Bibliothèque

Trésors de bibliothèques

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 21 novembre 2023 - 1003 mots

Ancêtres des musées, ces très anciennes institutions regorgent de trésors souvent méconnus. Plusieurs expositions les mettent en lumière.

Aller à la bibliothèque consulter ou emprunter un livre, cela tombe sous le sens. Mais qui penserait à pousser les portes de ces vénérables institutions pour admirer des œuvres d’art ? À Versailles, à Paris ou à Chantilly, plusieurs expositions nous rappellent que ces temples du savoir sont les ancêtres du musée. Bien avant l’invention du concept, les librairies, comme on les nommait sous l’Ancien Régime, étaient ainsi l’écrin de toutes sortes d’objets de valeur. Du fastueux manuscrit enluminé aux médailles antiques, en passant par les peintures, les dessins, les bijoux et les artefacts archéologiques, cette accumulation avait une ambition conservatoire, mais aussi une fonction d’affirmation de puissance politique. Les objets particulièrement rares ou coûteux étaient ainsi plébiscités. Cette tentation encyclopédique explique la richesse des plus belles bibliothèques et on estime, par exemple, que la Bibliothèque centrale de Versailles possède 600 000 documents. Les objets étroitement liés à l’histoire du château y sont logiquement légion, dont des pièces uniques. Ainsi, l’exemplaire de La Partie de chasse de Henri IV de Charles Collé a été présenté à la toute jeune Marie-Antoinette à son arrivée en France. C’est le premier ouvrage dont la splendide reliure porte ses armes. Plus intimes, les « petits livres secrets » rédigés par Madame de Maintenon relatent les relations épistolaires entretenues par l’épouse morganatique du Roi-Soleil avec son directeur spirituel, Godet des Marais.

Le livre, un instrument de pouvoir

D’aussi loin que l’on se souvienne, les bibliothèques aristocratiques ont en effet toujours eu maille à partir avec le pouvoir. À son apogée, la fameuse librairie des ducs et duchesses de Bourbon a ainsi revendiqué 600 volumes prestigieux, dont la fonction primordiale était d’asseoir le pouvoir politique de cette branche princière. Preuve du rôle central du livre dans la construction de l’identité ducale, la création de la librairie est concomitante de l’érection de la seigneurie de Bourbon en duché-pairie. Elle fait d’ailleurs partie des premières institutions mises en place lors de cette promotion, au même titre que la chancellerie et la chambre des comptes. Preuve supplémentaire du prestige de cette collection, elle sera saisie par François Ier en 1523, après la disgrâce du connétable Charles III de Bourbon. Cette saisie royale n’est d’ailleurs pas une première dans l’histoire de ce fonds, qui a considérablement augmenté au fil du temps au gré de confiscations de manuscrits précieux. Pierre de Beaujeu s’est ainsi approprié une trentaine d’ouvrages appartenant à son rival Jacques d’Armagnac. Car le livre était alors non seulement un support de dévotion, un instrument de savoir, une source de délectation esthétique, mais aussi un outil de propagande politique. Comme en témoigne la surabondance d’emblèmes, d’armoiries et de portraits des grandes figures de la dynastie qui ponctuent les pages. Le livre constitue même un moyen de légitimation, comme le montre l’exemple particulièrement parlant de Louis bâtard, comte de Bourbon-Roussillon à la fin du XVe siècle. Afin de faire oublier sa tare et pour redorer son blason, il constitua avec son épouse Jeanne une magnifique bibliothèque en commanditant des ouvrages aux plus grands artistes de l’époque, dont l’enlumineur Jean Colombe (1430-1493).

UN DIPTYQUE PORTATIF

Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les bibliothèques aristocrates renferment non seulement de prestigieux ouvrages, mais aussi des collections variées. Jeanne de France, l’une des plus puissantes commanditaires du XVe siècle, conservait ainsi dans sa librairie ducale ce magnifique diptyque portatif réalisé par l’atelier de Rogier van der Weyden, un artiste flamand parmi les plus prisés de son temps. L’importance de la duchesse de Bourbon est soulignée par sa place au premier plan du tableau.

DES ILLUSTRATIONS DE TOUTE BEAUTÉ

Ouvrage exceptionnel en raison de ses illustrations pleine page, ce manuscrit est un véritable trésor de la fin du Moyen Âge. Ouvrage d’une modernité stupéfiante, il raconte le périple de son auteur en Italie mais aussi de voyageurs fictifs. Une vraie rareté.

UNE TABLETTE D’ÉCRITURE CUNÉIFORME

Les bibliothèques ont été les premiers musées d’archéologie. Elles renferment de nombreux objets antiques, dont des monnaies et des tablettes cunéiformes. Ces dernières étaient particulièrement prisées, car elles représentaient les plus vieux exemples d’écriture.

UN MANUSCRIT TEINTÉ DE POURPRE

Pépite du parcours du nouveau musée de la BnF, cet ouvrage carolingien détonne par ses teintes hors du commun. Manuscrit en lettres d’or et d’argent, il est teinté de pourpre, soit la couleur impériale par excellence. Elle évoque en effet le vêtement des empereurs romains, mais aussi, dans ce contexte liturgique, le sang du Christ. L’ouvrage renferme en effet les textes sacrés destinés à être lus pendant la messe. Les pages ont été teintées grâce à un colorant végétal, l’orseille extraite d’un lichen.

UNE PRISE DE GUERRE

Au Moyen Âge, les collections d’ouvrages précieux se sont fréquemment enrichies par le biais de saisies prélevées comme butins de guerre. Après l’emprisonnement du duc de Nemours, Pierre de Beaujeu s’empare ainsi de nombreux ouvrages de la bibliothèque de son rival, dont Le Miroir historial. Afin de matérialiser l’appropriation de cet objet de luxe, son nouveau propriétaire fait peindre dans les bordures sa devise, ainsi que les armes de Bourbon qui viennent cacher celles du commanditaire. Il est aujourd’hui à la bibliothèque de Chantilly.

DES PLANCHES DE FRAGONARD POUR ILLUSTRER LA FONTAINE

Les bibliothèques ont longtemps été le lieu privilégié de la conservation des arts graphiques, avec une prédilection pour les illustrations. Les planches virtuoses de Fragonard pour La Fontaine figurent ainsi parmi les plus belles feuilles versaillaises.

UN BUSTE DE ZADKINE

Les bibliothèques ne conservent pas que des collections historiques et montrent aussi des pièces modernes et contemporaines. Versailles abrite entre autres un buste de l’écrivain Claude Aveline par Zadkine. Cette œuvre est arrivée lors de la donation Aveline.

UN PROJET DE FEU D’ARTIFICE POUR LOUIS XV

Parmi les curiosités du fonds ancien de la Bibliothèque centrale de Versailles, on trouve logiquement de nombreux documents liés au château. Y compris des témoignages de la vie quotidienne, à l’image de ce projet de feu d’artifice tiré en présence de Louis XV.

À VOIR
Musée de la BnF,
5, rue Vivienne, Paris-2e, www.bnf.fr
« Les manuscrits des ducs de Bourbon »,
château de Chantilly, Chantilly (60), chateaudechantilly.fr, jusqu’au 7 janvier 2024.
« Trésors des bibliothèques de Versailles »,
Bibliothèque centrale, 5, rue de l’Indépendance-Américaine, Versailles (78), www.versailles.fr, jusqu’au 16 décembre 2023.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°770 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : Trésors de bibliothèques

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