art signées respectivement Franz Erhard Walther, Marco Schmitt et Guillaume Bijl.

À voir sur les lieux de travail
La biennale européenne itinérante s’est cette année installée à Zurich et a confié son commissariat à l’artiste allemand Christian Jankowski, qui a placé sa proposition sous le signe du travail et de sa valeur, au travers de la notion d’échange et de collaboration. Intitulée « What people do for money » (« Ce que les gens font pour de l’argent »), son projet se structure autour de trente associations, des « Joint Ventures » (entreprises mixtes) ainsi qu’il les baptise, entre un artiste et un travailleur – ou groupe de travailleurs. À charge pour tous ces binômes de produire une œuvre qui sera donnée à voir sur les différents lieux de travail, ce qui constitue une manière habile d’engager des conversations concrètes et d’amener dans le champ de l’art des personnes ou ensembles de personnes qui y sont étrangers.

Louable est ainsi l’intention d’avoir souhaité, selon les propres termes du commissaire, « repenser le format de la biennale », mais aussi d’avoir sacrifié des thèmes récurrents à ce type de manifestations tels que les conflits, les migrations, les problèmes environnementaux, etc. À ceci près que ce nouveau format est impraticable à l’usage, en dépit de la pertinence ou de la qualité de certaines propositions. Les lieux présentant les œuvres sont dispersés dans toute la ville, et affichent des horaires ou des conditions d’accès divers, ce qui conduit rapidement même les plus motivés à abandonner. Que visiter alors ? C’est là que les choses se gâtent, et pas qu’un peu.

Deux lieux ont en effet été requis pour la manifestation : le Helmhaus en centre-ville et le Löwenbräukunst, où se regroupent la Kunsthalle, le Migros Museum et la Fondation Luma, qui ont prêté leurs espaces. À l’intérieur, des expositions au format tout à fait classique… d’une biennale sont données à voir, et présentent notamment les trente projets de « Joint Ventures ». Selon que le visiteur considérera le verre à moitié vide ou à moitié plein, il y verra des redites ou à l’inverse découvrira des travaux qu’il n’ira pas voir sur place. Mais dans ces présentations, une dizaine de sections thématiques se sont intercalées, sections bien entendu relatives à l’activité et à la valeur travail dans une large acception – son économie, sa diversité, ses formes… – qui achèvent de mettre à mal l’ensemble.

Des œuvres illustrant un propos
Franchement littérales pour ne pas dire simplistes, et exposant des œuvres souvent devenues là purement illustratives, les différentes sections traitent par exemple des « Portraits de professions », des « Artistes adoptant une profession », des « Professions dans la musique, la littérature et le film », des « Professions dans le monde de l’art » ou encore de « L’art comme seconde profession » ; ainsi, dans cette dernière catégorie, la jeune dessinatrice Sabine Schlatter a sans doute été heureuse de se voir sélectionnée non pour la qualité de son œuvre mais parce qu’elle exerce en parallèle la profession d’infirmière !

Cette réflexion sur le travail s’est en outre accompagnée d’une petite polémique lorsque a été dénoncé, dans un article paru sur le site du magazine suisse Brand-New-Life, un recours massif à des volontaires non rémunérés, notamment pour les emplois de gardiennage des expositions dans les espaces du Migros Museum ou de la Kunsthalle qui ont été gracieusement mis à disposition de la biennale. D'autant plus que ces emplois sont habituellement occupés par des artistes qui trouvent là une source de revenus. De quoi continuer à interroger ce que les gens font pour de l’argent en effet.

MANIFESTA 11

Commissaire : Christian Jankowski, artiste
Nombre d’artistes : 130
Nombre de sites : 34

MANIFESTA 11. What people do for money

jusqu’au 18 septembre, lieux et horaires divers, sites principaux : Löwenbräukunst, Limmatstraße 270 ; Helmhaus, Limmatquai 31, Zurich, tlj 11h-20h, le jeudi jusqu’à 22h, www.manifesta11.org, entrée 30 CH la journée (env. 27 €). Catalogue, éd. Lars Müller Publishers, Zurich, 320 p., 49 CHF (env. 45 €). br />
Légende Photo :
Proposition satellite de Franz Erhard Walther pour Manifesta 11, Zurich. © Photo : Wolfgang Traeger/M11.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Zurich, une Manifesta bien laborieuse

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