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Yves Aupetitallot : « On ne peut pas renforcer Paris et déshabiller la province »

Directeur du Magasin-Centre national d’art contemporain de Grenoble

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2012 - 1406 mots

Yves Aupetitallot, directeur du Magasin-Centre national d’art contemporain à Grenoble, fustige la baisse des budgets alloués à la culture en régions.

Yves Aupetitallot, directeur du Magasin, centre national d'art contemporain. © Photo : Blaise Adilon.
Yves Aupetitallot, directeur du Magasin, centre national d'art contemporain.
© Photo Blaise Adilon

Après avoir dirigé plusieurs centres d’art, dont celui de Nevers (Nièvre) puis de Saint-Étienne (Loire), et piloté des projets à l’étranger comme la préfiguration du futur musée de Lausanne en Suisse, Yves Aupetitallot préside aux destinées du Magasin-Centre national d’art contemporain de Grenoble depuis 1996.

Jean-Christophe Castelain : Vous avez signé, avec d’autres responsables d’institution, une tribune publiée dans le « Journal des Arts », critiquant la baisse des budgets en régions. Qu’est-il pour le Magasin ?
Yves Aupetitallot : Dans un texte qui esquisse une vision stratégique et politique, nous avons en effet rappelé que la diminution des budgets publics consacrés à la culture a une origine plus ancienne que la crise. Nos subventions ne sont pas indexées sur l’inflation. À montants constants, nos budgets ont fondu depuis vingt ans de près d’un quart en général, et pour le Magasin de 30 %.

La compensation de cette perte s’est faite sur les expositions. Leur coût unitaire pour une surface de 2 000 m2, dont nous reconfigurons les espaces pour chaque projet, se situe autour de 70 000 euros, auxquels s’ajoutent des coûts salariaux de 70 000 euros, soit de deux à six fois moins que les budgets de structures internationales comparables.

J.-C.C. : Quelles sont les conséquences de cette baisse des subventions ?
Y.A. : Dans la mesure où les expositions et les publications constituent la variable d’ajustement de cette décrue, ce sont les artistes, leurs projets et leur rencontre avec le public qui l’ont subie. Rapportée à l’ensemble de la scène artistique française dans un environnement international concurrentiel soumis à une forte pression économique, vous trouvez là l’une des raisons de la faible représentation de cette scène et de sa disqualification récurrente.

J.-C.C. : Quel équilibre peut-il être trouvé entre Paris et la province ?
Y.A. : Il serait stupide de contester la centralité et l’indéniable attractivité de Paris, comme l’affectation de moyens importants pour y parvenir. Pour autant nous pouvons nous interroger sur le bien-fondé de la politique de ces dernières années qui, sous le prétexte légitime de la défense de l’art français, a transformé l’État en opérateur de projets nouveaux dont la localisation parisienne semblait être la seule possibilité pour rendre visible cette scène, si toutefois elle devait l’être. Faute de crédits supplémentaires significatifs, le financement de ces projets s’est fait au détriment des réseaux décentralisés, qui se sont paupérisés. Au final, les artistes français n’étaient pas plus nombreux dans la dernière édition de la Documenta [Documenta 13, Cassel, 20<12] ou à la Biennale d’Istanbul.

Il nous faut revenir à une autre vision, on ne peut pas renforcer la scène parisienne et déshabiller la province en même temps. Le premier niveau de ce rééquilibrage est d’abord celui de la politique de l’État à travers une reterritorialisation de son action en lien avec les collectivités locales ; il est ensuite celui de ses moyens, budgétaires notamment.

J.-C.C. : Mais comment peut-on diminuer les budgets à Paris ?
Y.A. : Je dirais plutôt mieux répartir l’existant. Je plaide d’abord pour la notion de « projet » et pour un changement de méthode. Partons de l’exemple du Palais de Tokyo et disons, pour clarifier notre propos, qu’un centre d’art à Paris, plusieurs même à l’image de Londres, sont indispensables. Ceci étant dit, il est évident que le gigantisme de son bâtiment rapporté à un budget pourtant multiplié par deux conduit à une réelle impasse, d’autant que l’obligation d’un mécénat de 6 millions d’euros est irréaliste. Pour assurer son bon fonctionnement et l’intégrité de son projet artistique, il semble nécessaire de le réinstaller dans son format d’origine, 8 000 m2, et son budget correspondant. La Serpentine Gallery [à Londres], dont le budget est supérieur, dispose de 420 mètres carrés de surface d’exposition !

Les espaces gagnés sur la friche pourraient accueillir tout à la fois des services du Cnap [Centre national des arts plastiques], qui loue aujourd’hui deux étages dans une tour de la Défense, et peut-être une présentation permanente de ses collections, ce qui libérerait la réserve de Saint-Ouen-l’Aumône [(Val-d’Oise), où sont conservées les œuvres du Fonds national d’art contemporain]. Le Centre Pompidou, qui a beaucoup œuvré pour diriger ce projet, manque d’espaces d’exposition..

