Art moderne - Architecture

Cologne

Fernand Léger fait le mur

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2016 - 704 mots

Le Musée Ludwig célèbre le 40e anniversaire de la mort du peintre avec une belle exposition qui explicite ses tentatives pour sortir la peinture du musée et se confronter à l’architecture.

COLOGNE - La formidable collection du Musée Ludwig à Cologne compte parmi ses icônes Les Plongeurs (1942), réalisée par Fernand Léger (1881-1955). L’œuvre est d’une taille monumentale et pour cause : il s’agit d’une peinture murale exécutée pour la maison privée de l’architecte new-yorkais Wallace K. Harrison. Croiser tous les jours dans le musée cette œuvre imposante a inspiré à Katia Baudin, conservatrice, l’exposition « Peinture dans l’espace ». Subtil, le titre peut prêter à confusion et aurait été plus justement formulé ainsi : « Fernand Léger. Au-delà du chevalet », d’autant que les différents travaux présentés ne se limitent pas à la peinture. Ainsi, le parcours s’ouvre sur le fameux premier film sans scénario, Ballet mécanique (1924), réalisé par Fernand Léger avec Man Ray et Dudley Murphy. L’ensemble est toutefois d’une précision et d’une intelligence remarquables. Toute la production plastique de l’artiste est étudiée avec soin et certains prêts obtenus « confidentiellement » sont impressionnants.

Peut-être l’œuvre la plus spectaculaire est-elle Le Transport des Forces ? Une commande de l’État réalisée pour l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne (1937) par Léger et trois de ses étudiants – Elie Grekoff, Pierre Wemaëre et, plus étonnant, Asger Jorn. Même  si ses dimensions sont grandes (4,70 m x 8 m), il fallait de la détermination pour la voir au Palais de la découverte. L’œuvre était couverte de poussière et son état nécessitait une restauration complète. Plus qu’une simple anecdote, c’est l’illustration du peu d’égards que l’histoire de l’art accorde aux pratiques qui quittent l’espace muséal.

Le problème, toutefois, n’est pas uniquement esthétique, mais également idéologique. Si l’Exposition internationale de 1937 donne lieu à de nombreuses réalisations dans l’espace public (Robert Delaunay, Raoul Dufy…), ce n’est pas sans lien avec la politique menée par le Front populaire. Léger participe très activement à ces travaux – six projets, dont un photomontage étonnant avec Charlotte Perriand pour le pavillon de l’Agriculture – car, depuis longtemps, il réfléchit au rôle du peintre dans la société et à son rapport avec l’architecture. Une des sections de l’exposition traite le projet prévu par Léger et Le Corbusier. On connaît le désir de collaboration avec Léger émis par l’architecte au moment de l’Exposition des arts décoratifs (1925). Collaboration qui échoue, car selon le peintre, Le Corbusier tenait à choisir seul la gamme des couleurs. Incompatibilité de caractères ou approche différente : pour Léger les murs sont des surfaces à exploiter picturalement, tandis que pour Le Corbusier, il s’agit d’outils délimitant l’espace.

Commandes privées et bâtiments publics
Aux États-Unis, par l’intermédiaire de Wallace K. Harrison, Léger obtient de nombreuses commandes. Curieusement, il est appelé à décorer un dessus de cheminée chez les Rockefeller. On ne saura rien de l’échange entre le millionnaire et le peintre, dont l’adhésion au Parti communiste – la dimension politique de Léger n’est pas assez soulignée ici – lui interdira quelques années plus tard l’entrée en Amérique. C’est ainsi que, lorsqu’il obtient en 1952 la prestigieuse commande d’une peinture murale dans le bâtiment new-yorkais des Nations unies, c’est un ancien élève qui exécute l’œuvre d’après le dessin du maître. Est-ce la raison pour laquelle celle-ci est moins convaincante ?
Parmi d’autres chapitres étudiés à Cologne sont abordés le décor pour les ballets suédois, le passage de Léger du constructivisme au biomorphisme, son rapport à l’abstraction ou encore les travaux dans l’espace sacré – l’église d’Audincourt, où l’artiste expérimente des techniques telles que la tapisserie et le vitrail. Le tout est accompagné d’un appareil pédagogique d’une clarté exemplaire.
Volontairement, la commissaire a exclu les nombreuses représentations de la ville et des Constructeurs par Léger. Pourtant, on aurait aimé voir quelques-uns de ces tableaux, où les couleurs contrastées rayonnent dans l’espace urbain. C’est aussi dans ces représentations qu’apparaît son besoin de dépasser les limites étriquées d’un tableau de chevalet. Par leur taille, par leur frontalité marquée, ces œuvres appartiennent davantage à l’espace d’une rue qu’à celui d’une salle de musée, où l’activité urbaine marque un temps d’arrêt.

FERNAND LÉGER

Commissaire : Katia Baudin
Œuvres : 230 œuvres

FERNAND LÉGER. PEINTURE DANS L’ESPACE

Jusqu’au 3 juillet, Museum Ludwig, Heinrich-Böll-Platz, Cologne, Allemagne, tél. 49 221 221 26165, tlj sauf lundi 10h-18h, entrée 10 €. Catalogue, Himmer Verlag, versions allemande et anglaise, 312 p., 45 €. www.museum-ludwig.de

Légende Photo :
Vue de l'exposition consacrée à Fernand Léger au museum Ludwig, Cologne, avec à gauche Les Plongeurs, 1942, huile sur toile, 372 x 1092 cm. © Photo : Rheinisches Bildarchiv/Britta Schlier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Fernand Léger fait le mur

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