Renaissance

Un écrin sonore pour Venise

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2013 - 637 mots

Le Musée des beaux-arts de Montréal mêle sons et arts visuels afin de plonger le visiteur dans l’univers musical de Venise.

MONTREAL - « Au Musée des beaux-arts de Montréal [Canada], il est désormais impossible de voir sans écouter, d’écouter sans voir ». Ces quelques mots de la directrice, Nathalie Bondil, résument la démarche entreprise depuis quelques années par l’établissement, c’est-à-dire croiser dès que possible musique et arts visuels. En plus d’expositions temporaires qui consacrent une large part au son (« Warhol Live », « Imagine », « Miles Davis »…), le musée a également mis en place un parcours musical dans ses collections permanentes. Equipé d’écouteurs, le visiteur peut ainsi admirer quelques toiles au son d’un morceau choisi pour sa cohérence avec l’époque, le thème ou le style de la peinture.

Le même procédé a été introduit dans la belle exposition temporaire « Splendore a Venezia ». Au son des différentes pistes de l’audioguide – au total 75 minutes de musique, toujours sélectionnée avec pertinence – le visiteur qui le désire peut ainsi contempler en musique des œuvres retraçant l’histoire musicale de Venise, du XVIe siècle à 1797. Si les morceaux choisis et les partitions présentées peuvent permettre à certains d’en apprendre plus sur l’évolution technique de cet art au cours des trois siècles, l’exposition s’intéresse avant tout à la place de la musique dans la société vénitienne de l’époque. Celle-ci vit en effet un âge d’or, alors même que la ville décline peu à peu économiquement. C’est à Venise que naît l’imprimerie musicale, et que l’opéra sort des salons privés pour s’ouvrir au public. En cinq espaces sont évoqués les différents cadres dans lesquels cet art se pratique : les cérémonies publiques, le cercle privé, la musique populaire, le rôle des ospedali (sortes d’orphelinats où la pratique musicale est encouragée) et des scuole (confréries), et enfin les sujets mythologiques et l’opéra. On y découvre une Venise où la musique est partout, lors de la procession du doge, au cours de la cérémonie du mariage de la ville avec la mer, comme dans le quotidien des plus humbles. La scénographie met en valeur les œuvres et rappelle la Sérénissime : ici des pilotis, là un fronton, ailleurs la silhouette de Saint-Marc se découpant sur un mur, tel un grand décor d’opéra. Encore plus théâtrale, une véritable gondole se cache même derrière une fausse cloison.

Interactions entre arts majeurs
Outre quelques instruments (sacqueboute, luths, épinette…), des manuscrits précieux (la première édition des Quatre Saisons de Vivaldi) et les incontournables vedute de Canaletto, l’exposition présente également de très belles toiles, obtenues grâce au concours de 61 prêteurs. Le Concert interrompu de Titien a par exemple quitté les cimaises florentines du palais Pitti. Il bénéficie par ailleurs d’un article détaillé dans le catalogue d’exposition. Ce dernier est riche, par son contenu comme par ses illustrations, et s’il ne contient pas de notices d’œuvres, certaines sont minutieusement étudiées au sein des essais. Un Autoportrait au madrigal (vers 1580, Galerie des Offices, Florence), attribué à la fille de Tintoret, présente Marietta, elle-même peintre et musicienne accomplie selon les dires de ses contemporains.
Le joli petit tableau de Guardi, Odalisques faisant de la musique au harem (1742-1743, Düsseldorf Sitftung Museum Kunstpalast), est quant à lui parfaitement accompagné : durant les quatre minutes du Concerto turc proposé, l’œil détaille la toile, s’attarde, et le visiteur isolé du brouhaha ambiant tisse avec l’œuvre une relation particulière. La réussite serait totale si la musique diffusée en continu dans les salles – sans doute un peu trop fort – ne venait parfois télescoper celle entendue dans les écouteurs ou dans la salle adjacente.

À la sortie de l’exposition, difficile en tout cas de ne pas partager l’avis de l’écrivain Francesco Sansovino à propos de Venise : « La musique a son véritable siège dans cette ville ». 

Splendore a venezia – art et musique de la renaissance au baroque dans la sérénissime

jusqu’au 19 janvier 2014. Musée des beaux-arts de Montréal, 1380, rue Sherbrooke Ouest, Montréal, Canada. Tel. 1 514-285-2000, www.mbam.qc.ca, tlj sauf le lundi, 10h - 17h. Catalogue publié chez Hazan, 240 pages, 45 €.

Commissariat : Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef, et Hilliard T. Goldfarb, conservateur en chef adjoint et conservateur des maîtres anciens
Commissariat musical : François Filiatrault, consultant en musiques anciennes
Nombre d’œuvres : environ 120

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Un écrin sonore pour Venise

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