J.-C.C. : Vous pointez également la Triennale et Monumenta dans votre tribune…
Y.A. : Jack Lang a décentralisé la Biennale de Paris à Lyon. Avec un budget de dix fois inférieur à celui de Documenta, la manifestation a peu à peu trouvé sa place. Pourquoi l’État a-t-il pris l’initiative d’un événement parisien qui lui est concurrentiel et qui la fragilise ? Ne serait-il pas préférable d’affecter une partie de ses crédits à des initiatives prospectives comme la Biennale de Rennes, le Salon de Montrouge ou la Biennale de Belleville, ou encore à la diffusion internationale des artistes français – ce qui serait conforme à l’argumentaire premier de l’événement ? De son côté, Monumenta s’est installée dans le paysage, et pourquoi ne pas l’y garder si elle trouve son financement dans les milieux privés…

J.-C.C. : Comment concevez-vous la mission d’un centre d’art en province ?
Y.A. : En province ou à Paris, le centre d’art est traditionnellement l’outil privilégié de l’artiste. Il est son laboratoire de recherche, son atelier de production et l’espace de sa restitution dans le discours articulé de l’exposition. Il est aussi le lieu de la rencontre avec le public et d’une éducation artistique continue. Avec les mutations de l’art et de son environnement sociétal, il devient de plus en plus ouvert et se redéfinit sous des formes variées en fonction de contextes spécifiques. Il invente des formations, des outils sociaux, des modes d’échange et de collaboration et bien d’autres choses encore.

J.-C.C. : Le réseau de diffusion de l’art contemporain est-il moins développé qu’en Allemagne ou en Angleterre où les artistes sont davantage reconnus internationalement ?
Y.A. : Je ne pense pas que nous puissions établir un corollaire entre le nombre de structures et la reconnaissance internationale des artistes nationaux. Une fois encore les moyens ne construisent pas une politique, ils la servent. En l’occurrence, le réseau français, quoique suffisamment étoffé, est globalement inefficace à l’échelle internationale. Il souffre depuis plusieurs décennies d’un manque de vision stratégique, vision pilotée par l’État, et d’une trop grande dispersion des moyens qui lui sont dévolus. De plus, sa base institutionnelle est trop étroite par manque de structures disposant d’une taille critique suffisante.

J.-C.C. : Cette « vision stratégique » n’existe-t-elle pas en France ?
Y.A. : La définition et la mise en œuvre d’une « vision stratégique » font partie des sujets récurrents de la presse et du milieu de l’art depuis fort longtemps. Qui n’a pas souhaité la création d’une structure unique qui regrouperait les forces et les moyens du ministère de la Culture et du ministère des Affaires étrangères ? Qui n’a pas souhaité qu’une telle structure soutienne les professionnels et non pas se substitue à eux ?

Cette réforme est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Les scènes artistiques qui réussissent – pensons à la scène zurichoise par exemple –, le font dans une parfaite synergie entre les différents acteurs qui la composent. Ce sont les éditeurs, collectionneurs, responsables institutionnels et critiques qui réussissent ensemble avec quelques artistes choisis. Elles réussissent aussi parce qu’elles concentrent leurs efforts sur ces quelques artistes qui sauront entraîner le reste de la scène avec eux. Nous avons beaucoup à apprendre de ces mécanismes, d’autant que la réussite de Fiac [Foire internationale d’art contemporain], autour de laquelle s’organise désormais la rentrée institutionnelle parisienne, démontre notre capacité à y parvenir.

J.-C.C. : Vous appelez dans la tribune à des « regroupements de diffuseurs »…
Y.A. : À l’image des Pres [pôles de recherche et d’enseignement supérieur], il s’agit de favoriser l’échange d’expériences et de savoir-faire autour d’objectifs communs. De tels rapprochements permettent d’atteindre la taille critique qui nous manque cruellement dans une perspective internationale. Ils permettent aussi un enracinement territorial et social plus fort à travers la diversité de ses acteurs. La collection du Consortium qui est donnée au Musée des beaux-arts de Dijon, lequel en confie la gestion au Frac [Fonds régional d’art contemporain] Bourgogne pour veiller ensemble à sa diffusion à l’échelle d’un territoire, ou encore le rapprochement de l’École du Magasin avec l’Esad [École supérieure d’art et de design] Grenoble-Valence pour un diplôme international d’études curatoriales en sont de bons exemples.

Consultez la fiche biographique de Yves Aupetitallot.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : Yves Aupetitallot : « On ne peut pas renforcer Paris et déshabiller la province »

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