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Un Basquiat découpé en tranches

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 13 octobre 2015 - 692 mots

Le Guggenheim Bilbao revendique la première analyse thématique de la production de l’artiste new-yorkais. Un exercice qui apparaît un peu vain .

BILBAO - Que ce soit en ventes publiques ou dans les musées, Basquiat est depuis longtemps une valeur sûre. Et tant que le « blanchiment muséal » continuera à prospérer, le public ne sera pas privé d’exposition. En dépit de sa courte carrière, Jean-Michel Basquiat (1960-1988) a produit près de mille tableaux et deux fois plus de dessins, dont la plupart se trouvent entre des mains privées qui ont intérêt à ce que leurs œuvres soient vues dans des lieux publics afin d’en accroître la valeur marchande. À cet égard, 95 % des œuvres exposées dans cette rétrospective du Guggenheim Bilbao appartiennent à des galeries ou à des collectionneurs.

Mais si les musées ouvrent leurs cimaises à l’artiste new-yorkais, c’est d’abord parce que le public « veut » du Basquiat. Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, qui lui a consacré une vaste rétrospective en 2010, a enregistré ici l’une de ses meilleures fréquentations. Le public aime Basquiat parce que les œuvres lui sont accessibles, et aussi sans doute parce qu’un parfum sulfureux enveloppe l’Haïtien mort par overdose à l’âge de 27 ans. Aussi l’accrochage du Guggenheim met-il en scène l’homme, au travers de grands portraits et même d’un espace « pédagogique » qui permet de mieux connaître sa biographie.

Découper chronologiquement une œuvre qui s’étend sur à peine sept ans, entre 1981 et 1988, n’est pas facile, surtout quand la production est relativement homogène. Le Guggenheim a donc tenté une division thématique, qui, sans être inintéressante, n’éclaire pas vraiment d’un jour nouveau la peinture de Basquiat. La première salle est du reste chrono-thématique. Organisées autour du thème de la rue (ou plutôt des voitures), les œuvres font transition avec les années de street art, alors que, en compagnie de son ami Al Diaz, Basquiat taggue les murs de Manhattan sous le pseudonyme de « SAMO© ». La plupart des travaux réunis dans cette section datent de 1981-1982, donc avant l’exposition qui le rendra célèbre et changera sa vie.

Bien que l’on soit à New York, une ville plus « libérale » que le Sud profond, Basquiat est confronté à la discrimination raciale. Il s’en fait l’écho et, par réaction, héroïse des sportifs et personnalités noires, parfois en s’identifiant à eux dans des autoportraits magistraux. Après la salle « Dualité », dont le sens échappe si ce n’est qu’y sont présentées des figures par paire, s’ouvre la section plus explicite mais ô combien transversale intitulée : « Provocation ». Puis une salle plus singulière est réservée aux œuvres de collaboration avec d’autres artistes, lesquelles se résument surtout à travaux communs avec Warhol où l’on s’amuse à démêler le trait net et les formes pleines de l’un des visages grimaçants de l’autre.

La dernière partie, éclectique ou fourre-tout, c’est selon, veut illustrer toutes les autres sources d’influence de Basquiat. Il en résulte une difficulté à ordonner une œuvre foisonnante, nerveuse, qui fonctionne souvent par rébus, des messages d’abord destinés au milieu new-yorkais underground des années 1980. Peut-être aurait-il fallu au contraire mettre du désordre dans un décor blanc et aseptisé qui correspond si peu à la production et à l’état d’esprit de Basquiat et laisser le public déambuler à sa guise.

Jeff Koons à la mode espagnole

Le Guggenheim ne prend pas beaucoup de risques cette saison, en exposant simultanément deux stars dans le bâtiment de Frank Gehry. Après New York et Paris, Jeff Koons s’est déployé jusqu’au 27 septembre dans les salles du deuxième niveau. Pour l’anecdote, on rappellera que lorsque le Centre Pompidou a consacré son dernier étage à Koons, l’hiver dernier, il a ouvert un espace pour une rétrospective « Hervé Télémaque », soit le « Basquiat français », espace bien plus petit que le niveau 3 que Bilbao consacre à Basquiat. C’est un Koons magnifié que le Guggenheim monumentalise. Alors qu’à Paris l’accrochage était dense, à Bilbao les œuvres, présentées dans d’immenses salles, semblent parfois flotter dans le vide. Chaque pièce dispose d’un espace démesuré lui conférant une sacralité muséale, contrastant avec la trivialité du sujet.

Jean-Michel Basquiat : le moment est venu

Jusqu’au 1er novembre, Guggenheim Bilbao, Avenida Abandoibarra, Bilbao, Espagne, tél. 34 944 35 90 00, www.guggenheim-bilbao.es, tlj sauf lundi, du mardi au dimanche, 10h-20h, entrée 8 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°443 du 16 octobre 2015, avec le titre suivant : Un Basquiat découpé en tranches

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