XVIe

L’espièglerie de la peinture de la Renaissance italienne

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 2 février 2016 - 636 mots

Une jeune historienne dévoile les plaisanteries et l’érotisme présents dans les compositions de Tintoret et Corrège, même dans leur représentation du sacré.

Sous le titre La peinture facétieuse, Actes Sud publie l’adaptation de la brillante thèse soutenue par la jeune historienne de l’art Francesca Alberti en 2013 : Le rire, le comique et le ridicule dans la peinture italienne de la Renaissance, des facéties de Corrège aux fables burlesques de Tintoret. Au travers de l’analyse de cinq œuvres des deux maîtres du Cinquecento, l’auteure – qui convoque largement l’anthropologie, l’histoire des religions et de la littérature – interroge sur la place du rire dans l’art pictural de la Renaissance. À première vue, le rire n’est pas forcément associé à la « grande peinture » du XVIe siècle, pétrie d’idéalisme. Mais les facéties (« plaisanteries de l’homme libre, qui sont source de divertissement et peuvent accompagner les discours même sérieux ») peuvent se trouver partout et l’auteure entend bien se départir des préjugés – « encore tenaces », témoigne-t-elle – de la hiérarchie des genres qui exclurait le rire des sujets nobles. Disons le net, la majorité des plaisanteries de l’époque étaient de nature sexuelle, jouant sur l’exposition ou la dissimulation de parties intimes du corps. Si l’historienne de l’art renouvelle l’interprétation de fables mythologiques à l’érotisme ouvertement burlesque, telle Vénus, Mars et Vulcain de Tintoret (1548 , Alte pinakothek, Munich), la partie la plus surprenante de l’ouvrage est celle qui couvre le champ – encore très inexploré par la critique moderne – de l’érotisme facétieux qui se niche dans les tableaux exaltant la foi catholique.

L’érotisme sacré de Corrège
Ainsi l’auteure décortique-t-elle deux « saintes conversations » que Corrège a réalisées pour des confréries de la ville de Modène, analysant comment les expressions joyeuses et l’érotisme facétieux contenus dans ces retables servent leur contenu théologique. La Madone de saint Sébastien (Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister) est réalisée entre 1522 et 1523 par l’artiste pour commémorer la fin d’une épidémie de peste et invoquer de nouveau la miséricorde de la Vierge à l’enfant, représentée en gloire. L’œil est attiré par des figures d’intercesseurs placés au premier plan : deux saints antipesteux (saint Sébastien et saint Roch) et une jeune fille aux allures angéliques portant dans ses bras la cathédrale de Modène miniaturisée. Aux corps sensuellement offerts et aux visages frappés d’extase des saints –  saint Sébastien se perd dans la vision de la Vierge et l’enfant, et saint Roch se livre à une pratique onaniste soulageant la souffrance de la maladie – répondent les rires de la jeune fille, qui dresse le clocher pointu vers le gonflement drapé de l’entrejambe de saint Sébastien. L’image incite au sourire allègre. Cette œuvre à vocation quasi thérapeutique (plusieurs médecins de l’époque s’intéressaient au pouvoir vivifiant du rire et de l’éros en tant que remède contre la peste et des pensées mortifères qu’elles font surgir) peut aussi amener le spectateur à imiter les personnages du tableau et à se réjouir du triomphe de la vie sur la mort conduite par le Christ.

Loin d’être confiné aux espaces profanes, le rire est une tradition ancrée (bien que souvent dénoncée) dans le cadre religieux. Pendant la période de Pâques, prêtres et prédicateurs faisaient partager aux chrétiens un rire rituel, hérité de l’antiquité, qui permettait de rappeler la dimension salvatrice de l’incarnation (un Jésus-Christ fait de chair) et de la résurrection. « Le christianisme est une religion incarnée qui croit en la résurrection des corps et où le bonheur se traduit par une excitation physique », résume l’auteure, dans une des conclusions d’un livre extrêmement foisonnant, qui transpire l’érudition mais aussi le plaisir. Un regret : des reproductions trop petites, qui ne permettent pas au lecteur de profiter suffisamment de la richesse des œuvres, étudiées avec un sens du détail que n’aurait pas renié Daniel Arasse.

Francesca Alberti, La peinture facétieuse. Du rire sacré de Corrège aux fables burlesques de Tintoret, 2015, Actes Sud, 479 p., 34 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : L’espièglerie de la peinture de la Renaissance italienne

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque