Catherine Chadelat explique son projet de réforme des ventes aux enchères

Conseillère d’Etat et présidente du Conseil des ventes volontaires, est coauteure d’un récent rapport sur le dispositif encadrant les ventes aux enchères

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2015 - 1427 mots

La présidente du Conseil des ventes volontaires, Catherine Chadelat, veut affiner la législation portant sur les ventes aux enchères.

Catherine Chadelat, conseillère d’État et présidente du Conseil des ventes volontaires (CVV), a remis officiellement le 7 mai à la garde des Sceaux un rapport, coécrit avec Martine Valdes-Boulouque, avocat général près la Cour de cassation, sur la mission d’évaluation du dispositif législatif et réglementaire actuel des enchères. Ce rapport comporte plus de quarante propositions dont certaines pourraient transformer le visage de la profession.

Quinze ans après la loi portant réglementation des ventes volontaires aux enchères publiques, quatre ans après celle les libéralisant et un an après la loi Hamon sur la consommation, les voies légale et réglementaire n’ont-elles pas démontré leurs limites ?
Les trois réformes ne sont pas à situer sur le même plan. La loi de 2000 a opéré la scission de la profession en deux, sans pour autant basculer dans le droit commun du commerce. Celle de 2011 n’est que la traduction, au demeurant obligatoire, de la « directive services », dont l’objectif était essentiellement de supprimer les obstacles à la libre prestation de services, soit l’agrément et l’interdiction d’exercer des activités accessoires et sous une forme juridique unique. Quant à la loi Hamon, celle-ci vise avant tout à répondre à des problématiques spécifiques parmi lesquelles l’utilisation indue de la dénomination « vente aux enchères publiques » par des personnes ne remplissant pas les conditions légales.

Les ajustements proposés par le rapport sont la traduction de la réflexion menée en interne depuis quatre ans ; l’application au quotidien des textes a en effet dévoilé un certain nombre de problématiques extrêmement diverses. L’année 2014 a été symptomatique avec des innovations jurisprudentielles en matière disciplinaire, la succession d’affaires liées à des ventes d’objets sensibles, la problématique renouvelée des ventes de gré à gré, etc. Le rapport préconise donc certaines modifications législatives, une quinzaine d’articles étant concernés dans la loi actuelle.

Ne conviendrait-il pas mieux d’assouplir le cadre légal plutôt que de l’ajuster ?
Je ne cesse de répéter que cette législation et cette profession sont uniques au monde. Un autre système est bien sûr possible, uniquement commercial, mais la législation actuelle est profitable tant aux particuliers qu’aux petites et moyennes structures et à l’ensemble de la profession face au domaine non régulé. Le système a ses avantages et ses inconvénients. Et la seule libéralisation supplémentaire envisageable serait l’achat pour revendre, ce qui modifierait profondément le cadre actuel pour le faire basculer dans le commerce.

Le rapport que vous avez coécrit prend acte qu’en raison de la loi du 20 juillet 2011 la dimension politique de la réforme n’a pu être entièrement explorée. Quels sont les ajustements proposés en vue d’achever la modernisation des ventes aux enchères publiques volontaires ?
L’ajout de la vente de gré à gré (hors « after sale ») n’avait sans doute pas été assez analysé dans ses conséquences en 2011. Il s’agit là d’une amorce de décloisonnement du marché de l’art, transformant le mode de fonctionnement des opérateurs, malgré les controverses suscitées. Aujourd’hui, il est nécessaire de prendre en considération et la dimension juridique et la dimension économique du marché de l’art, notamment la fiscalité ou Internet, pour avoir une réflexion globale. C’est ce que propose le rapport.

Quelles conséquences tirez-vous de la jurisprudence Rois (1), tant sur le rôle, la composition et le fonctionnement du Conseil des ventes volontaires ?
Nous sommes onze membres au sein du Conseil et la diversité des profils assure une représentation satisfaisante du marché et de ses problématiques. Nous ne sommes ni l’AMF [Autorité des marchés financiers] ni l’Autorité de la concurrence et nous ne prétendons pas assumer un rôle aussi important pour les intérêts de l’État. En ce qui concerne la formation disciplinaire, le rapport s’inspire du modèle ayant cours chez les avocats, en créant une formation spécifique au sein de laquelle le président ne siégerait pas et qui permettrait au Conseil de faire-valoir ses observations dans la procédure en appel de ses décisions. La procédure de suspension en référé ne serait, en revanche, pas modifiée. Le rôle du Conseil serait ainsi préservé.

Quel rôle doit être assigné demain au commissaire du gouvernement ?

