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La dame en noir

Le téléfilm « Berthe Morisot » dresse un portrait sans fard de la peintre impressionniste

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 12 février 2013 - 458 mots

Colérique, cérébrale, anorexique, indomptable… Comment se douter en regardant une œuvre aussi paisible que Le Berceau (1872) que son auteur avait un caractère de cochon ? D’autant que la grande force créatrice des tableaux de Berthe Morisot (1841-1895) a longtemps été diluée dans les yeux de ceux qui n’y voyaient qu’une « peinture féminine ».

Si ses toiles traitent de la sphère domestique, c’est que la peintre y était enfermée ; et si elles brillent d’une luminosité éthérée, c’est que l’artiste ne savait pas peindre le noir. À l’origine, les parents Morisot autorisent leurs filles à prendre des cours de peinture dans le souci de parfaire leur éducation, en attendant de faire un bon mariage. C’est le cas d’Edma. Berthe résiste. La vie ne saurait se résumer à tenir le rôle de la parfaite épouse. À la frustration de ne pouvoir accéder à l’indépendance, s’ajoutent les refus répétés du Salon. La colère est compréhensible.

Édouard Manet est le premier à voir le volcan créatif sous la glace des conventions. Lors de leur rencontre au Louvre en 1868, il lui demande d’être son modèle. Malgré son admiration pour l’auteur d’Olympia, elle refuse. S’ensuivra pourtant une série de portraits parmi les plus beaux de l’histoire de l’art. La confrontation cruelle entre l’amour d’une peintre pour un joyeux séducteur et le désir d’un artiste de contrôler sa muse fait tout le sel de « Berthe Morisot », téléfilm qui suit la relation Morisot-Manet de 1868 à 1874, date de la première exposition de la Société des artistes indépendants. Largement inspiré de la biographie Manet, un rebelle en redingote, de Beth Archer Brombert (éd. Hazan, 2011), le scénario montre un Manet prédateur qui, tandis qu’il fait mine d’enfermer Morisot dans son rôle de modèle et de belle-sœur, la pousse à exprimer son talent de peintre. De ce duel, la peinture sort gagnante.

Directrice de la photographie parmi les plus demandées du cinéma français, Caroline Champetier passe pour la première fois derrière la caméra. Son approche frontale du sujet confère à l’ensemble un aspect brut, nourri par des lumières naturelles, des couleurs mates et des acteurs sans fard. L’actrice Marine Delterme campe avec retenue une Morisot intransigeante, figure tragique rongée par son besoin de peinture. Malgré des dialogues parfois maladroits (ainsi lors de la visite de Frédéric Bazille), quelques rôles secondaires manquant de naturel, et la pression palpable d’un budget limité (23 jours de tournage !), « Berthe Morisot » se démarque de l’ensemble des productions télévisées mettant en scène la vie des artistes par la place importante qu’il donne à la création vue de l’intérieur.

Berthe Morisot, documentaire réalisé par Caroline Champetier, K’ien Productions, 100 min, diffusé sur France 3 le 16 février à 20 h 45 puis en replay sur pluzz.francetv.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : La dame en noir

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