Nathalie Kosciusko-Morizet : « La Ville a été inexistante en matière culturelle »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 12 février 2014 - 1154 mots

Ministre très médiatisée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet est plus connue du grand public que sa rivale. Elle répond aux questions du Journal des Arts.

À 40 ans, cette polytechnicienne, députée de l’Essonne depuis 2002, a été maire de Longjumeau (Essonne) de 2008 à février 2013, date à laquelle elle démissionne pour mener la campagne électorale à Paris. Elle a été secrétaire d’État chargée de l’écologie, puis secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement numérique avant d’être ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement de 2010 à 2012.

Qu’est-ce qui distingue fondamentalement votre programme culturel de celui d’Anne Hidalgo ?
C’est que j’en ai un, déjà, et ambitieux ! La Ville a été inexistante en matière culturelle. Tout ce qui a transformé Paris depuis dix ans, c’est l’État (Palais de Tokyo, Musée du quai Branly, Grand Palais, Sénat…) le privé (Maison rouge, Maillol, LVMH…). La Ville : rien sinon une nuit événementielle, et deux ou trois lieux (Centquatre, Gaîté-Lyrique, Louxor) avec une gabegie d’investissements et des résultats médiocres ; pour le reste (musées, patrimoine…), un désintérêt total. En un mot, je ne crois pas à une culture imposée d’en haut, accaparée par les grandes institutions et les obligés, et esclave des paillettes et de l’éphémère. Je pense qu’une vraie culture vient des créateurs, des « laboratoires » en concurrence, des quartiers et des lieux où s’invente la création. J’ai une formation scientifique et je crois que la culture, c’est un peu comme la recherche : on donne de l’argent aux meilleurs, ça bouillonne et on ne sait pas d’avance où vont naître les créations fécondes.

Votre mesure phare de soutien à la création plastique semble être la création d’un espace d’ateliers-logements d’artistes associé à un lieu d’exposition à la porte de Vanves. Pouvez-vous préciser le projet et son mode de financement ?
C’est plus large que la porte de Vanves : il y aura de nouveaux lieux, aux cinq portes de Paris – autofinancés par les recettes foncières –, sur la petite ceinture, dont certains dévoués aux arts plastiques et à la mise en valeur des artistes, des peintres, car cela manque. Aujourd’hui, entre  d’un côté le Centre Pompidou et le Palais de Tokyo, de l’autre les salons commerciaux sous chapiteaux sur lesquels la Mairie s’est défaussée, il n’y a rien. Mépris pour les salons affaiblis qui ne jouent plus leur rôle historique. Manque de lieux de mise en perspective et en rétrospective qui sont le complément du travail précieux des galeries. Comment avoir à nouveau des « écoles de Paris » ? Comment pourrons-nous redevenir capitale de la création et promouvoir nos artistes à l’étranger sans lieux d’émulation pour exposer les nouveaux manifestes militants d’une scène parisienne ?

Allez-vous maintenir la Nuit blanche ? limiter ses moyens ?
La politique de la table rase ne me ressemble pas. Mais il faudra repenser la manière dont sont choisis les artistes et s’inspirer peut-être de Montréal. Je veux être sûre que cela vient des créateurs et pas d’agences de communication. Une Ville Lumière, ce n’est pas une « ville reflet » qui se contente de se flatter d’exposer les artistes internationaux à grand prix. C’est une ville qui rayonne de sa propre énergie.

Que prévoyez-vous pour la Gaîté-Lyrique ?
La délégation arrive à son terme en 2015. Dès avril 2014, il faudra faire un bilan et bâtir un nouveau cahier des charges corrigeant les erreurs et intégrant les meilleures idées. Cela restera un des lieux-clés, mais dans un ensemble plus vaste en émulation.

Vous envisagez une vaste fondation « Paris Lumière », qui servirait à financer des projets culturels sur la base d’1 euro privé pour 1 euro public. Quelle ampleur pensez-vous donner à cette fondation et quels devraient être ses projets prioritaires ?
Grâce à cette fondation, je compte mobiliser les financements les plus importants comme les plus petits. Les sujets dépendront beaucoup des priorités des porteurs de projet et du choix des mécènes. Je ne doute pas cependant qu’après l’abandon, voire la destruction par la Mairie du patrimoine de la Ville pendant treize ans, beaucoup de projets soient patrimoniaux. Cependant, nous veillerons à ce que des projets de création soient valorisés naturellement, car « Paris Lumière » ne se privera pas de participer à cette cause culturelle et capitale : Paris, ville de la création.

Vous allez supprimer la gratuité d’entrée dans les musées parisiens (hors un jour par semaine). Quelles recettes en escomptez-vous ? Allez-vous, indépendamment de ces ressources, augmenter les budgets de fonctionnement de l’établissement public Paris Musées ?
La gratuité, c’est parfois une forme de mépris pour la culture quand elle donne l’idée que la culture est gratuite. Je veux remplacer la gratuité partielle des musées de la Ville par la gratuité totale des musées (Ville et État) pour les Parisiens un jour par semaine. En effet, la gratuité n’est un outil de démocratisation que lorsqu’elle est ciblée et/ou pédagogique. Le rapport de la Cour régionale des comptes sur l’échec de la démocratisation est accablant. Le pourcentage d’ouvriers visitant des lieux payants est plus élevé que pour les musées gratuits.
Le montant de billetterie récupéré dépendra aussi des nouvelles grilles tarifaires et sera probablement supérieur à ce qui a été supprimé. Mon idée est évidemment de récupérer des marges de financements pour donner du souffle aux musées de la Ville, car la politique des musées ne se résume pas aux tarifs et je veux retrouver une ambition pour ces musées négligés. On a navigué à vue : baisse du niveau des expositions, jusqu’à une exposition Samsung au Musée du Petit Palais [« Révélations, une odyssée numérique dans la peinture, en 2010], problèmes de sécurité et vols, grèves, indécision sur la suppression, puis la privatisation, enfin la transformation en établissement public de Paris Musées présidé par Anne Hidalgo.

Quels sont vos plans pour la rénovation du Musée Carnavalet ?
Si je vous dis que je ne veux pas de politique de la culture plaquée et imposée d’en haut, ce n’est pas pour vous donner « ma » vision idéale du Musée Carnavalet ! Ce sera l’un des projets à étudier avec le conservateur. Ceci dit, en marge du projet du musée, j’ai voulu proposer « Hyper-Paris », une application participative sur le patrimoine de Paris dans laquelle le Musée Carnavalet pourrait trouver un prolongement virtuel et un moyen de rayonnement assez important.

Vous souhaitez, comme Anne Hidalgo, augmenter les horaires d’ouverture des musées. Comment allez-vous gérer le blocage des syndicats ? Quels seraient les coûts supplémentaires ?
Le Musée du Luxembourg puis le Grand Palais ont réussi à renoncer au mardi de fermeture. Les syndicalistes que je rencontre (bibliothèques, conservatoires, musées…) sont ouverts. Ils défendent, comme moi, le service public. Je ne fais pas partie de ces politiques ou technocrates qui pensent que les personnels sont des obstacles. Je crois à l’enthousiasme de l’intérêt général, à leur passion. Si les choses sont intelligentes et concertées, pourquoi y aurait-il blocage ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Nathalie Kosciusko-Morizet : « La Ville a été inexistante en matière culturelle »

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