Il est nécessaire d’étoffer les moyens et le rôle du commissaire du gouvernement, qui ne dispose actuellement que d’un commandant de police et qui n’occupe pas cette fonction à plein temps. Demain, le commissaire devra prendre son bâton de pèlerin pour mieux sensibiliser les parquets, notamment sur le trafic des biens culturels, les dispositions Tracfin, les abus de faiblesse et le contrôle des professions.

Une préconisation du rapport a particulièrement retenu l’attention de la garde des Sceaux : la dispersion au feu des enchères d’objets dits « sensibles ». Au regard de l’aspect émotionnel, et parfois médiatique de ces ventes, comment les réguler au mieux ?
Deux évolutions notables sont à souligner, d’abord l’évolution de la nature des objets qui choquent culturellement, tels qu’une tenue de camp de concentration nazi ou des instruments de torture, ensuite, sinon la progression, du moins la forte médiatisation de ventes consacrées à ces objets. Je ne me place nullement sur le terrain de la morale, mais sur celui du trouble à l’ordre public. Je souhaite prévenir une spécialisation dont je sais que les médias vont s’emparer et qui pourrait créer, à terme, un trouble à l’ordre public. L’objectif est donc d’intervenir de manière préventive. Il faut s’inspirer d’un règlement européen qui interdit aujourd’hui l’importation et l’exportation de biens (objets susceptibles de porter atteinte à l’intégrité ou à la dignité de la personne), mais nullement leur vente au sein de l’Union européenne. Il faut donc y remédier, tant pour les ventes aux enchères publiques que pour les ventes de gré à gré.

De manière constante, et ce depuis 2000, une réflexion est menée afin d’intégrer les biens meubles incorporels dans le champ d’activité des opérateurs de ventes volontaires. Le rapport a ciblé six catégories de biens. Quel est l’objectif poursuivi et les opérateurs s’en empareront-ils ?

Il ne s’agit pas là de la première tentative menée. L’interdiction actuelle est uniquement d’origine historique et entraîne la vente de ces biens vers le marché non régulé. Or, je défends la vente aux enchères publiques, car il s’agit là du mode de vente le plus sûr. C’est pourquoi une liste limitative est proposée afin de permettre aux opérateurs de s’acclimater, de disperser des biens dont le régime juridique est connu – tels les droits d’auteurs patrimoniaux, les marques et brevets –, ou dont le régime juridique est d’avenir, comme l’art numérique.

Le rapport milite pour une clarification à la fois des inventaires successoraux réalisés et de l’intervention sur ce point des opérateurs de ventes volontaires. L’interprétation actuelle des textes semble faire encore débat.
Les textes ont toujours consacré, pour l’inventaire successoral, la compétence exclusive des officiers ministériels et publics. Il s’agit de rappeler que, si les opérateurs ne peuvent intervenir à ce stade qu’en qualité de sachant, la vente qui s’en suit n’en reste pas moins volontaire – sauf si le législateur ou le juge en dispose autrement (cas des majeurs protégés par exemple). Une confusion doit être évitée : la vente ne devient pas pour autant judiciaire lorsqu’un juge autorise la vente de biens indivis parce que certains indivisaires s’y opposeraient. La vente demeure volontaire. Les opérateurs ont donc la compétence pour y procéder .

Dans le contexte de l’examen du projet de loi Macron, une attention particulière est accordée aux acteurs à titre accessoire des ventes aux enchères publiques volontaires que sont les notaires et les huissiers de justice. Quels sont les enjeux de votre rapport à cet égard ?
La profession de commissaire de justice consacrée par le projet de loi n’influencera en aucune manière le caractère accessoire des ventes volontaires réalisées par les huissiers de justice et les notaires. La vente volontaire n’est nullement concernée. En revanche, le rapport préconise de donner toute sa portée au caractère accessoire, comme l’avait proposé le Sénat en 2011 en fixant un seuil, de 30 %, sur les montants adjugés par ces acteurs pour déterminer le caractère accessoire ou non de leur activité. Des dérives existent aujourd’hui, qu’il est nécessaire d’endiguer. De même, ces professions doivent soit se doter d’un corpus équivalent à celui du « Recueil des obligations déontologiques » de 2012, soit adopter celui-ci.

Note

(1) Aux termes de la jurisprudence Rois, rendue par la Cour de cassation le 10 septembre 2014, le CVV ne peut ni être parti au recours en appel contre ses décisions ni formuler des observations, et ce contrairement à une pratique instaurée par un décret du 19 juillet 2001.

Légende photo

Catherine Chadelat. © CVV.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Catherine Chadelat explique son projet de réforme des ventes aux enchères

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